Silence dans les médias et la «gauche» travailliste sur le danger d’extradition d’Assange

Julian Assange a été amené un peu plus près de ses bourreaux potentiels, lundi. La Cour suprême du Royaume-Uni a rendu une décision d’une ligne qui refusait d’entendre l’appel du fondateur de WikiLeaks contre une décision antérieure qui ordonnait son extradition vers les États-Unis.

L’affaire va maintenant être renvoyée au tribunal d’origine pour une formalité avant d’être transmise à la ministre de l’Intérieur, Priti Patel, qui donnera l’ordre final. Une fois que Patel aura reçu le dossier, Assange pourrait prendre l’avion pour les États-Unis dans quatre semaines seulement, sauf pour d’autres appels qui seront inévitablement tentés.

Julian Assange [Photo by David G. Silvers, Cancillería del Ecuador / CC BY-SA 2.0]

Le gouvernement Biden a l’intention de poursuivre Assange pour des charges qui relèvent de la loi sur l’espionnage, avec une peine potentielle de 175 ans de prison. Assange purgerait cette peine dans des conditions barbares qui, selon des jugements antérieurs, pourraient le pousser au suicide. Sa santé a déjà été détruite par des années d’incarcération dans la prison de haute sécurité de Belmarsh en Grande-Bretagne.

Malgré l’immense danger auquel est confronté le journaliste le plus important du XXIe siècle, de nombreux grands journaux n’ont pas couvert la décision de la Cour suprême. Ceux qui l’ont fait ont publié des articles superficiels, en grande partie sans commentaire.

Le principal journal libéral britannique, le Guardian, n’a pas écrit une seule ligne critique dans son article superficiel de 350 mots, ne citant que deux phrases de son équipe juridique. Le New York Times américain n’a pu qu’écrire: «Si M. Assange était extradé vers les États-Unis et devait faire face à un procès, l’affaire pourrait soulever de profondes questions liées au premier amendement. Sa poursuite alarme les défenseurs de la liberté de la presse».

Ce sont des publications qui ont passé les dernières semaines à hurler contre la censure, les attaques contre la liberté d’expression et les libertés journalistiques commises par le président russe Vladimir Poutine. Lorsque parler des droits démocratiques va dans le sens des objectifs de guerre impérialistes, ils en sont les fervents défenseurs. Dans le cas d’Assange, qui a démasqué les crimes systématiques des impérialismes américain et britannique, les «principes démocratiques» qu’ils défendent si farouchement en Russie fondent comme neige au soleil.

La guerre entre l’OTAN et la Russie au sujet de l’Ukraine n’a pas seulement accéléré la persécution d’Assange, elle a aussi intensifié son isolement long et délibéré par les médias bourgeois.

Lors d’un briefing avec l’Association de la presse étrangère le mois dernier, pour présenter son nouveau livre «The Trial of Julian Assange: A Story of Persecution», le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, a accusé les médias grand public de ne pas remplir leur devoir de «quatrième pouvoir», qui est de demander des comptes aux gouvernements. Le livre de Melzer est basé sur les efforts qu’il a déployés pendant trois ans pour mettre fin aux mauvais traitements illégaux infligés au fondateur de WikiLeaks.

Le professeur Nils Melzer lors d’une séance de questions-réponses avec l’Association de la presse étrangère (capture d’écran de la vidéo YouTube/Don’t Extradite Assange Campaign)

Il y critique les reportages «trop peu, trop tard», «insipides et boiteux» de la presse britannique, américaine et des États-Unis, démasquant leur pseudosoutien cynique à Assange:

«On trouve une poignée d’articles d’opinion peu enthousiastes publiés dans le Guardianet le New York Times, qui rejettent l’extradition d’Assange, mais qui ne sont pas assez audacieux et ne parviennent donc pas à convaincre. Même si ces deux journaux ont timidement déclaré que la condamnation d’Assange pour espionnage mettrait en danger la liberté de la presse, pas un seul média grand public ne proteste contre les violations flagrantes de la procédure régulière, de la dignité humaine et de l’État de droit qui caractérisent l’ensemble du procès. Aucun ne demande aux gouvernements impliqués de rendre des comptes pour leurs crimes et leur corruption; aucun n’a le courage de poser des questions gênantes aux dirigeants politiques; aucun ne se sent tenu d’informer et de donner du pouvoir au peuple: un pâle reflet de ce qui était autrefois le “quatrième pouvoir”».

En pleine frénésie guerrière et de la nécessité de présenter la Grande-Bretagne et les États-Unis comme les champions de la démocratie mondiale, même l’époque de l’article d’opinion peu enthousiaste est révolue.

