Avec le vote du NPD, le Parlement canadien approuve le recours aux pouvoirs d’urgence par Trudeau

Le gouvernement libéral minoritaire du Canada a obtenu une majorité parlementaire pour invoquer des pouvoirs spéciaux en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence afin de mettre fin à l’occupation d’Ottawa et aux blocages frontaliers par le convoi de la liberté, un mouvement d’extrême droite.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD), soutenu par les syndicats, a voté à l’unanimité pour donner une sanction rétroactive au recours du gouvernement à cette loi jamais utilisée auparavant, lors d’un vote de la Chambre des communes qui s’est tenu tard lundi soir. Le chef du NPD fédéral, Jagmeet Singh, avait promis que les sociaux-démocrates du Canada appuieraient l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement libéral avant même que Trudeau ne proclame une «urgence d’ordre public» dans l’après-midi du 14 février.

À gauche: Jagmeet Singh lors du congrès de la FTO en 2017 (Wikimedia Commons/Département des communications de la FTO), à droite: Justin Trudeau s’exprime lors d’une conférence de presse à la fin d’un sommet UE-Canada au Conseil européen à Bruxelles, le mardi 15 juin 2021 (AP Photo/Francisco Seco)

Succédant à la draconienne Loi sur les mesures de guerre, la Loi sur les mesures d’urgence permet au gouvernement de prendre des mesures qui «pourraient ne pas être appropriées en temps normal» pendant une période maximale de 30 jours.

Les pouvoirs spéciaux que le gouvernement libéral s’est spécifiquement arrogés – et qui restent actuellement en vigueur – comprennent le pouvoir de déclarer des zones où tous les rassemblements sont interdits, et d’imposer une interdiction générale aux assemblées jugées comme allant «au-delà de la manifestation légale». Le gouvernement s’est également donné le pouvoir de réquisitionner le matériel nécessaire pour mettre fin à l’urgence et de geler les comptes bancaires des dirigeants du convoi. Ceux qui enfreignent un ordre d’urgence du gouvernement sont passibles d’amendes pouvant aller jusqu’à 5000 $ et de cinq ans de prison.

Les députés ont approuvé le recours à la Loi sur les mesures d’urgence par 185 voix contre 151. Les caucus des libéraux et des néo-démocrates ont voté à l’unanimité en faveur de cette loi, de même que la députée du Parti vert, Elizabeth May. Les conservateurs et le Bloc Québécois ont voté contre, invoquant cyniquement des préoccupations relatives aux «libertés civiles».

Plus tôt lundi, Trudeau avait clairement indiqué que le gouvernement considérait le vote sur la Loi sur les mesures d’urgence comme une question de confiance. Toute personne votant contre l’invocation de la loi impliquerait qu’elle «ne fait pas confiance au gouvernement», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. Il a également déclaré que l’urgence d’ordre public persiste, même si l’occupation et les blocages d’Ottawa ont été dispersés. Interrogé sur le moment où le gouvernement annulera ses pouvoirs d’urgence, Trudeau s’est contenté de dire qu’il le ferait dès que possible. En appui aux propos de Trudeau, le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a fait remarquer que de petits groupes de partisans du convoi demeurent à Ottawa et dans les environs. Il a également affirmé qu’il existe toujours une menace que la circulation transfrontalière soit perturbée.

Alors que la principale opération policière dans le centre-ville d’Ottawa touchait à sa fin lundi, la police a annoncé qu’elle avait procédé à 196 arrestations au cours des quatre jours précédents et déposé 391 accusations criminelles.

Mardi, la police a continué à contrôler étroitement l’accès à une partie du centre-ville, près de la colline Parlementaire, bien que leur «zone de sécurité» se soit considérablement rétrécie par rapport au plus fort de la répression policière du week-end dernier. De jeudi soir à lundi matin, la police a maintenu un cordon de sécurité – à l’aide de clôtures, de véhicules et de policiers – qui a encerclé une zone de 12 rues sur 20 où vivent quelque 30.000 personnes.

En réponse au vote de la Chambre des communes lundi, la chef conservatrice intérimaire Candice Bergen a affirmé que son parti «a défendu les Canadiens et a voté contre cette ingérence excessive du gouvernement». Pierre Poilievre, l’un des principaux candidats à la direction du parti et l’un des plus ardents défenseurs du convoi d’extrême droite au Parlement, a accusé le gouvernement de remplacer «la liberté du peuple par le pouvoir du gouvernement».

Tout cela est absurde. Les politiciens conservateurs qui se font maintenant passer pour des champions de la «démocratie» sont complices d’avoir créé et encouragé le convoi: un mouvement d’extrême droite et extra-parlementaire dont les dirigeants étaient explicitement engagés à renverser le gouvernement démocratiquement élu et à installer une junte dictatoriale. Bergen, Poilievre et leurs partisans dans les médias de droite ont promu le convoi parce qu’ils voulaient utiliser l’extrême droite comme troupes de choc pour faire passer en force l’abrogation de toutes les mesures contre la COVID face à une large opposition populaire, et faire basculer la politique officielle nettement à droite. Les seules «libertés» dont ces gens se soucient sont la «liberté» du virus de causer des infections et des décès en masse et la «liberté» des entreprises canadiennes d’engranger d’énormes profits.

