Le cabinet du premier ministre a été directement impliqué dans le licenciement par P&O de 800 employés de ferry jeudi dernier. Les mensonges du gouvernement Johnson selon lesquels il n'avait aucune connaissance préalable des faits sont totalement discrédités.
Les équipages ont été licenciés via un appel Zoom de trois minutes. Les travailleurs ont été expulsés de leurs navires par des voyous payés portant des cagoules et brandissant des menottes.
L'Evening Standard a rapporté samedi: «Bien qu'il ait précédemment prétendu ne pas être au courant des plans de licenciement du personnel, le porte-parole [du Premier ministre Boris Johnson] a confirmé que certains responsables avaient été informés par P&O, un jour avant son annonce mercredi.»
Le Sunday Times a fourni des détails montrant que de telles attaques massives contre les moyens de subsistance ne sont jamais simplement conçues par les entreprises impliquées, mais entrainent les travailleurs dans un affrontement contre le gouvernement et l'État. Une note d'information rédigée par un haut fonctionnaire du gouvernement a été diffusée dans les ministères un jour avant l'opération. La note déclarait: «Tout porte à croire que P&O Ferries a l'intention d'essayer de réembaucher de nombreux employés selon de nouvelles conditions générales ou d'utiliser le personnel d’agences d’intérim pour redémarrer les traversées; ils estiment que l'interruption des services durera 10 jours.»
L'opération brutale était nécessaire car «Ces changements les aligneront [P&O] sur d'autres entreprises du secteur qui ont entrepris d'importantes suppressions d’emplois.»
Selon des informations, P&O paie des remplaçants en provenance d'Inde, des Philippines et d'Ukraine un salaire de misère de1.82 £ de l'heure (2.18 euros). Le salaire minimum britannique est de 8,91 £ (10.71 euros) pour les travailleurs de plus de 23 ans.
P&O a déjà pu assurer certaines de ses routes principales, les navires assurant les traversées Liverpool-Dublin étant revenus à la normale samedi. Le syndicat des réseaux ferroviaires, maritimes et des transports (RMT) a déclaré que «deux navires P&O sur la route Liverpool-Dublin qui ont été attribués un équipage philippin… étaient sous contrat pour un salaire de base de 3,14 euros de l'heure». Le RMT a également signalé que «les équipages des ferries P&O à Douvres ont été remplacés par des marins indiens payés 2,15 euros de l'heure».
Le RMT, le syndicat Nautilus et le Parti travailliste affirment mener une lutte héroïque pour défendre les travailleurs licenciés. Mais cette attaque contre les moyens de subsistance des travailleurs se déroule depuis des années dans l'industrie des ferries et du transport maritime, avec la complicité des syndicats.
Même le genre d'attaque montée jeudi dernier avait déjà été menée par Irish Ferries en 2005(article en anglais). Irish Ferries avait «changé» le pavillon de trois Irish Sea Ferries d’Irlande pour celui de Chypre afin de réduire les coûts et les conditions de travail. Il proposa de licencier un tiers de ses effectifs afin de les remplacer par des travailleurs moins bien rémunérés d'Europe centrale et orientale. Le 24 novembre 2005, la société a embauché des agents de sécurité pour monter à bord de l' Isle of'Inishmore dans le but de prendre le contrôle du navire. De nouveaux employés montèrent également à bord du ferry en même temps.
Les licenciements collectifs ont déclenché une grève de 20 jours, qui a pris fin (article en anglais)lorsque le Syndicat des services, de l'industrie, des professionnels et des techniques a conclu un accord de trois ans avec Irish Ferries qui entérinait le licenciement de centaines de ses membres et leur remplacement par des intérimaires employés par une agence d’intérim chypriote. Les équipages étrangers recevaient le salaire minimum de seulement 7,65 € de l'heure et le syndicat s’engagea de ne plus faire de grève.
La principale plainte du RMT et de Nautilus est que P&O ne les a pas consultés sur la manière de se débarrasser des travailleurs. Si P&O l'avait fait, le résultat aurait été le même. Il y a moins de deux ans, alors que la pandémie sévissait, P&O a pu supprimer 1.100 emplois avec la complicité du RMT.
Les compagnies de ferry exploitent depuis des années le fait que les lois britanniques du travail dispensent les compagnies maritimes de payer le salaire minimum national si l'équipage ne réside pas en Grande-Bretagne. Les entreprises enregistrent régulièrement leurs navires dans des pays étrangers, ce qui leur permet de bafouer la législation du travail. En 2019, les navires britanniques de P&O Ferries sont passés sous pavillons chypriote et bahaméen.
