Sous la pression de la Maison-Blanche et du patronat, Trudeau promet de faire «tout ce qu’il faut» pour mettre fin aux blocus d’extrême droite entre le Canada et les États-Unis

Rassemblement en appui au convoi d’extrême droite à Vaughan, dans la banlieue de Toronto, le 27 janvier (Photo par Arthur Mola/Invision/AP)

Sous la pression croissante de l’administration Biden et du patronat, le premier ministre canadien Justin Trudeau a tenu une réunion avec les chefs des trois partis d’opposition du pays jeudi en fin de journée pour discuter de la manière de mettre fin à l’occupation du centre-ville d’Ottawa par le «Convoi de la liberté», un convoi d’extrême droite, et aux blocages de trois postes frontaliers entre le Canada et les États-Unis.

Indiquant que toutes les options, y compris le déploiement de l’armée pour disperser par la force les barrages, sont sur la table, Trudeau a déclaré dans une déclaration après la réunion que son gouvernement ferait «tout ce qu’il faut».

Lors d’une conférence de presse tenue vendredi après-midi, on a demandé à plusieurs reprises à Trudeau si sa déclaration de jeudi signifiait que des plans de déploiement des forces armées étaient en préparation. Trudeau a répondu en affirmant que nous sommes «très loin» d’une telle décision, mais a ajouté qu’«on doit être prêt à toute éventualité».

La crise politique à laquelle fait face le gouvernement Trudeau s’est intensifiée de façon spectaculaire ces derniers jours. L’impact économique majeur, tant aux États-Unis qu’au Canada, du blocus du pont Ambassador reliant Detroit et Windsor, en Ontario, a provoqué une clameur croissante de la part de la grande entreprise et de l’establishment politique pour que les blocages soient levés et que le siège d’Ottawa par l’extrême droite prenne fin.

Même de nombreuses sections de l’élite dirigeante, qui ont promu le convoi d’extrême droite et l’ont transformé en un mouvement extraparlementaire visant à déplacer la politique vers la droite, exigent maintenant la fin du convoi.

Il y a deux raisons principales à ce changement.

Tout d’abord, ils ont réussi à atteindre leur objectif immédiat, qui était d’utiliser le convoi d’extrême droite comme une matraque pour faire passer la fin de toutes les mesures d’atténuation anti-COVID-19 et pour déstabiliser le gouvernement Trudeau, qu’ils jugent insuffisamment agressif pour imposer l’austérité capitaliste et poursuivre les intérêts prédateurs de l’impérialisme canadien dans le monde.

Au cours de la semaine dernière, les gouvernements provinciaux ont annoncé l’un après l’autre la fin immédiate ou imminente de toutes les restrictions de santé publique restantes, malgré le fait que les décès quotidiens dus à la COVID-19 restent presque au niveau le plus élevé depuis le début de la pandémie. Pendant ce temps, Theresa Tam, l’administratrice en chef de la santé publique du Canada qui, à la demande de Trudeau, a approuvé l’affirmation homicide selon laquelle il fallait laisser la COVID-19 se propager librement. Elle a récemment déclaré que toutes les mesures d’atténuation de la COVID-19 devront être «réexaminées» dans les semaines à venir, car «ce virus ne va pas disparaître».

La deuxième raison pour laquelle de nombreux éléments de la classe dirigeante, qui, il y a quelques jours seulement, défendaient le convoi d’extrême droite comme la voix authentique des «gens ordinaires», font maintenant pression pour qu’il soit démantelé est l’impact économique négatif des blocages frontaliers. Ceux-ci comprennent une fermeture presque continue de deux semaines de la frontière entre l’Alberta et le Montana à Coutts, en Alberta, et un blocus du poste frontalier d’Emerson, au Manitoba, qui a commencé vendredi. Non seulement les blocages causent des pertes importantes à court terme, mais ils soulèvent un grand point d’interrogation quant à la viabilité des chaînes de production intégrées transfrontalières qui sont si essentielles au secteur manufacturier du Canada. Déjà, les défenseurs du «Buy American» aux États-Unis invoquent les blocages comme un argument supplémentaire pour réduire la dépendance des usines américaines à l’égard des fournisseurs canadiens.

