Hostilité populaire contre le dénigrement pro-guerre de la statue d’Engels à Manchester, au Royaume-Uni

La campagne guerrière des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie s’accompagne d’une campagne de propagande idéologique frénétique contre tout ce qui est russe. Cette campagne chauvine vise non seulement à légitimer, mais aussi à encourager une base sociale favorable à la guerre contre la Russie dans la classe moyenne aisée.

Le caractère avili des efforts déployés pour obtenir le retrait d’une statue de Friedrich Engels à Manchester révèle le programme pro-guerre qui se cache derrière les récriminations officielles sur le sort de l’Ukraine.

Le mémorial d’une figure historique mondiale qui, avec Karl Marx, a sonné le tocsin d’un mouvement socialiste révolutionnaire contre le nationalisme, le militarisme et la guerre, «Travailleurs du monde, unissez-vous!», est remis en question en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cet argument ouvertement anticommuniste est avancé en dépit de l’hostilité déclarée du régime capitaliste de Vladimir Poutine à l’égard de la révolution d’Octobre et de son adhésion au chauvinisme grand-russe qui est contraire aux fondements internationalistes sur lesquels l’Union soviétique a été établie.

Pour cette raison, l’hostilité populaire suscitée par cette attaque revêt une grande importance politique. Elle est la preuve que la majorité de la classe ouvrière n’a pas été emportée par la fièvre guerrière officielle et y est hostile.

La statue d’Engels après son inauguration à Manchester lors d’une cérémonie en 2017 (WSWS Media)

La statue d’Engels (1820-1895) a été érigée pour marquer l’événement de clôture du Manchester International Festival (MIF) [article en anglais] of the arts de 2017. Engels a vécu à Manchester pendant plus de 20 ans et son ouvrage La situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845) était une révélation marxiste dévastatrice de la pauvreté brutale dans la ville.

Mais l’inspiration de l’artiste Phil Collins, sélectionné pour le prix Turner, est en fait venue lors d’une visite en Ukraine, au cours de laquelle il a négocié l’acquisition et le transport d’une statue d’Engels datant de l’ère soviétique sur la Place Tony Wilson, à l’extérieur du centre HOME pour le cinéma et le théâtre contemporains. La statue d’Engels a été offerte à l’achat en raison de l’hystérie anticommuniste générée par le gouvernement ukrainien de droite. Érigée à l’origine en 1970 à Mala Pereschchepina, un village en Ukraine, elle a été retirée en 2015, coupée en deux et laissée en deux morceaux.

Plus de 600 personnes se sont pressées sur le stationnement voisin du Bridgewater Hall pour célébrer l’inauguration de la statue, avec une projection en direct liée au dévoilement. Dans une partie filmée de l’événement, Collins a entrecoupé le voyage de la statue à travers l’Europe avec des images de la vie ouvrière à Manchester et des entrevues en direct avec des membres du public. La statue a été chaleureusement accueillie par la classe ouvrière de Manchester.

À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le journal local The Mill a tweeté ce commentaire du HOME: «À la lumière de l’invasion illégale de l’Ukraine par l’armée russe, nous sommes en discussion avec les co-commissaires de l’œuvre [MIF] et l’artiste Phil Collins sur la meilleure façon de réagir.»

The Mill a également tweeté l’explication du HOME selon laquelle il s’agissait «d’une œuvre précédemment co-commandée».

Le HOME submergé par le soutien à Engels

Le HOME s’attendait manifestement à ce qu’une association implicite avec la Russie entraîne un soutien en faveur du retrait de la statue. Il avait tort.

Des centaines de personnes ont répondu aux tweets de The Mill/HOME, et la grande majorité d’entre elles soutenaient Engels.

Une personne a tweeté à propos d’Engels: «Ses politiques sont détestées par Poutine. En fait, le mois dernier, Poutine a attribué à ces politiques la responsabilité pour le fait que l’Ukraine ne fasse plus partie de la Russie... Beaucoup de Russes s’opposent à cette guerre.»

Un autre a commenté: «Cela a commencé par des [actions] antislaves il y a quelques jours, maintenant c’est anticommuniste. Cela devrait bien se terminer.»

Lorsqu’un lecteur a demandé sarcastiquement si le HOME avait également interdit de jouer Tchaïkovski, Matthew Booth, a écrit: «Je ne suis pas sûr de cela, mais j’ai vu un tweet plus tôt cette semaine de quelqu’un qui disait se sentir malade quand il entendait Tchaïkovski maintenant. J’aimerais dire qu’ils plaisantaient, mais ce n’était pas le cas.»

Depuis, l’orchestre philharmonique de Cardiff a retiré l’ouverture 1812 de Tchaïkovski de son répertoire de concert.

