COVID-19: Le Brésil dépasse les 650.000 décès et la classe dirigeante adopte le discours de l’«endémie»

La semaine dernière, le Brésil a franchi le terrible cap des 650.000 décès causés par la COVID-19, alors même que l’administration du président fasciste Jair Bolsonaro adopte officiellement le récit selon lequel le virus mortel a atteint un stade «endémique».

En février, le pays a enregistré 22.000 décès, soit une moyenne de près de 800 décès par jour. Dans une interview accordée au quotidien Estadão, l’épidémiologiste de Fiocruz, Jesem Orellana, a souligné la gravité de la pandémie au Brésil: «Le nombre d’environ 650.000 décès connus au Brésil est tragiquement élevé (le deuxième plus élevé de la planète) et, dans la pratique, il est au moins 15% plus élevé en raison de la sous-déclaration.» Orellana a ajouté: «Il n’est pas impossible d’atteindre 700.000 ou même 800.000 décès connus dus à la COVID-19, car si nous continuons à faire passer les intérêts économiques avant la vie, nous continuerons à avoir de plus en plus de décès évitables...»

Dans une interview accordée à SOS Brasil Soberano, le neuroscientifique Miguel Nicolelis a donné l’ampleur du scénario de sous-déclaration au Brésil, qui empêche de déterminer le développement réel de la pandémie dans le pays. Il a rappelé les estimations de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) de l’Université de Washington sur le nombre réel d’infections au Brésil pendant la propagation d’Omicron: «Si la sous-déclaration était déjà de 10 à 20 fois dans les semaines précédant le Carnaval, maintenant nous ne pourrions même pas calculer... Certains modèles suggèrent que nous avons dépassé les 2 millions de cas par jour au pic [du variant Omicron en janvier-février].»

Contredisant le récit promu depuis novembre par le gouvernement et les médias bourgeois selon lequel Omicron est «bénin», Nicolelis a expliqué: «Si vous additionnez toutes les causes de décès au cours des deux derniers mois, nous avons eu plus de décès au cours de ces deux mois en 2022 qu’au cours des deux mêmes mois en 2021.» En janvier et février de l’année dernière, le Brésil connaissait la vague de décès provoquée par le variant Gamma, qui allait atteindre son pic en mars et avril, portée par la réouverture des écoles.

Aujourd’hui, un mois après le début de l’apprentissage obligatoire en classe et alors que seulement 45% des enfants âgés de 5 à 11 ans ont reçu la première injection du vaccin, on constate une nouvelle flambée de cas chez les enfants de cette tranche d’âge au Brésil. Un récent bulletin de Fiocruz a montré que le nombre de cas quotidiens de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) chez les enfants âgés de 5 à 11 ans est déjà égal à son pic de la dernière semaine de 2021, avec 400 cas par jour. Fiocruz avertit que «les données préliminaires de laboratoire suggèrent un arrêt de la chute des résultats positifs pour le SRAS-CoV-2 (COVID-19).»

Le 4 mars, Belo Horizonte, la capitale du Minas Gerais, a enregistré une augmentation de l’occupation des lits des unités de soins intensifs de COVID-19, qui est passée de 40,1 % à 43,7 % en 24 heures. Aujourd’hui, le taux d’occupation des lits de soins intensifs pédiatriques est de 100 % à Salvador, capitale de Bahia, et dans le district fédéral.

L’augmentation des infections et des hospitalisations liées à la COVID-19 contraste avec la réaction du gouvernement et des médias, les nouvelles de la pandémie ayant disparu de la une des grands journaux avant même le début de la guerre en Ukraine. Face à la situation actuelle, Bolsonaro, suivant les actions des gouvernements et des classes dirigeantes du monde entier, a tweeté jeudi que son ministère de la Santé «étudie le déclassement de la situation actuelle de la COVID-19 au Brésil en situation endémique», une décision étant attendue dans les prochains jours.

Presque au même moment, le gouverneur de l’État de São Paulo, João Doria, a annoncé que l’obligation de porter un masque dans les lieux ouverts serait abandonnée à partir du 9 mars. Dans l’État de Rio de Janeiro, l’obligation de porter un masque dans tout établissement sera désormais décidée par chaque mairie, tandis que le district fédéral et Belo Horizonte ont complètement abandonné cette obligation.

Les transports publics après la levée du port obligatoire du masque à Rio de Janeiro (Photo: Agência Brasil)

La semaine dernière, le secrétaire à la Santé de l’État de São Paulo, Rossieli Soares, a déclaré qu’une décision serait prise dans les deux prochaines semaines concernant le port de masques dans les salles de classe. Avant d’être interdite par le tribunal ce samedi, l’obligation de porter un masque pour les enfants de moins de 12 ans avait déjà été abandonnée dans l’État de Rio Grande do Sul depuis le 26 février.

Les déclarations de Bolsonaro et des gouverneurs ignorent criminellement l’expérience de la pandémie au cours des deux dernières années. La transmission continue du SRAS-CoV-2 a permis l’émergence de mutations plus transmissibles et la réinfection de personnes déjà infectées par le virus. Bien qu’il ne soit pas encore devenu important au Brésil, le sous-variant Omicron BA.2, plus transmissible, est déjà la souche dominante dans plusieurs pays.