Le blocus du pont Ambassador est en cours depuis lundi. Ce pont transporte quotidiennement des marchandises d’une valeur de plus de 300 millions de dollars, ce qui représente environ 25 % des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Des usines automobiles et d’autres installations de fabrication ont été contraintes de fermer des deux côtés de la frontière en raison de la pénurie de pièces. Les trois grands constructeurs automobiles de Detroit sont en pourparlers avec l’administration Biden et le gouvernement Trudeau pour mettre fin aux blocages, tandis que plus de 70 organisations commerciales canadiennes ont demandé des mesures urgentes et décisives pour faire tomber les barrages.

Pendant ce temps, l’occupation du centre-ville d’Ottawa par les militants du convoi est entrée dans sa troisième semaine vendredi. Le groupe de voyous d’extrême droite et de fascistes purs et simples installé de manière menaçante devant le bâtiment du Parlement canadien a été constitué et encouragé par le Parti conservateur de l’opposition officielle et une grande partie des médias bourgeois. Il a également reçu un soutien politique, financier et logistique essentiel de la part de l’extrême droite américaine, à commencer par l’ex-président américain et chef de la tentative de coup d’État ratée du 6 janvier 2021, Donald Trump.

Les occupants ont juré de rester en place jusqu’à ce que toutes les restrictions COVID-19 soient abolies et ont appelé au renversement du gouvernement démocratiquement élu et à son remplacement par une junte d’urgence de 90 jours composée des dirigeants du convoi, du gouverneur général non élu et du Sénat non élu.

L’impact économique majeur des blocages frontaliers a poussé l’administration Biden à intervenir ouvertement dans la crise que le convoi a précipitée au Canada. De hauts responsables de l’administration Biden, dont le secrétaire à la sécurité Intérieure Alejandro Mayorkas, se sont entretenus jeudi avec des représentants du gouvernement Trudeau. Lors de sa conférence de presse de vendredi, Trudeau a révélé qu’il avait discuté de la nécessité de mettre fin aux blocages lors d’une conversation téléphonique avec Biden lui-même.

Mayorkas aurait exhorté les responsables canadiens à utiliser tous les pouvoirs fédéraux à leur disposition pour démanteler les barrages sur-le-champ. Une déclaration de la Maison-Blanche a indiqué que les hauts responsables de l’administration «se penchaient sur cette question».

Lors de la réunion de jeudi des chefs de tous les partis, Trudeau a exhorté les chefs de l’opposition à s’unir pour demander la fin de l’occupation et des blocus. Il a également indiqué que son gouvernement travaille sur un plan visant à libérer les postes frontaliers et à mettre fin à l’occupation du centre-ville d’Ottawa.

Dans une déclaration publiée à l’issue de la réunion, le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a clairement indiqué que son parti appuierait toutes les mesures que Trudeau déciderait de prendre, y compris un déploiement militaire. Dans un geste d’accommodement envers l’extrême droite, il a demandé au gouvernement de présenter un plan pour mettre fin à toutes les restrictions COVID-19. Singh a appelé Trudeau à «utiliser tous les outils disponibles pour mettre fin à ces occupations» et à annoncer «un plan pour sortir les Canadiens de la pandémie.»

Les conservateurs et une partie des médias de droite exigent depuis deux semaines que Trudeau rencontre les dirigeants du convoi, ce qu’il a rejeté jusqu’à présent. Les autres alternatives qui s’offrent au gouvernement fédéral sont d’augmenter les déploiements policiers à Ottawa et aux postes frontaliers bloqués de Windsor, du Manitoba et de l’Alberta, ou de faire appel à l’armée pour expulser de force les militants du «Convoi de la liberté».

Toutes ces options comportent des risques politiques considérables pour le gouvernement libéral. Tout geste de compromis envers les occupants d’extrême droite, tel que l’abandon de l’obligation fédérale de vaccination, enhardirait l’extrême droite et mettrait ses partisans conservateurs sur l’offensive politique.