Alors que le centre-ville d’Ottawa était occupé par un mouvement d’extrême droite menaçant que les conservateurs ont présenté comme étant composé de «Canadiens patriotes et pacifistes» et d’un mouvement populaire de «travailleurs ordinaires», le gouvernement libéral a donné le feu vert aux gouvernements provinciaux de tout le pays pour supprimer presque toutes les restrictions relatives à la COVID-19. Ce n’est que lorsque le convoi d’extrême droite est allé plus loin que ce que ses commanditaires de la classe dirigeante avaient prévu et a bloqué plusieurs passages frontaliers, perturbant ainsi des milliards de dollars d’échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis, que le gouvernement Trudeau s’est tourné vers la Loi sur les mesures d’urgence. Trudeau a utilisé la conférence de presse du 14 février au cours de laquelle il a invoqué la loi pour imposer une autre demande de ses critiques de droite: l’envoi d’armes létales au régime ultra-nationaliste ukrainien.

En justifiant leur recours aux pouvoirs d’urgence, Trudeau et ses ministres ont clairement indiqué que leur principale préoccupation n’était pas la sauvegarde des droits démocratiques, mais la réputation et les intérêts de l’impérialisme canadien et de la grande entreprise. Les ministres du gouvernement ont évoqué la nécessité de se prémunir contre les «effets néfastes» sur la «reprise économique» du Canada, de préserver les relations avec «nos partenaires commerciaux» et d’éviter de ternir l’image du Canada en tant qu’endroit sûr pour «investir» et faire des affaires.

Trudeau et ses partisans ont insisté à maintes reprises sur le fait que la Loi sur les mesures d’urgence n’est pas la Loi sur les mesures de guerre, parce qu’elle prévoit que le Parlement demande des comptes au gouvernement et que les actions du gouvernement seront soumises, après coup, à un contrôle judiciaire en vertu de la Charte des droits et libertés de la Constitution. La toute première clause de cette dernière stipule que les libertés qu’elle est censée garantir sont soumises aux «limites qui soient raisonnables» et «dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.»

Une fois l’urgence d’ordre public levée ou, si elle n’est pas prolongée par un second vote parlementaire, expirant après 30 jours, un comité composé de députés de la Chambre des communes et de sénateurs du Sénat sera créé pour examiner la mise en œuvre de la Loi sur les mesures d’urgence.

Mardi, lors du débat du Sénat sur l’approbation de l’utilisation des pouvoirs d’urgence, Marc Gold, le représentant du gouvernement libéral à la chambre haute du Canada, a révélé que tous les membres de ce comité mixte devront prêter un serment du secret avant d’entrer en fonction. Cela garantit pratiquement que toute preuve d’abus de la part du gouvernement ou de la police sera soustraite à l’attention du public.

En appuyant l’invocation par Trudeau de la Loi sur les mesures d’urgence, le NPD a légitimé l’utilisation de pouvoirs d’urgence autocratiques qui, à l’avenir, pourront être utilisés, et le seront, contre la classe ouvrière. Il a également souligné son engagement à maintenir le gouvernement libéral de Trudeau au pouvoir.

Singh et le NPD, avec le plein appui des syndicats, ont été l’accessoire principal et préféré du gouvernement libéral depuis qu’il a perdu sa majorité parlementaire aux élections de 2019. Au cours des deux dernières années de la pandémie, le NPD a soutenu le gouvernement Trudeau alors qu’il a acheminé des centaines de milliards de fonds de sauvetage aux banques et à l’oligarchie financière et qu’il a été le fer de lance de la politique de réouverture de l’économie et des écoles de l’élite capitaliste, qui est responsable de la mort par la COVID-19 de plus de 35.000 Canadiens. Il a également soutenu le gouvernement dans l’augmentation spectaculaire des dépenses militaires afin de financer l’agression impérialiste et la guerre à l’étranger.

À la lumière de ces antécédents de loyauté envers les libéraux, le parti de gouvernement traditionnel préféré de la grande entreprise canadienne, Singh a suggéré de façon quelque peu risible que son parti sera vigilant pour s’assurer que le gouvernement n’abuse pas de ses pouvoirs d’urgence. Affirmant que le NPD apportait un «soutien réticent» à l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence, Singh a fait remarquer: «Ce n’est pas un chèque en blanc. Nous sommes prêts à retirer notre soutien dès que ... la loi ne sera plus nécessaire.»

La réponse des syndicats a été encore plus pathétique. Le Congrès du travail du Canada n’a même pas encore reconnu l’invocation par le gouvernement de la Loi sur les mesures d’urgence, qui remonte maintenant à plus d’une semaine. Alors qu’Ottawa était occupé par des voyous d’extrême droite, des syndicats comme l’Alliance de la Fonction publique du Canada et l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario conspiraient pour réprimer et saboter des contre-manifestations.

L’histoire a montré à maintes reprises que le renforcement de l’appareil d’État capitaliste au nom de la «défense de la démocratie» ou de la lutte contre le «fascisme» entraîne invariablement une intensification de la répression à l’encontre de la classe ouvrière. Les zones interdites, les interdictions de rassemblement et les pouvoirs spéciaux permettant à la police de procéder à des arrestations en masse, utilisés aujourd’hui contre les partisans d’extrême droite de convoi, seront tôt ou tard retournés contre les travailleurs en grève ou les opposants à la campagne de guerre de l’impérialisme canadien et américain contre la Russie.

(Article paru en anglais le 23 février 2022)

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