Un scandale de pots-de-vin révèle que Jerry Dias, l’ex-président d’Unifor, est un profiteur de la COVID

Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, a révélé qu’une enquête de sept semaines a permis de conclure, selon «la prépondérance des probabilités», que son ex-président, Jerry Dias, a reçu un pot-de-vin de 50.000 dollars canadiens d’un fournisseur de tests rapides de la COVID-19. Dias, qui a démissionné subitement le 11 mars, a fait la promotion de ces tests auprès de «divers» employeurs d’Unifor et a incité d’autres employés d’Unifor à faire de même.

Grâce aux efforts de Dias, plusieurs entreprises ont acheté les tests, a déclaré Lana Payne, secrétaire-trésorière d’Unifor, lors d’une conférence de presse mercredi. Elle était entourée de l’ensemble du conseil exécutif national du syndicat lors de son annonce, qui était un exercice pour limiter les dégâts.

Caption: Jerry Dias, le président national d’Unifor lors d’un rassemblement, le vendredi 11 janvier 2019, à Windsor, en Ontario. (AP Photo/Carlos Osorio)

Payne a annoncé que Dias est accusé d’avoir violé le code d’éthique et les «pratiques démocratiques» des statuts du syndicat. Il sera cité à comparaître devant une audience disciplinaire du syndicat le mois prochain.

«Nous savons», a déclaré Payne, «que les membres d’Unifor seront troublés par ce que vous apprenez aujourd’hui». Elle a poursuivi en insistant sur le fait que les «statuts du syndicat comportent un code d’éthique très solide, qui est en place pour garantir qu’aucun dirigeant syndical élu n’agit pour son profit personnel.»

Dias est le seul président de l’histoire d’Unifor, ayant été élu pour le premier de trois mandats de trois ans en 2013, lorsque le syndicat a été formé par la fusion des Travailleurs canadiens de l’automobile et du Syndicat des communications, de l’énergie et du papier. Dias a supervisé l’émergence d’Unifor comme supporter clé du gouvernement libéral de Justin Trudeau, un gouvernement de la grande entreprise, pour lequel il a agi en tant que conseiller semi-officiel.

Dias a également présidé une série ininterrompue de contrats de concessions imposés par Unifor et le sabotage systématique des luttes des travailleurs. Dans chaque cycle de négociation que Dias a mené avec les trois grands fabricants automobiles de Détroit, il s’est comporté de plus en plus ouvertement comme un contractant de main-d’œuvre bon marché, offrant aux constructeurs automobiles et aux grandes entreprises en général les concessions qu’ils exigeaient pour rester «compétitifs au niveau mondial», c’est-à-dire rentables. Invariablement, Dias et Unifor ont fait valoir que cela permettait de «sauver des emplois canadiens».

Étant donné ces relations propatronales et essentiellement corrompues avec la grande entreprise et l’État, la révélation que Dias est littéralement un vendeur payé pour faire valoir les intérêts des entreprises ne sera pas une surprise – surtout pour les dizaines de milliers de travailleurs qui se trouvent du mauvais côté des contrats de concessions signés par Unifor.

Dans une brève réponse publiée mercredi, quelques instants avant la publication des résultats de l’enquête «indépendante» et «externe» d’Unifor, Dias, pris en flagrant délit et admettant presque sa culpabilité, a tenté de sauver ce qui pouvait rester de sa réputation en lambeaux. Rejetant la faute sur une récente affection du nerf sciatique, il a écrit: «Il m’est difficile de dire cela, mais mon mécanisme d’adaptation a été les analgésiques, les somnifères et l’alcool. Ces facteurs ont altéré mon jugement au cours des derniers mois, et je dois à nos membres de chercher le traitement dont j’ai besoin.»

Il a annoncé qu’il «se retirait temporairement» de tous ses «postes consultatifs», qui comprennent la participation à divers conseils et groupes de travail fédéraux et ontariens, créés dans le cadre des relations propatronales d’Unifor avec l’industrie et l’État. L’année dernière, Dias a été nommé par le premier ministre de l’Ontario Doug Ford à la tête du Conseil sur le commerce avec les États-Unis et la compétitivité de l’industrie, un organisme visant à attirer les investissements des entreprises, en particulier dans le secteur florissant des véhicules électriques, en offrant des subventions et d’autres mesures incitatives, notamment des coûts de main-d’œuvre moins élevés.

Dias entrera immédiatement dans un centre de désintoxication. On ignore s’il assistera à la prochaine audience disciplinaire du conseil exécutif national.

