Les États-Unis transfèrent leur ambassade de la capitale ukrainienne, Kiev, à la ville occidentale de Lviv

Dans un contexte de frénésie guerrière dans les médias américains, les États-Unis ont vidé leur ambassade dans la capitale ukrainienne, Kiev, et déplacé leur personnel diplomatique à 547 km à l’ouest, à Lviv, près de la frontière avec la Pologne. Depuis jeudi, le gouvernement Biden et la presse bourgeoise colportent des allégations infondées selon lesquelles une invasion russe serait «imminente», citant mercredi comme date potentielle pour l’offensive militaire.

Vue de l’ambassade des États-Unis à Kiev, en Ukraine, le samedi 12 février 2022 [Photo: AP Photo/Andrew Kravchenko]

Selon le Wall Street Journal, le département d’État a ordonné la destruction des équipements de réseau et des postes de travail informatiques, ainsi que le démantèlement du système téléphonique de l’ambassade. Le matériel classifié, ainsi que 56 des employés de l’ambassade, a été transféré à Washington dimanche. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré: «Ces précautions prudentes ne remettent nullement en cause notre soutien ou notre engagement envers l’Ukraine».

Le déménagement de l’ambassade américaine est intervenu alors que des dizaines de pays ont appelé leurs citoyens à quitter immédiatement l’Ukraine. De nombreux autres États ont annoncé la fermeture ou la réduction des effectifs de leurs ambassades. La mission spéciale de l’OSCE en Ukraine a reçu l’ordre des États-Unis et du Royaume-Uni de retirer ses forces du Donbass et a commencé dimanche à le faire. Plusieurs compagnies aériennes ont suspendu leurs services vers l’Ukraine, tandis que d’autres peinent à obtenir une couverture d’assurance pour leurs vols au-dessus de l’espace aérien ukrainien.

Au cours du week-end, une vingtaine de vols affrétés et de jets privés ont transporté les oligarques ukrainiens hors du pays, dont les deux Ukrainiens les plus riches, Rinat Akhmetov (11,54 milliards de dollars) et Viktor Pinchuk (2,6 milliards de dollars), ainsi que de nombreux autres membres de la liste des «100 plus riches» d’Ukraine.

Dans un autre signe des frictions croissantes entre Kiev et Washington, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui avait auparavant rejeté les dernières allégations américaines d’une invasion imminente par Moscou, a dénoncé le déménagement de l’ambassade américaine, le qualifiant de «grave erreur». Il a ajouté: «Je pense qu’ils doivent revenir, sinon nous, en tant qu’État, devons tirer certaines conclusions. Croyez-moi, nous tirerons ces conclusions».

Une source du parti «Serviteur du peuple» de Zelensky a déclaré au site ukrainien strana.ua que le président avait déclaré lundi au groupe parlementaire que «trois pays amis inventent une histoire de guerre». Il a essayé de nous expliquer au sein du caucus qu’on se joue de nous, mais que nous résistons.»

Le secrétaire du Conseil ukrainien de la sécurité nationale et de la défense, Alexei Danilov, a soutenu la ligne de Zelensky lundi, déclarant que les services de renseignement ukrainiens n’ont trouvé aucune preuve qui corrobore les avertissements occidentaux d’une invasion de la Russie en Ukraine dans un avenir proche.

Dans un discours à la nation lundi, Zelensky a déclaré: «On nous dit que le 16 février sera le jour de l’attaque, nous en faisons le jour de l’unité nationale.» Zelensky a souligné que le gouvernement ukrainien se préparait à tous les scénarios possibles et que l’armée ukrainienne était prête à défendre l’État. Il a également souligné que l’Ukraine orientale et la Crimée «reviendraient à l’Ukraine» mais «exclusivement par des moyens diplomatiques». Cette déclaration contredit directement l’adoption d’une stratégie militaire qui vise à «reprendre» la Crimée et l’Ukraine orientale que son gouvernement a adoptée au début de 2021.

Tandis que la CIA et le département d’État multiplient les allégations infondées d’«opération sous faux drapeau russe», le Kremlin et les séparatistes prorusses ont averti que l’armée ukrainienne préparait une provocation dans l’est de l’Ukraine. Selon les informations russes, l’armée ukrainienne a rassemblé environ la moitié de ses 250.000 soldats près de la ligne de front en Ukraine orientale. Cela correspondrait à peu près à la taille du déploiement de troupes russes près de la frontière ukrainienne.

Bien que Zelensky ait nié les plans de guerre de Kiev et la menace d’une invasion imminente par la Russie, il est loin d’être certain que son gouvernement maitrise l’armée ukrainienne, sans parler des importantes forces paramilitaires fascistes du pays. L’été dernier, Zelensky, officiellement commandant en chef, s’est vu interdire par le commandement militaire de se rendre sur la ligne de front dans l’est de l’Ukraine pendant plusieurs jours, une décision très inhabituelle qui n’a jamais été véritablement expliquée.

Au début du mois, le ministère ukrainien de l’Intérieur a affirmé avoir déjoué un complot qui visait à organiser de violentes manifestations contre le gouvernement, exigeant une offensive militaire dans le Donbass et en Crimée. Sur la base des plans et des demandes, on suppose que ces plans impliquaient des forces activement ou anciennement employées par les forces de sécurité ukrainiennes ainsi que par l’extrême droite.