L’argument de Melzer va bien au-delà des médias. Le rapporteur de l’ONU est l’une des rares personnalités publiques de premier plan, toutes sphères confondues, à avoir un dossier honorable sur Assange. Lors de son événement à la FPA, il a décrit son incapacité à demander réparation «par les voies diplomatiques à ma disposition, ou en alertant l’Assemblée générale [des Nations unies] ou le Conseil des droits de l’homme à Genève», décrivant Assange comme «le cas intouchable», maintenu derrière un «mur du silence».

Parmi les silences les plus significatifs, on retrouve celui de la «gauche» britannique.

En juillet 2020, seuls 26 députés ont pu se résoudre à signer une motion d’ajournement, «Julian Assange, la liberté de la presse et le journalisme d’intérêt public» qui affirmait: «Cette Assemblée prend note de la déclaration de juillet 2020 du “Syndicat national des journalistes” (National Union of Journalists), de la Fédération internationale des journalistes, de Reporters sans frontières, et d’autres organisations concernant le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, et déclare son engagement en faveur de la liberté de la presse et du journalisme d’intérêt public».

Parmi les signataires figurent 16 députés travaillistes, dont le désormais ancien chef du parti Jeremy Corbyn et plusieurs de ses députés fantômes: John McDonnell, Diane Abbott, Rebecca Long-Bailey, Ian Lavery et Clive Lewis.

De ce groupe, une seule personne, Claudia Webbe, s’est exprimée sur Assange depuis la décision de la Cour suprême. Webbe n’est plus députée travailliste, ayant été exclue du parti après une condamnation pour harcèlement criminel. Elle a simplement tweeté: «Julian Assange devrait être libre».

Le chancelier de l’ombre de la Grande-Bretagne, John McDonnell, à gauche, fait l’accolade à Jeremy Corbyn, alors chef Parti travailliste d’opposition de Grande-Bretagne, pendant son discours sur scène lors de la conférence du Parti travailliste au Brighton Centre à Brighton, en Angleterre, le lundi 23 septembre 2019 (AP Photo/Kirsty Wigglesworth) [AP Photo/Kirsty Wigglesworth]

La dernière fois que Corbyn, McDonnell, Abbott ou Burgon, censés être des figures de proue de la campagne pour la liberté du fondateur de WikiLeaks, ont même tweeté sur Assange, c’était le 24 janvier. Leur soutien a toujours été symbolique, motivé par le souci de préserver leur crédibilité «progressiste». Dans le contexte d’une escalade de la guerre de l’OTAN contre la Russie, à laquelle ils s’adaptent tous, même un soutien symbolique est dépassé.

McDonnell et Abbott ont montré le chemin à suivre au début du mois, en retirant leur signature d’une déclaration de la coalition Stop the War qui critique l’OTAN et en se retirant du panel lors de son rassemblement national à Londres. Au lieu de cela, McDonell a participé à un rassemblement pro-OTAN aux côtés du porte-parole de l’impérialisme Paul Mason.

Il a continué à afficher clairement ses priorités politiques lundi, ignorant la décision de la Cour suprême concernant Assange, tandis qu’il tweetait à propos de la protestation antiguerre «incroyablement courageuse» de la rédactrice en chef des informations Marina Ovsyannikova sur la chaîne russe Channel 1. Lors d’une émission en direct, Ovsyannikova a brandi une pancarte sur laquelle on pouvait lire: «Pas de guerre, arrêtez la guerre, ne croyez pas la propagande, ils vous mentent».

Un socialiste aurait pu faire remarquer que le même slogan résume les convictions d’Assange, pour lesquelles il est actuellement enfermé dans une prison britannique et menacé d’une peine de mort effective, félicitant Ovsyannikova tout en démasquant l’hypocrisie des impérialismes britannique et américain. Ils auraient également pu noter qu’une telle protestation n’a jamais été organisée sur une chaîne d’information britannique pendant les guerres en Irak, en Afghanistan, en Libye ou en Syrie, condamnant le conformisme lâche des médias.

Mais McDonnell, Corbyn et consorts font partie du même milieu pourri, attaché à la sainteté de l’État et de ses institutions, surtout le Parti travailliste, qui remplit désormais son rôle de «parti de l’OTAN» sous la direction de sir Keir Starmer. Ils ne peuvent offrir aucune opposition sérieuse à l’impérialisme britannique et à son bellicisme et ne font aucune défense des droits démocratiques, qui seront de plus en plus restreints à mesure que la crise de la guerre et ses implications intérieures s’aggraveront.

La résistance à ces mesures viendra d’un mouvement de la classe ouvrière politiquement indépendant. WikiLeaks et Assange ont gagné une énorme sympathie populaire parmi les travailleurs pour leur travail il y a 10 ans. Alors que la lutte des classes se développe, entraînant des millions de personnes dans des conflits féroces avec leurs gouvernements, ce sentiment peut être ravivé par une campagne déterminée de la classe ouvrière qui vise à construire un mouvement contre la guerre et pour la liberté de Julian Assange.

(Article paru en anglais le 16 mars 2022)

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