D’autre part, un affrontement violent entre les rangs renforcés de la police et les occupants, ou le déploiement de l’armée pour briser les barrages, créerait les conditions permettant aux conservateurs de dépeindre les éléments d’extrême droite, qu’ils qualifient de «patriotes pacifistes», comme des victimes du régime «autoritaire» et «de gauche» de Trudeau.

Les critiques à l’égard du leadership de Trudeau se sont multipliées de toutes parts, et un flot de commentaires dans les médias remet ouvertement en question son avenir en tant que premier ministre et chef libéral.

Plus tôt jeudi, la cheffe intérimaire conservatrice Candice Bergen a modifié sa position sur l’occupation et les blocages frontaliers, qu’elle avait auparavant soutenus. S’exprimant à la Chambre des communes, elle a déclaré: «Je crois que le temps est venu pour vous de démonter les barricades.» Bergen a déposé une motion, que le Bloc québécois, un des partis d’opposition, a juré d’appuyer, qui exigerait que le gouvernement présente un plan d’ici la fin février pour supprimer toutes les mesures de santé publique restantes. S’exprimant comme si elle s’adressait aux manifestants d’extrême droite, Mme Bergen a déclaré: «Les conservateurs vous ont entendus, et nous défendrons tous les Canadiens qui veulent retrouver une vie normale. Nous ne nous arrêterons pas tant que les mesures obligatoires n’auront pas pris fin.»

Vendredi, le premier ministre progressiste-conservateur de l’Ontario, Doug Ford, a déclaré l’état d’urgence et s’est engagé à mettre fin aux blocages des frontières et à l’occupation du centre-ville d’Ottawa qu’il a qualifié de «siège». Il s’est engagé à «réunir le cabinet afin d’utiliser les autorités juridiques pour promulguer de toute urgence des ordonnances qui indiqueront clairement qu’il est illégal et punissable de bloquer et d’entraver la circulation des biens, des personnes et des services le long des infrastructures essentielles». Ces mesures pourraient inclure des amendes allant jusqu’à 100.000 dollars et des peines de prison allant jusqu’à un an pour les occupants. Ford, qui a cherché à trouver un équilibre entre un soutien limité aux occupants et une critique de la perturbation de la vie quotidienne à Ottawa, a également annoncé son intention de présenter un plan pour lever toutes les mesures COVID-19 restantes.

Cependant, une faction des conservateurs continue de soutenir sans réserve les putschistes potentiels d’extrême droite. Le 2 février, Erin O’Toole a été démis sans cérémonie de son poste de chef de parti pour ne pas avoir apporté un soutien inconditionnel au convoi. Pierre Poilievre, le favori pour lui succéder, a déclaré jeudi: «Je suis fier des camionneurs, et je suis à leurs côtés.» Le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a également refusé d’appeler les partisans du «Convoi de la liberté» à mettre fin à leurs occupations.

Le «Convoi de la liberté» du Canada est rapidement devenu un pôle d’attraction dans les cercles d’extrême droite et fascistes du monde entier, surtout après que Trump a exhorté ses partisans à l’imiter. Ce week-end, un convoi similaire est censé être lancé en Californie. Son arrivée à Washington est prévue pour début mars. En France, un convoi est parti de différents endroits mercredi et doit converger vers Paris aujourd’hui [samedi]. Les autorités ont promis d’utiliser des déploiements policiers à grande échelle pour les empêcher d’entrer dans la capitale française.

La seule solution progressiste à la crise actuelle passe par la mobilisation politique de la classe ouvrière sur une base indépendante pour lutter en faveur d’une stratégie globale d’élimination de la COVID-19. Cela nécessite la construction d’un mouvement de masse dirigé par les travailleurs pour mettre fin aux politiques homicides de l’élite dirigeante en matière de pandémie, qui sont guidées par le principe de la protection des profits des sociétés plutôt que de la vie humaine. Sans l’intervention politique de la classe ouvrière dans le cadre d’une lutte pour un programme socialiste, le résultat inévitable de l’impasse actuelle, quelle que soit sa résolution immédiate, sera un nouveau glissement de la vie politique canadienne vers la droite, mettant en péril les droits démocratiques et sociaux les plus fondamentaux de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 12 février 2022)

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