Perspective

L’enjeu de la lutte des travailleurs américains du rail et du pétrole

Au cours des dernières semaines, les travailleurs des chemins de fer et des raffineries de pétrole aux États-Unis sont devenus le fer de lance d’un mouvement croissant de la classe ouvrière contre des horaires de travail épuisants et dangereux et l’explosion du coût de la vie.

Un employé d’un terminal ferroviaire BNSF surveille le départ d’un train de marchandises, le 15 juin 2021, à Galesburg, en Illinois [Photo: AP Photo/Shafkat Anowar, dossier] [AP Photo/Shafkat Anowar]

Le mois dernier, 17.000 conducteurs et contrôleurs de la compagnie ferroviaire BNSF – anciennement Burlington Northern Santa Fe – ont voté pour autoriser la grève afin d’empêcher la plus grande compagnie ferroviaire des États-Unis d’imposer une nouvelle politique punitive en matière d’assiduité. La politique «Hi Viz» attribue à chaque travailleur 30 points et déduit des points pour chaque fois qu’un travailleur s’absente du travail, quelle qu’en soit la raison. Pour regagner des points, les travailleurs doivent être de garde 24 heures sur 24 pendant au moins deux semaines consécutives. Cette politique sert à discipliner ou licencier les travailleurs qui perdent leurs points et à s’assurer que les travailleurs sont disponibles pratiquement 24 heures sur 24.

Le 25 janvier, un juge fédéral du Texas a émis une injonction pour bloquer la grève. Il a déclaré que la politique d’assiduité des travailleurs est une question «mineure» qui n’est pas un motif suffisant pour laquelle les travailleurs sont autorisés à faire grève en vertu de la loi sur le travail dans les chemins de fer de 1926 dont le but était d’éliminer presque totalement les grèves dans le secteur ferroviaire. Dans sa décision, le juge Mark Pittman du tribunal de district des États-Unis a déclaré qu’une grève serait inacceptable parce qu’elle entraînerait des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement du pays, donnant la priorité aux bénéfices de BNSF et des sociétés américaines sur les droits démocratiques et même contractuels des travailleurs.

Forte de l’injonction briseuse de grève, la compagnie a imposé unilatéralement la politique de présence le 1er février. Étant donné que les cheminots avaient auparavant des horaires imprévisibles, la nouvelle politique obligera les travailleurs à annuler des rendez-vous chez le médecin et à passer moins de temps avec leur famille et à manquer les heures de sommeil nécessaires. Une conséquence inévitable de cette politique sera une augmentation de la fatigue des travailleurs, ce qui augmentera à son tour le risque d’accidents graves et de décès. La mort d’un travailleur de BNSF, heurté par un train à Denver, au Colorado, le 9 février, le jour après que le juge a annoncé son injonction a souligné tragiquement de telles conséquences.

Les syndicats «Sheet Metal Air Rail Transportation-Transportation Division» (SMART-TD) et «Brotherhood of Locomotive Engineers and Trainmen» (BLET) se sont opposés à toute mobilisation sérieuse contre la politique Hi-Viz. Au lieu de cela, les syndicats font respecter l’injonction et ont demandé aux travailleurs de ne pas faire de commentaires publics contre la politique de présence.

La bataille au BNSF a lieu alors que les négociations contractuelles sont dans l’impasse pour 115.000 cheminots, après deux ans sans nouvelle convention nationale. Outre BNSF, CSX, Kansas City Southern, Norfolk Southern, Union Pacific et CN ont supprimé des dizaines de milliers d’emplois, même si le volume de marchandises transportées par les chemins de fer a augmenté de 30 pour cent au cours des deux dernières décennies.

La convention collective nationale qui couvre 30.000 travailleurs des raffineries de pétrole et des usines pétrochimiques de 12 grandes entreprises du secteur de l’énergie a expiré le 1er février. Alors que le pétrole brut atteint 90 dollars le baril et que les prix à la pompe atteignent leur niveau le plus élevé depuis sept ans, Marathon, Shell, BP et d’autres sociétés réalisent d’énormes bénéfices. Mais Marathon, qui mène les négociations, a publié une offre de «règlement final» qui comprend des augmentations annuelles de 2 à 3 pour cent, ce qui entraînerait une réduction de factodes salaires réels, compte tenu du taux d’inflation annuelle de 7,5 pour cent. La compagnie a réalisé 9,7 milliards de dollars de bénéfices en 2021 et a annoncé un programme de rachat d’actions de 5 milliards de dollars pour ses investisseurs les plus riches.

Un travailleur de la raffinerie Marathon de Galveston Bay à Texas City, au Texas, le site d’une explosion en 2005 dans l’installation, alors détenue par British Petroleum, qui a tué 13 travailleurs et en a blessé 180 autres, a déclaré au World Socialist Web Siteque les travailleurs de la raffinerie font régulièrement des quarts de 16 heures jusqu’à 13 jours d’affilée. «Marathon a reçu 2 milliards de dollars dans le cadre de l’aide COVID de la loi CARES, et ils ont rapidement licencié 10 pour cent des travailleurs et doublé le salaire du PDG», a déclaré le travailleur.