Caio Almendra a écrit : «Engels était un militant antiguerre allemand. La Russie contemporaine est une économie capitaliste qui ne suit aucun des écrits d’Engels et Poutine déteste le communisme. Cela n’a rien à voir avec la guerre, n’est-ce pas?»

Des lecteurs ont cité Marx et Engels selon lesquels «Aucune nation ne peut être libre si elle opprime d’autres nations.»

Doug Fender a cité Engels écrivant en 1887 sur l’impossibilité «de prévoir comment tout cela finira et qui sortira vainqueur de la lutte; un seul résultat est absolument certain: l’épuisement général et la création des conditions nécessaires à la victoire finale de la classe ouvrière.»

Il aurait également pu citer le commentaire d’Engels en ouverture de ce texte, dans lequel il prédisait le carnage de la Première Guerre mondiale avec une précision étonnante plusieurs décennies avant qu’elle n’éclate:

«[…] Il n’y aura plus pour la Prusse-Allemagne d’autre guerre possible qu’une guerre mondiale, et, à la vérité, une guerre mondiale d’une ampleur et d’une violence encore jamais vues. Huit à dix millions de soldats s’entr’égorgeront; ce faisant, ils dévoreront toute l’Europe comme jamais encore ne le fit encore une nuée de sauterelles. Ce sera les dévastations de la guerre de Trente Ans, condensées en trois ou quatre années et répandues sur tout le continent: la famine, les épidémies, la férocité générale, tant des armées que des masses populaires, provoquée par l’âpreté du besoin, la désespérante confusion de fonctionnement du mécanisme artificiel régissant notre commerce, notre industrie et notre crédit ; et enfin la banqueroute générale. L’effondrement des vieux États et de leur sagesse politique routinière sera tel que les couronnes rouleront par douzaines.»

Il était possible d’apprécier dans les commentaires une sympathie saine pour Engels en tant que socialiste ayant abordé les conditions de la classe ouvrière, et sa pertinence pour aujourd’hui: «Nous sommes censés être les bastions de la démocratie et pourtant nous avons une conversation publique sur la statue d’un homme dont le crime semble être ses pensées pionnières sur le sort des pauvres.»

Un tweet a suggéré que le Mill lise La situation de la classe laborieuse en Angleterre «et fasse peut-être un article sur ce qui a changé? (Pas beaucoup).»

«Aucun ouvrier en Angleterre... ne m’a jamais traité en étranger»

Il convient également de noter ce qu’Engels écrivait en 1845 à propos de la classe ouvrière :

«Aucun ouvrier en Angleterre […] ne m’a jamais traité en étranger. J’ai eu le plus grand plaisir à vous voir exempts de cette funeste malédiction qu’est l’étroitesse nationale et la suffisance nationale et qui n’est rien d’autre en fin de compte qu’un égoïsme à grande échelle: j’ai observé votre sympathie pour quiconque consacre honnêtement ses forces au progrès humain, qu’il soit anglais ou non – votre admiration pour tout ce qui est noble et bon, que cela ait grandi sur votre sol natal ou non; j’ai trouvé que vous étiez bien plus que les membres d’une nation isolée, qui ne voudraient être qu’Anglais; j’ai constaté que vous êtes des hommes, membres de la grande famille internationale de l’humanité, qui avez reconnu que vos intérêts et ceux de tout le genre humain sont identiques.»

Engels dans sa jeunesse

Cette réaction de classe s’est poursuivie, obligeant le HOME à battre en retraite – en publiant une déclaration selon laquelle «il n’y a pas d’intention de retirer l’installation artistique de Friedrich Engels de la façade de notre bâtiment».

Cependant, le HOME a ensuite ajouté: «Étant donné les origines de l’œuvre d’art, toutes les personnes impliquées pensent qu’il est important que nous considérions sa signification dans le contexte de l’invasion illégale de l’Ukraine par l’armée russe. Nous voulons également faire plus pour expliquer comment l’installation est arrivée à Manchester et les raisons qui ont motivé cela.»

Nick Thornsby, un libéral-démocrate local, a décrit la statue comme «une insulte extraordinaire au peuple ukrainien, pour qui Engels représente une partie sinistre de l’histoire du pays.» Il a suggéré «d’enlever au moins temporairement la statue et de la remplacer par un drapeau ukrainien».

Thornsby est un ignare politique, qui est sans doute parfaitement inconscient qu’Engels a toujours défendu l’indépendance de l’Ukraine vis-à-vis de la Russie tsariste.