Mardi, le secrétaire général du RMT, Mick Lynch, a levé par inadvertance un coin du voile sur ce que le syndicat savait et a laissé passer sans s’y opposer. Il a expliqué: «Nous devions avoir une réunion avec l'entreprise vendredi, puis jeudi, ils ont licencié tous nos membres.»
Le député travailliste Karl Turner a admis: «P&O a admis auparavant lors de réunions avec moi et le RMT, ils ont dit 1.82 £ de l'heure (2.18 euros).»
A bord du Pride of Rotterdam (port d’attache Hull), «ils travaillent huit semaines d’affilées et deux semaines de repos», a-t-il déclaré. «Ils font des quarts de travail de 12 heures avec une courte pause pour manger […] Ils sont hébergés dans de terribles logements de type multi-occupation à Hull, séjournant très souvent dans des auberges pour environ 9 £ la nuit. Certains ont l’habitude de planter des tentes pendant quinze jours».
Des reportages de presse de janvier 2020 montrent que le RMT savait que P&O avait recruté une centaine de travailleurs philippins pour remplacer des travailleurs originaires principalement du Portugal et de Lituanie, afin d'établir une nouvelle référence pour les bas salaires à 2.09 euros de l'heure (moins de 84.08 euros par semaine). Lynch a déclaré misérablement que le syndicat avait soulevé la question à l'époque avec les ministres du gouvernement conservateur, qui considèrent ces conditions comme un point de référence pour chaque entreprise britannique.
Les niveaux de rémunération imposés par P&O ont été approuvés par l'organisation syndicale de la Fédération internationale des transports et l'Organisation internationale du travail. Lundi, Joel Hills, rédacteur en chef des affaires et de l'économie d'ITV News, a tweeté: «Le taux minimum recommandé par l'FIT / OIT pour un matelot - généralement le rang le plus bas sur un navire - est de 15,9 $ / jour (14.40 euros) - ou 1,99 $ / heure (1.80 euros) pour un quart de travail de 8 heures .» Hills a tweeté une image d'un document intitulé «Échelle de salaire minimum FIT/OIT», «Taux applicables à partir du 1er janvier 2021».

Il a noté: «P&O voudrait réduire de moitié sa masse salariale. Offrir à l'équipage d'une agence d’intérim indienne 1,80 £ / heure (bien en dessous du salaire minimum britannique de 8,91 £ / heure) serait légal et, me dit-on, compétitif. D'autres opérateurs de ferry utilisent également des équipages non britanniques de pays comme la Pologne et les Philippines».
La base essentielle de la politique des entreprises est l'exploitation des divisions nationales de la classe ouvrière entretenue par les syndicats. Dans des conditions où les travailleurs sont employés par des entités mondiales telles que les propriétaires de P&O, DP World, le programme nationaliste des syndicats entraîne une spirale sans fin vers la référence internationale la plus basse.
DP World, basée aux Émirats arabes unis, est pionnière dans l'exploitation des travailleurs dans les zones de libre-échange, comme la zone franche de Jebel Ali (Jafza) créée en 1985. Jafza accueille aujourd'hui plus de 8.000 entreprises générant des milliards de profits. La vaste richesse accumulée par les oligarques de l'État du Golfe dépend de l'exploitation de la main-d'œuvre migrante hébergée dans des camps de travail avec des salaires de misère. P&O prouve que de telles conditions sont désormais introduites en Europe.
La campagne nationaliste des syndicats contre les licenciements se résume par leur appel au secrétaire conservateur aux Transports, Grant Shapps, pour qu'il exige que P&O/DP World «arrête cette attaque contre les emplois et les moyens de subsistance de 800 marins britanniques» et «sauve les ferries britanniques». Cette tentative de maintenir les niveaux de rémunération au Royaume-Uni sans lutter pour augmenter les salaires des travailleurs dans tous les pays ne fait que garantir la destruction du niveau de vie de chacun, les entreprises pouvant facilement recruter une main-d'œuvre de remplacement.
Ce qu'il faut, c'est une lutte basée sur l'appel historique de la classe ouvrière révolutionnaire : «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!» Les travailleurs ne peuvent s'opposer à l'offensive conjointe du gouvernement et des entreprises qu'en unissant leur force collective en Grande-Bretagne et au niveau international sur la base d'un programme socialiste qui place les moyens de subsistance des travailleurs au-dessus des profits des super-riches.
Cela nécessite une rupture politique et organisationnelle avec les syndicats et la formation de comités de base dans tout le secteur maritime. En mai 2021, le Comité international de la Quatrième Internationale a lancé l'Alliance internationale ouvrière des comités de base(IWA-RFC) . Nous encourageons vivement les employés de P&O à contacter l'IWA-RFC dès aujourd'hui.
(Article paru en anglais le 22 mars 2022)