Le scandale a été révélé pour la première fois lorsqu’un employé d’Unifor – dont le nom n’a toujours pas été révélé – a informé la direction du syndicat le 26 janvier que, six jours plus tôt, Dias lui avait offert 25.000 dollars canadiens et avait déclaré que l’argent provenait d’un fournisseur de tests de dépistage. La raison pour laquelle Dias a offert cet argent à l’employé anonyme n’est pas claire, et Payne n’a pas apporté de précisions à ce sujet lors de la conférence de presse de mercredi. La conférence de presse a été la première occasion pour les membres d’Unifor d’apprendre quelque chose sur l’implication de leur ex-président dans un système de pots-de-vin. Mais l’accusation de violation des pratiques démocratiques soulève de nombreuses questions.

Le 29 janvier, Dias a été informé du lancement d’une enquête externe indépendante sur sa possible violation des statuts du syndicat. Dias a ensuite refusé de se rendre disponible pour répondre aux questions des enquêteurs, invoquant des problèmes de santé et des ordonnances médicales. Le 6 février, il a annoncé qu’il prenait un congé médical avec effet immédiat. Puis, le 11 mars, quelques jours seulement avant qu’Unifor ne révèle enfin publiquement qu’une enquête était en cours, Dias a annoncé sa retraite immédiate en raison, selon lui, de problèmes de santé encore non précisés.

On ne sait pas non plus si Dias a renoncé aux pots-de-vin encore en sa possession. Les 25.000 dollars canadiens qu’il a versés à l’employé anonyme d’Unifor ont été remis au syndicat. Quoi qu’il en soit, toute cette odieuse affaire est loin d’être résolue. Lors de la conférence de presse de mercredi, on a demandé à Payne si les actions de Dias enfreignaient le Code criminel. Un tel développement aurait des ramifications explosives pour le syndicat. La direction d’Unifor perdrait le contrôle de toute l’enquête. Des assignations à comparaître pourraient être délivrées à toutes les personnes impliquées. Des enquêtes pourraient être lancées sur d’autres irrégularités, peut-être plus graves. Tout cela alors qu’une élection d’urgence pour la présidence du plus grand syndicat du secteur privé du pays est censée être en cours.

Payne s’est contenté de répondre que le syndicat allait demander un avis juridique sur la question, ajoutant que le syndicat considérait l’affaire actuelle comme un «incident isolé». Si l’affaire est traitée à l’interne, la punition de Dias pourrait simplement consister en la suspension ou la révocation de son statut de membre retraité du syndicat.

La réponse de la direction nationale d’Unifor au scandale Dias pue au plus haut point. À chaque étape, elle a cherché à maintenir les membres dans l’ignorance de la véritable nature des allégations contre Dias. Selon le Globe and Mail, lorsque la direction a admis pour la première fois que Dias faisait l’objet d’une enquête, elle a dit au personnel du syndicat que l’enquête n’était pas liée à une «question financière». Maintenant, il est accusé d’avoir accepté des pots-de-vin.

Pourquoi un travailleur devrait-il croire leur affirmation selon laquelle il s’agit d’un cas «isolé» d’irrégularité de la part de Dias? Tout porte plutôt à croire que Payne et ses collègues bureaucrates craignent un examen approfondi du scandale Dias, des finances d’Unifor et de ses relations propatronales avec la grande entreprise, parce qu’il révélerait que les pratiques corrompues sont omniprésentes dans les échelons supérieurs de l’importante bureaucratie syndicale canadienne, bien rémunérée.

Il convient de rappeler à cet égard que lorsque le scandale de corruption de l’UAW a éclaté aux États-Unis, révélant que les principaux négociateurs syndicaux ont reçu des pots-de-vin de Fiat-Chrysler en échange de l’imposition aux travailleurs de l’automobile de contrats dictés par l’entreprise, Dias et compagnie ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour éviter d’en parler. Ils ont maintenu que les contrats automobiles négociés par l’UAW restaient valables même si ceux qui étaient censés «négocier» au nom des travailleurs étaient à la solde des patrons de l’automobile.

Il y a moins de deux semaines, après que Dias a soudainement – et inexplicablement aux yeux des membres et du grand public – pris sa retraite, Payne, dans une tentative désespérée de calmer la crise, a publié un hommage élogieux au président bientôt disgracié. «Au nom de nos membres et de notre équipe de direction, nous souhaitons bonne chance à Jerry et nous le remercions pour ses nombreuses et importantes contributions aux travailleurs pendant de nombreuses années, depuis l’époque où il représentait les travailleurs de l’aérospatiale sur les lieux de travail jusqu’à la présidence nationale du plus grand syndicat du secteur privé au Canada», a déclaré la secrétaire-trésorière.