Ce thème a été abordé par diverses personnalités hostiles, de droite et libérales, depuis que la statue a été érigée. Dans un article du Guardianpublié en 2017, l’archiviste local Kevin Bolton s’était opposé à l’installation de la statue à Manchester au motif fallacieux qu’il s’agissait de propagande soviétique, prétendument installée sans discussion appropriée avec la communauté ukrainienne de la ville. Bolton «a été attiré par la peinture bleue et jaune délavé du drapeau ukrainien sur les jambes... Une partie de moi avait envie de repeindre la statue aux couleurs ukrainiennes.» Cette solution a maintenant été proposée comme alternative à l’enlèvement de la statue.

Les lois ukrainiennes d’extrême droite sur la «décommunisation» célèbrent le fasciste Stepan Bandera et d’autres collaborateurs nazis

Quelle est la signification réelle du lien entre la statue d’Engels et l’Ukraine? Le processus de «décommunisation» a commencé en 1991 avec la dissolution de l’Union soviétique par la bureaucratie stalinienne, mais s’est accéléré en 2015. Un an plus tôt, les manifestations de Maidan ont éclaté à Kiev, soutenues par les États-Unis à coups de milliards de dollars et dans lesquelles des forces d’extrême droite et ouvertement fascistes ont joué un rôle de premier plan, se sont soldées par un coup d’État évinçant le gouvernement pro-russe du président Viktor Ianoukovitch. Le nouveau régime pro-américain et pro-européen dirigé par Petro Porochenko a interdit tous les symboles soviétiques. Des lois ont autorisé l’élimination des monuments communistes (à l’exclusion des monuments de la Seconde Guerre mondiale) et le changement de nom des lieux publics. En mai 2015, 22 villes et 44 villages ukrainiens ont été renommés. En 2016, 51.493 rues, 987 villes et villages ont été renommés, et plus de 2.000 monuments ont été retirés.

Alors que les statues de grandes figures marxistes ont été retirées par le gouvernement d’extrême droite ukrainien, le fasciste ukrainien Stepan Bandera et d’autres collaborateurs nazis ont été désignés «héros nationaux» [article en anglais]. Bandera, en tant que chef de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN-B) et de sa formation militaire, l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), a supervisé le massacre de centaines de milliers de Juifs et de Polonais pendant la Seconde Guerre mondiale.

En décembre 2019, le conseil municipal de Kiev a renommé l’avenue Moskovsky en l’honneur de Bandera et a changé l’avenue du général Vatutin en avenue de Roman Shukhevych. En tant que chef de l’UPA, Shukevych a joué un rôle déterminant dans la réalisation du nettoyage ethnique des Polonais et des Juifs en Ukraine occidentale. En plus d’être général de l’UPA, Shukevych a servi comme commandant du bataillon Nachtigall et du 201e bataillon Schutzmannschaft, dirigés par des nazis et composés de nationalistes ukrainiens d’extrême droite.

Poutine, ancien fonctionnaire stalinien du KGB, est un anticommuniste tout aussi fervent que ses opposants ukrainiens. Il a dénoncé les bolchéviques pour avoir «découpé le pays en morceaux», affirmant que «la Russie avait été volée» et déclarant au moment d’envahir l’Ukraine: «Nous sommes prêts à vous montrer ce que signifie une véritable décommunisation pour l’Ukraine.»

La statue de Friedrich Engels à Manchester, devant le centre des arts HOME. On peut voir les traces de peinture jaune et bleue laissées par la dégradation de la statue en Ukraine (WSWS Media)

La défiguration aux couleurs de l’Ukraine de la statue d’Engels à Mala Pereschchepina (le village s’appelait autrefois Engels) est le résultat de la réaction nationaliste activement encouragée par les puissances occidentales depuis 2014, alors qu’elles multipliaient ses provocations contre la Russie. Mais lorsque la statue a été démontée, le chef du conseil du village de Mala Pereschchepina a décidé de la préserver «en attendant des jours meilleurs». Elle est restée dehors, dans le parc d’une crémerie privée, jusqu’à ce que Collins en prenne possession.

La lutte qui se poursuit autour de la statue d’Engels à Manchester révèle sa stature durable parmi les travailleurs et les jeunes les plus conscients de leur classe, qui prennent position contre la fièvre guerrière générée par les dirigeants britanniques. C’est une indication de ce qui est encore à venir.

En 1845, Engels a conclu sa lettre de dédicace de La situation de la classe laborieuse en Angleterre aux travailleurs de Grande-Bretagne par des mots qui restent aussi vrais aujourd’hui qu’à l’époque :

«Bien des épreuves vous attendent encore; soyez fermes, ne vous laissez pas décourager, votre succès est certain et chaque pas en avant, sur cette voie qu’il vous faut parcourir, servira notre cause commune, la cause de l’humanité!»

(Article paru en anglais le 11 mars 2022)

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