La candidate gaulliste à l'élection présidentielle française approuve la théorie conspirationniste du "Grand remplacement".

Valérie Pécresse, candidate à la présidence du Parti républicain gaulliste (Les Républicains, LR) à l’élection présidentielle française d’avril 2022, s’est retrouvée au cœur d’une polémique après avoir ouvert sa campagne en invoquant de violentes théories du complot néofascistes.

Valérie Pécresse en 2019 (Wikimedia Commons)

Lors d’une apparition publique le 13 février au stade Zénith pour lancer sa campagne, elle a déclaré: «Dans dix ans, serons-nous encore la septième puissance mondiale? Serons-nous encore une nation souveraine ou un auxiliaire des États-Unis, un pion de la Chine? Serons-nous une nation unie ou déchirée? Face à ces questions vitales, nous ne nous abandonnons pas à une fatalité aveugle. Ni à un grand remplacement ni à une grande perte de notre rang. Je vous appelle à une action urgente».

Au milieu d’une controverse croissante sur ses remarques, Pécresse a affirmé de manière peu convaincante que sa référence à la théorie a été mal interprétée. Cependant, d’autres parties de son discours contenaient également des appels sans ambiguïté aux traditions de collaboration avec le nazisme. Elle a déclaré: «Je veux des Français de cœur, et pas seulement des Français de papier». Pécresse s’est également attaquée à la minorité musulmane de France, qui compte plusieurs millions de personnes, en déclarant de manière provocante: «Marianne [la personnification de la France] n’est pas une femme voilée».

Ce sont là des appels sans ambiguïté au racisme politique. La théorie du «grand remplacement» est défendue par l’extrême droite en Europe et dans le monde. Elle affirme faussement que la population blanche majoritaire est victime d’un «génocide» dû à l’immigration en provenance des pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie.

De façon plus infâme encore, avant d’assassiner 49 musulmans lors des attentats terroristes de Christchurch en 2019 en Nouvelle-Zélande, le suprémaciste blanc Brendon Tarrant a publié un manifeste suprémaciste blanc, qu’il a intitulé «Le grand remplacement».

L’origine du terme «grand remplacement» est attribuée à l’auteur français Renaud Camus. Camus est aujourd’hui un partisan du candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle Eric Zemmour, qui s’est fait condamner pour incitation à la haine raciale en 2011 et 2022, et pour incitation à la haine contre les musulmans en 2018. La théorie de Camus affirme que les «élites remplacistes», dont on sous entend qu'elles seraient souvent juives, visent à remplacer la population blanche par des immigrants africains et arabes, un processus que Camus appelle «génocide par substitution».

Les attaques de Pécresse contre les «Français de papier» placent également son discours de campagne sans équivoque dans la tradition des appels fascistes au racisme politique. Ce terme est à jamais associé à son utilisation par les antisémites, allant de ceux qui ont soutenu la fausse condamnation de l’officier juif capitaine Alfred Dreyfus en 1894 aux défenseurs du régime français de Vichy, collaborateur des nazis, pendant la Seconde Guerre mondiale.

En 1894, l’écrivain d’extrême droite Charles Maurras, condamné pour trahison en 1944 pour avoir soutenu le dictateur français de Vichy, Philippe Pétain, a dénoncé les papiers de naturalisation comme étant «la proie de tout barbare».

L’expression «Français de papier» s’est répandue après la tristement célèbre Union sacrée entre les nationalistes d’extrême droite maurrassiens et les sociaux-démocrates pour soutenir la Première Guerre mondiale. Après la révolution prolétarienne d’octobre 1917 en Russie et dans le contexte de la prise de contrôle de l’Alsace par les Français après la victoire des Alliés sur l’Allemagne, l’expression s’est trouvée associée à des tentatives d’attiser le nationalisme français et de diviser la classe ouvrière. En 1922, le journal nationaliste Le Journal a dénoncé les Alsaciens naturalisés comme des «Français de papier» au «cœur resté allemand».

Jean-Marie Le Pen, le père de la candidate du Rassemblement national (RN) Marine Le Pen et fondateur du mouvement d’extrême droite française moderne, a souvent opposé les «vrais Français» à ceux qui ont reçu une «naturalisation de complaisance».

Les travailleurs et la jeunesse de France ne seront pas surpris d’apprendre que Pécresse est une servante réactionnaire de la classe dominante. Avant de se faire désigner comme candidate gaulliste à la présidentielle en décembre, elle était surtout connue pour les manifestations étudiantes massives et les grèves du personnel qu’elle a provoquées en tant que ministre de l’Éducation entre 2007 et 2009, avec ses coupes sombres dans le budget des universités. Son programme électoral prévoit de réduire les dépenses publiques de 45 milliards d’euros en réduisant fortement l’assurance chômage, les retraites et au moins 200.000 emplois dans le secteur public.