Les travailleurs du secteur pétrolier sont déterminés à obtenir des améliorations substantielles des salaires et des conditions de travail, mais le syndicat des Métallurgistes unis a bloqué une grève et a forcé les travailleurs à rester au travail dans le cadre de prolongations de contrat «glissantes» de 24 heures. Les compagnies pétrolières ont ainsi eu le temps d’embaucher du personnel en prévision d’une éventuelle grève.

Au cours des prochains mois, d’autres sections clés de travailleurs verront leurs contrats expirer. Il s’agit notamment de:

22.000 dockers de Washington, de l’Oregon et de la Californie dont le contrat expire le 1er juillet

118.000 travailleurs hospitaliers luttent pour une augmentation du personnel et de meilleurs salaires, dont 7.000 infirmières à Kaleida Health à Buffalo, dans l’État de New York, et 5.000 infirmières au centre médical de l’Université du Michigan, dont la convention expire respectivement le 31 mai et le 30 juin

268.000 éducateurs, dont 120.000 enseignants et membres du personnel scolaire à New York, 34.000 à Los Angeles et 3.000 à Oakland, dont les contrats expirent en septembre

Les travailleurs sont poussés à la lutte par la flambée du coût de la vie. L’indice des prix de l’énergie a augmenté de 27 pour cent sur une base annuelle, tandis que les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 7 pour cent. Les prix de la viande, de la volaille et des œufs ont augmenté de 12,2 pour cent, le gaz naturel en canalisation de 23,9 pour cent et l’électricité de 10,7 pour cent. L’essence a augmenté de 40 pour cent. Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement ont entraîné une hausse de 12,2 pour cent du prix des voitures neuves et une augmentation considérable de 40,5 pour cent du prix des voitures d’occasion.

Alors même que les entreprises du secteur de l’énergie et de la logistique engrangent des bénéfices considérables dans un contexte de flambée des prix du pétrole et des transports, elles sont déterminées à résister aux demandes d’augmentation des salaires pour suivre l’inflation. Dans le même temps, le gouvernement et les sociétés ont mis fin à toutes les mesures visent à arrêter la propagation de la COVID-19, alors même que plus de 900.000 Américains en sont morts.

Le message est clair: les travailleurs vont être forcés de travailler jusqu’à ce qu’ils s’effondrent, que ce soit de maladie ou d’épuisement, pour l’enrichissement des grandes entreprises et des riches actionnaires.

Les syndicats pro-patronaux, qui s’efforcent depuis si longtemps de pratiquement éliminer les grèves de la vie américaine, sont largement discrédités et méprisés. L’une des caractéristiques les plus significatives de ce mouvement croissant est le conflit de plus en plus ouvert entre les syndicats et les travailleurs. Les syndicats, d’une part, réagissent en trahissant les luttes des travailleurs de manière toujours plus ouverte et éhontée. Les travailleurs, de l’autre part, se rebellent de plus en plus contre ces organisations dépassées. L’expression la plus consciente de cette rébellion a été la formation de comités indépendants des travailleurs de la base des États-Unis et du monde entier.

Le président Biden cherche à promouvoir systématiquement les syndicats pour consolider ces institutions en décomposition. Par le biais de l’expansion des syndicats, Biden espère placer les travailleurs sous une forme de tutelle de l’État. Cette volonté a été exprimée de la manière la plus explicite dans le rapport de la semaine dernière par le groupe de travail de Biden sur la syndicalisation et l’autonomisation des travailleurs. Le rapport a fait valoir qu’en tant qu’«acheteur de biens et de services», le gouvernement fédéral, «a intérêt à ce que ses sous-traitants concluent les premières conventions collectives afin d’encourager la stabilité et minimiser les perturbations des services et des biens achetés par le gouvernement fédéral».

Le président Joe Biden s'exprime à Washington D.C., le mardi 8 février 2022 [Photo: AP Photo/Alex Brandon]

L’application de la «discipline» du travail est également intimement liée aux préparatifs avancés du conflit militaire de l’impérialisme américain contre ses principaux rivaux, la Russie et la Chine. Une guerre de cette ampleur est impensable sans mettre la société entière sur le pied de guerre et sans réprimer la dissidence. Ainsi, l’automne dernier, le secrétaire aux transports Pete Buttigieg a déclaré qu’un conflit avec la Chine «nous donne l’occasion de nous rassembler au-delà des clivages politiques». Il a conclu: «Au moins la moitié de la bataille doit être menée au pays».

Cela montre la nécessité pour les travailleurs d’adopter une nouvelle stratégie pour guider leurs luttes, basée sur une opposition intransigeante non seulement aux syndicats mais aussi à l’État capitaliste. Les travailleurs doivent continuer à construire l’Alliance ouvrière internationale des comités de base, fondée sur l’indépendance totale des travailleurs vis-à-vis des syndicats corrompus et des deux grands partis du patronat.

Mais l’alliance croissante des syndicats avec l’État souligne également la nécessité d’une lutte politique de la classe ouvrière contre le système capitaliste lui-même qui conduit le monde vers le désastre et est incapable de résoudre le moindre des problèmes auxquels la société mondiale moderne fait face. En opposition à la stratégie de dictature et de guerre du capitalisme américain et mondial, la classe ouvrière doit construire un mouvement international basé sur la lutte pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 15 février 2022)

Loading