Sur CNN Brasil, le vice-président de la Société brésilienne d’infectiologie, Alexandre Naime Barbosa, a déclaré à propos du sous-variant: «Nous pouvons dire que dans les deux prochains mois, la tendance est à la baisse du nombre de cas, à la baisse du nombre d’hospitalisations. Ceci si aucun variant ne se présente. Maintenant, si le BA.2 commence à prédominer, nous pourrions avoir des problèmes dans les six, huit ou douze semaines.»

Après des mois pendant lesquels Omicron a été déclaré «bénin» par les gouvernements et les médias bourgeois du monde entier, la pandémie atteindrait un stade supposé «endémique», où la mort à grande échelle devient acceptable.

La vaccination a été présentée comme la seule mesure permettant de contrôler le virus, qui doit être traité comme la grippe. L’utilisation trompeuse du concept d’endémie par l’administration Bolsonaro, suivant les traces de l’administration de Joe Biden aux États-Unis, vise à justifier l’acceptation d’une «nouvelle normalité» de mort massive et de millions de personnes souffrant des effets de la COVID longue.

Parmi les scientifiques qui dénoncent l’adoption de la COVID-19 «endémique», l’épidémiologiste australienne, le Dr Raina MacIntyre, explique:

«Le déni de la science de l’épidémiologie est très répandu, même chez les 'experts'. On nous répète sans cesse que le SRAS-CoV-2 va devenir 'endémique'. Mais il ne sera jamais endémique parce que c’est une maladie épidémique et qu’il en sera toujours ainsi. La différence essentielle est la propagation. En tant que maladie épidémique, le SRAS-CoV-2 trouvera toujours les personnes non vaccinées, insuffisamment vaccinées ou dont l’immunité est affaiblie et se propagera rapidement dans ces groupes. En règle générale, les véritables infections épidémiques se propagent d’une personne à l’autre, le pire étant la transmission par voie aérienne, et présentent un profil de croissance et de décroissance, comme nous l’avons déjà vu avec les multiples vagues de SRAS-CoV-2. Les cas augmentent rapidement en quelques jours ou semaines, comme nous l’avons vu avec Alpha, Delta et Omicron. Aucune maladie véritablement endémique – le paludisme, par exemple – ne présente un tel schéma.»

De plus, en conjonction avec le discours de l’«endémicité», la campagne pour la fin des mesures de protection contre la COVID-19 crée les conditions d’une exploitation effrénée de la classe ouvrière, avec une pression toujours plus forte pour que les travailleurs présentant des symptômes retournent sur leur lieu de travail, et que les enfants restent à l’école quel que soit le risque d’épidémie pour que leurs parents aillent dans les usines, les entrepôts et autres lieux de travail bondés pour assurer les profits des grandes entreprises.

Le vaccin est un élément essentiel de la lutte contre la pandémie, mais la campagne menée par les médias et les gouvernements pour faire accepter la pandémie montre son effet catastrophique dans la baisse des taux de vaccination. Seulement 40,37 % des personnes de plus de 18 ans ont eu une dose de rappel dans tout le Brésil, et dans l’État de São Paulo, le nombre d’injections de rappel est passé de 1.734.966 dans la deuxième semaine de janvier à 443.662 la semaine dernière.

En opposition à la campagne des gouvernements capitalistes, qui forcent la population à accepter la «nouvelle normalité» des infections massives à la COVID-19 et des décès, la classe ouvrière doit lutter pour construire un mouvement de masse pour mettre fin à la pandémie.

Seules des mesures de santé publique sérieusement appliquées, comme les confinements temporaires, les tests de masse et la recherche des contacts, la vaccination de l’ensemble de la population mondiale et le port du masque, sont capables de mettre fin aux infections et aux décès à grande échelle.

La compréhension de la nécessité de mesures de protection collective est décisive pour la mise en œuvre d’un programme d’élimination-éradication. Sur la page Facebook du Comité de base pour une éducation sûre au Brésil (CBES-BR), les travailleurs se sont exprimés favorablement à cette demande, dénonçant la levée des restrictions contre la COVID-19.

Karla, une mère de famille du district fédéral, dénonce la campagne pour la fin du masque obligatoire et la dissimulation de la situation de la COVID-19 dans les écoles: «Ici, dans le DF, le gouverneur a encore abandonné le port obligatoire du masque dans les milieux ouverts. Il n’y a pas de nouvelles de la situation dans les écoles, elle a toujours été camouflée et remplie de mensonges, ils ne feront jamais connaître une situation négative qu’il pourrait y avoir.»

Elle a souligné la possibilité de nouvelles épidémies après la fête du Carnaval, qui a eu lieu la semaine dernière, a dénoncé le discours de l’«endémicité» et a préconisé des mesures de protection: «Attendons l’après-Carnaval, où il y avait beaucoup de foules sans aucune prise en charge ni protection. Je n’ai rien entendu sur l’abandon du port du masque dans les écoles. Ce que j’ai entendu aujourd’hui, c’est que la folle soi-disant ministre de la Santé veut changer la pandémie en endémie. La seule certitude absolue que j’ai, c’est que je vais continuer à porter un masque, à pratiquer la distanciation et à emporter du désinfectant à base d’alcool à 70%; je n’ai aucune difficulté ni aucun inconvénient à continuer à me protéger.»

Esmeralda, enseignante dans l’État du Ceará, a critiqué la fin du port obligatoire du masque dans les écoles: «Il me semble que le Rio Grande do Sul va se passer de l’utilisation des masques. Je ne voudrais pas que la même chose se produise ici. Le port du masque est difficile, mais encore très nécessaire.»

(Article paru en anglais le 8 mars 2022)

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