Des forces paramilitaires d’extrême droite armées et financées par les États-Unis, comme le bataillon Azov, ont organisé de multiples manifestations contre Zelensky au fil des ans, avec des demandes similaires. L’ancien président et oligarque Petro Porochenko (valeur nette de 1,5 milliard de dollars) a pris la parole lors de plusieurs de ces manifestations.

Porochenko est rentré en Ukraine en janvier et n’a évité l’arrestation dans une affaire de trahison nationale que grâce à l’intervention directe des États-Unis et du Canada. Depuis lors, il s’est lancé dans une campagne médiatique, attaquant Zelensky pour sa ligne prétendument conciliatrice vis-à-vis de la Russie. L’ancien ministre de l’Intérieur de Zelensky, Arsen Avakov, qui entretient des liens étroits avec Washington et l’extrême droite ukrainienne, a récemment appelé à des élections anticipées, menaçant Zelensky qu’il pourrait être évincé lors d’un autre «Maidan»: le nom des manifestations de droite qui ont précédé le coup d’État de février 2014.

Dans une indication claire que Washington a l’œil sur la destitution de Zelensky, le New York Timesa affirmé que les tentatives de Zelensky de «mettre en garde contre la panique et la réaction excessive» l’ont fait paraître «presque délirant au sujet des graves risques auxquels son pays fait face».

Dans un autre changement remarquable, Zelensky a indiqué lundi que son gouvernement pourrait renoncer à son objectif d’adhérer à l’OTAN dans un avenir proche, déclarant: «Peut-être que la question des portes ouvertes [à l’OTAN] est pour nous comme un rêve». Dans son discours à la nation, Zelensky a seulement mentionné les efforts de l’Ukraine pour rejoindre l’UE, mais pas l’OTAN. Le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré lors de la conférence de presse conjointe: «La question de l’adhésion [de l’Ukraine] aux alliances n’est pas à l’ordre du jour, c’est pourquoi c’est très étrange de voir que le gouvernement russe a fait de quelque chose qui n’est pas à l’ordre du jour le sujet d’un problème politique majeur».

En réalité, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN était un objectif central du coup d’État de février 2014 orchestré par les États-Unis à Kiev. Au cours des trois dernières années, le gouvernement Zelensky a fait pression pour une accélération du processus d’inclusion de l’Ukraine dans l’alliance. Le Kremlin dénonce depuis longtemps une telle démarche, Poutine ayant récemment déclaré que l’Ukraine dans l’OTAN signifierait une guerre entre la Russie et l’OTAN. La garantie que l’Ukraine ne rejoindra pas l’OTAN était l’une des principales demandes que le Kremlin a soumises à l’OTAN en décembre et que les États-Unis ont catégoriquement rejetées.

Tout en évitant de faire une déclaration claire sur le gazoduc controversé russo-allemand Nord Stream 2, que les États-Unis et l’Ukraine veulent voir stoppé, l’Allemand Olaf Scholz a déclaré lundi que Berlin travaillait, avec les États-Unis et l’UE, «très intensément» sur un «plan de sanctions» qui aurait «une influence substantielle sur le potentiel de développement économique futur de la Russie». Scholz a également annoncé que l’Allemagne accorderait à l’Ukraine une aide financière supplémentaire de 150 millions de dollars.

Scholz subit une forte pression de la part des États-Unis et de sa propre coalition avec les Verts et les libéraux-démocrates pour annoncer clairement la fin de Nord Stream 2 en cas de guerre entre la Russie et l’Ukraine lors de sa visite à Moscou mardi. L’Allemagne est l’un des plus gros importateurs de gaz russe: au total, 40 pour cent des approvisionnements en gaz de l’Europe proviennent de Russie, certains pays comme la Hongrie dépendant presque entièrement de ces livraisons pour leur consommation de gaz.

Lundi, le prix du gaz en Europe a dépassé les 1.000 dollars pour 1.000 mètres cubes, tandis que le prix du pétrole a franchi la barre des 95 dollars le baril. Depuis janvier, l’Europe a également augmenté de manière significative ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL). Dans un article récent, le magazine d’information allemand Der Spiegela souligné que l’industrie américaine du GNL, qui est devenue le premier exportateur mondial de GNL en décembre, tirait de gros profits de la crise de la guerre en Ukraine.

Pendant ce temps, les États-Unis et l’OTAN continuent de faire monter les tensions militaires dans une tentative claire de provoquer une guerre totale. Lors d’une conversation téléphonique avec le premier ministre britannique Boris Johnson – qui codirige avec les États-Unis les provocations de l’OTAN contre la Russie – le président américain Joe Biden a évoqué de nouveaux renforcements du flanc est de l’OTAN. Ils ont également souligné une nouvelle fois que l’UE devait réduire sa dépendance à l’égard du gaz russe.

Lundi, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et le président Vladimir Poutine ont eu une discussion soulignant la nécessité de poursuivre les efforts diplomatiques pour résoudre la crise. La veille, la Russie a lancé des exercices militaires en mer Noire impliquant plus de 30 navires de guerre, en plus des exercices militaires conjoints en cours avec la Biélorussie. Rappelant les provocations et les exercices militaires de l’OTAN en mer Noire l’année dernière, Dmitry Zhukov, capitaine de premier rang à la retraite, a déclaré au journal russe Gazeta.Ru: «Les États-Unis revendiquent la mer Noire. Moscou doit soit l’accepter, soit réagir. Une situation hypothétique dans laquelle des navires de l’OTAN patrouilleraient en mer Noire alors que notre armée sur le rivage se contenterait de regarder est inacceptable pour Moscou».

(Article paru en anglais le 15 février 2022)

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