Alors que la pandémie fait encore plus de 200 morts par jour en France, Pécresse, comme les autres candidats principaux, n’en a pratiquement pas parlé pendant sa campagne. Elle combine le mépris pour les millions de morts de la pandémie avec des appels à une politique étrangère agressive. Lors d’une interview accordée à France-Culture, elle a promis de «rendre à la France son influence dans le monde», critiquant les «revers» tels que le récent retrait de la France du Mali et le rôle de la Russie.

Néanmoins, la référence non dissimulée de Pécresse au «grand remplacement» et aux traditions du nationalisme d’extrême droite français du 20e siècle n’est pas une décision purement personnelle, mais marque un nouveau tournant dans le mouvement vers la droite de la bourgeoisie européenne. Les médias l’ont d’ailleurs largement reconnu; le quotidien ex-maoïste Libération a écrit qu’après le discours de Pécresse, la France avait désormais un «troisième candidat d’extrême droite» après Le Pen et Zemmour.

L’apparition de slogans fascistes dans la campagne présidentielle du parti de la droite traditionnelle française s’inscrit dans un mouvement explosif de toute la bourgeoisie européenne vers l’extrême droite en réaction à la pandémie du COVID-19. En mai dernier, des milliers de militaires d’active et 23 généraux français à la retraite hostiles aux vaccins COVID-19 ont signé une lettre publiée dans le magazine d’extrême droite Valeurs actuelles. Dans cette lettre, ils exposent leurs plans pour un putsch d’extrême droite et la guerre civile qui s’ensuivra, qui entraînera des morts «par milliers».

L’escalade guerrière des puissances de l’OTAN contre la Russie va de pair avec un nouveau tournant vers l’extrême droite. Alors que, la classe dirigeante allemande a décidé de tripler son budget militaire, elle a aussi désavouée publiquement la politique de restriction militaire qu’elle a adoptée après la défaite de l’Allemagne nazie par l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. La bourgeoisie française, de son côté, intensifie son virage vers le racisme politique.

Cela souligne l’importance durable des positions avancées par le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), notamment lors de la crise électorale française de 2002. À ce moment-là, le discrédit des sociaux-démocrates a conduit à un second tour de l’élection présidentielle entre le président sortant gaulliste Jacques Chirac et le néo-fasciste Jean Marie Le Pen. Alors que des groupes petit-bourgeois comme la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) ont appelé à voter pour Chirac afin de faire barrage à la montée du néofascisme, le CIQI s’est opposé aux deux candidats.

Appelant à une campagne de boycott active, mobilisant la classe ouvrière pour la préparer à s’opposer à l’un ou l’autre des deux candidats, le CIQI a insisté sur le fait que la lutte contre la guerre et les régimes autoritaires dépendait de la mobilisation indépendante de la classe ouvrière contre le capitalisme.

Les avertissements du CIQI sur la faillite du gaullisme se sont trouvés pleinement confirmés par la suite des événements. Dans une notice nécrologique publiée après la mort de Chirac en 2019, le WSWS a écrit:

Le bilan de Chirac lors de son second mandat a justifié l’opposition du CIQI aux affirmations des partis de la pseudo gauche petite-bourgeoise selon lesquelles un vote Chirac était le meilleur moyen de bloquer la montée du néofascisme et de la guerre… La réaction de Chirac à la montée de la lutte des classes au cours de son second mandat a été un virage accéléré vers des politiques fascistes et militaristes. Face à la grève des enseignants, il a tenté de la démoraliser en faisant appel au racisme anti-musulman pour diviser les travailleurs, discutant et adoptant en 2004 une loi interdisant le voile musulman dans les écoles publiques. Sa réaction aux émeutes de 2005 a été d’imposer un état d’urgence de trois mois qui a suspendu les droits démocratiques fondamentaux.

La normalisation des appels au sentiment antimusulman poursuit la nécrologie, «a ouvert la voie à l’élite dirigeante pour intégrer le FN [aujourd’hui le Rassemblement national de Marine Le Pen] dans la politique bourgeoise dominante», dans le cadre d’une «volonté universelle de la bourgeoisie européenne de légitimer les politiques fascistes».

Le clin d’œil de Pécresse aux écrits de Renaud Camus, Zemmour et Tarrant constitue aujourd’hui un avertissement politique supplémentaire. À l’heure où la bourgeoisie mène des politiques d’infections massives aux COVID-19 et d’escalade guerrière contre la Russie avec le danger d’une guerre nucléaire, l’opposition à l’autoritarisme d’extrême droite ne peut prendre la forme d’un soutien aux partis capitalistes. Contre le danger de guerre et de néofascisme, la question décisive est la construction d’un mouvement international dans la classe ouvrière luttant contre la guerre impérialiste et pour le socialisme.

(Article paru d’abord en anglais le 1er mars 2022)

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