Le lendemain, alors que des rumeurs d’irrégularités se répandaient rapidement parmi les membres, Payne a publiquement changé de cap et annoncé que Dias faisait l’objet d’une enquête depuis plusieurs semaines pour une possible violation des statuts d’Unifor. Puis, alors que les questions tournaient autour de la nature de l’infraction commise par Dias, le syndicat a déclaré que la nature complète des accusations portées contre lui ne serait peut-être jamais divulguée. Cependant, les soupçons continuant de croître sans relâche parmi les membres de la base, au moment même où se profilait une «élection d’urgence» houleuse pour remplacer Dias, les tentatives d’Unifor pour contenir le scandale se sont rapidement désintégrées.

Lors de la conférence de presse de mercredi, Payne a déclaré aux journalistes que le processus d’élection d’urgence d’un nouveau président avait été «mis sur pause» pour faire face à la crise actuelle. Payne et le reste du conseil exécutif de 25 personnes n’ont toutefois pas retiré leur soutien à Scott Doherty, l’ami de Dias et son bras droit de longue date au siège social d’Unifor, que Dias avait préparé pour lui succéder.

Dave Cassidy, qui s’est lancé dans la course à la fin du mois de février, dans la foulée d’une lettre adressée au conseil exécutif réclamant la «transparence» dans l’annonce du congé médical de Dias, est actuellement le seul autre candidat en lice. Président de la section 444 d’Unifor à Windsor et bureaucrate syndical de longue date, il a lancé un appel à la «transparence» afin d’ouvrir une voie électorale «extérieure» contre Doherty et d’empêcher que le scandale qui se prépare ne provoque une rupture totale entre la base et l’ensemble de l’appareil syndical. Le vote pour les responsables de l’exécutif d’Unifor, y compris le président, ne se fait pas auprès de l’ensemble des membres, mais par le biais des votes de quelques milliers de responsables syndicaux et de leurs acolytes qui assistent au congrès du syndicat.

Tout au long de la pandémie de COVID-19, Unifor a imposé la politique de la classe dirigeante qui consiste à donner la priorité aux profits des entreprises plutôt qu’à la protection de la vie humaine. Il a forcé les travailleurs à retourner dans des lieux de travail non sécuritaire pour générer des profits pour les actionnaires et a étouffé toute opposition aux conditions de travail dangereuses.

Aujourd’hui, Dias est accusé d’être un profiteur de la pandémie.

Dans le secteur automobile, reconnaissant que les entreprises n’avaient aucun intérêt à protéger leur santé et leur vie alors que la pandémie se propageait, les travailleurs de l’usine d’assemblage de Windsor ont spontanément déposé leurs outils à la mi-mars 2020, déclenchant des rébellions similaires de la part des travailleurs des usines automobiles des Trois de Détroit à travers les États-Unis. Les protestations étaient également dirigées contre Unifor et l’UAW au sud de la frontière, car les deux syndicats s’étaient engagés à travailler avec la direction pour maintenir les usines en activité sans interruption. Les actions des travailleurs de la base y ont été pour beaucoup dans la décision forcée des gouvernements en Amérique du Nord et en Europe d’imposer au moins des confinements temporaires.

Après la réouverture des usines à la mi-mai 2020, les travailleurs d’Unifor en contact avec le Bulletin des travailleurs de l’auto du WSWS ont décrit la détérioration constante sur de nombreux mois des conditions de travail dans les usines canadiennes d’assemblage et de pièces détachées d’automobiles. Des toilettes surpeuplées et mal entretenues, l’impossibilité de maintenir une distanciation sociale adéquate sur la ligne, des goulots d’étranglement aux points d’entrée de l’usine, des équipements de protection individuelle de qualité inférieure ou inexistants et un signalement laxiste des infections sont des plaintes courantes. Les protestations des travailleurs contre les programmes initiaux de pauses prolongées et échelonnées ont été rapidement démantelées en raison de l’opposition des bureaucrates syndicaux à la montée d’une lutte industrielle contre les conditions dangereuses.

Toute cette expérience souligne la nécessité pour les travailleurs de construire de nouvelles organisations de lutte, des comités des travailleurs de la base dans les usines, qui seront basées sur les méthodes de la lutte de classe, se battront pour l’unité des travailleurs canadiens, américains et mexicains, et mobiliseront la classe ouvrière contre tous les partis de la grande entreprise. Cette lutte doit être liée à une lutte contre l’austérité, la guerre et la dictature, et au remplacement du système de profit capitaliste par le socialisme international.

(Article paru en anglais le 25 mars 2022)

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