La situation à laquelle font face 600 travailleurs pétroliers de Chevron en grève à Richmond, en Californie, résume l’irrationalité du système capitaliste: la flambée des prix du pétrole enrichit considérablement une petite couche de cadres et d’actionnaires qui n’ajoutent rien au processus de production. Mais cette même hausse du coût de la vie fait qu’il est de plus en plus difficile pour les travailleurs qui raffinent le pétrole de faire le plein de leur propre voiture pour se rendre au travail.
Les médias bourgeois ont effectivement ignoré la grève, qui en est à sa deuxième semaine, par crainte qu’elle ne déclenche un mouvement plus large contre le coût de la vie parmi les travailleurs de toutes les industries et de tous les pays. On assiste à un mouvement croissant des travailleurs aux États-Unis et dans le monde entier qui interviennent contre la hausse rapide des prix des denrées alimentaires et du gaz, exacerbée par la guerre en Ukraine entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie. Le mouvement émergent pour des salaires plus élevés s’étend de 5.000 enseignants à Sacramento et 40.000 travailleurs d’épicerie en Californie du Sud aux camionneurs en Espagne et aux enseignants en Iran et au Soudan.
La grève a débuté après que les travailleurs de Richmond ont rejeté deux contrats locaux proposés par les Métallurgistes unis (USW) inspirés de l’accord national conclu par le syndicat pour 30.000 travailleurs des raffineries de pétrole et de la pétrochimie. Le président de l’USW, Tom Conway, s’est vanté que l’accord pro-patronat, qui prévoit une augmentation annuelle moyenne de seulement 3 pour cent au cours des quatre prochaines années, «n’aggravera pas les pressions inflationnistes».
À Richmond, les Métallos aident l’entreprise en maintenant les travailleurs dans l’ignorance. Bien que des négociations aient prétendument eu lieu mercredi, le syndicat des Métallos n’a fourni aux travailleurs aucune information substantielle sur ce qui s’est passé.
Bien que le syndicat des Métallos soit composé de bureaucrates qui gagnent plus de 100.000 ou 200.000 dollars par an et qu’il dispose d’un actif de 1,5 milliard de dollars, les travailleurs signalent avec colère que le syndicat n’a encore versé aucune rémunération qui provient de son gigantesque «Fonds de grève et de défense». De nombreux travailleurs ne savaient même ni quand ni pour quel montant ils commenceraient à recevoir des chèques.
Les travailleurs doivent comprendre cette situation pour ce qu’elle est: une tentative flagrante de l’USW de mettre fin à la grève dans des conditions favorables à l’entreprise.
Dans une interview accordée mercredi à Reuters, le vice-président de la section 5 des Métallos, BK White, a déclaré que l’entreprise avait recours à des tactiques dilatoires afin de «voir combien de nos employés franchiront le piquet de grève».
Tout d’abord, les travailleurs ont rapporté que ce sont d’autres syndicats de l’usine qui ordonnent aux travailleurs de franchir les piquets de grève des Métallos. De plus, si le syndicat des Métallos affirme que l’entreprise tarde à agir, pourquoi a-t-il retardé le paiement immédiat d’une indemnité de grève adéquate pour remplacer les revenus perdus, ce qui est le moyen le plus efficace d’empêcher les travailleurs d’être contraints de retourner au travail? Mercredi, le WSWS a appelé le siège de la section locale 5 et a demandé à un responsable syndical quand les travailleurs commenceraient à recevoir les indemnités de grève, mais le responsable a dit qu’il ne pouvait pas répondre et le syndicat n’a pas rappelé le WSWS.
La vérité est que l’USW et Chevron ne «négocient» pas l’un contre l’autre, ils travaillent ensemble pour conspirer contre les travailleurs et briser leur grève.
Une équipe du World Socialist Web Site s’est rendue sur les piquets de grève et a été immédiatement confrontée à des bureaucrates de l’USW qui ont hurlé aux travailleurs, leur ordonnant de ne pas parler au WSWS. Cela n’a pas empêché les travailleurs de discuter volontiers des raisons de leur grève avec les journalistes du WSWS. Par crainte de représailles de la part de l’USW et de Chevron, les travailleurs ont demandé à utiliser des pseudonymes.
Les préoccupations des travailleurs sont nombreuses et variées, notamment en ce qui concerne la sécurité et le temps «en attente» non rémunéré. Mais le plus urgent, selon la plupart des travailleurs, est l’augmentation du coût de la vie.
Un travailleur nommé Antonio a déclaré que des entreprises comme Chevron profitent de la guerre en Ukraine alors que la classe ouvrière souffre aux États-Unis et dans le monde: «Lorsque le prix du pétrole augmente, tout le reste suit, la nourriture et les autres biens. Partir en guerre semble prématuré. Je ne sais pas ce que j’en pense. Cela n’a pas de sens pour moi que des milliers de milliards de dollars soient dépensés pour la guerre et l’aide à l’Ukraine, alors que vous regardez autour de vous aux États-Unis et qu’il y a tous ces sans-abri et cette violence dans les rues».
Janice, une travailleuse ayant 14 ans d’expérience à l’usine, a déclaré qu’elle trouvait insultante l’offre d’augmentation de salaire de 2,5 pour cent de l’entreprise. «Mon principal problème est le salaire», a-t-elle déclaré. «À chaque contrat, nous nous rapprochons du salaire minimum. Une augmentation de 2,5 pour cent est une réduction de salaire. L’autre jour, je suis allée mettre de l’essence dans mon Yukon et je n’ai pas pu faire le plein complet parce que la pompe ne voulait pas dépasser 100 dollars».
Jim, un jeune travailleur, a déclaré au WSWS: «Les soins de santé sont un problème majeur. Les paiements de notre plan de soins de santé Kaiser viennent d’augmenter considérablement. En plus de cela, le coût de la vie augmente beaucoup. Le loyer est de 2.400 à 2.500 dollars pour un logement de trois chambres à coucher, et c’est encore loin de la raffinerie. Les gens doivent déménager de plus en plus loin parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de vivre dans la région de la baie. Je vis à une heure de mon travail et l’essence coûte 6 dollars le gallon [1,60 $ le litre].»
Nancy, qui travaille à la raffinerie depuis 20 ans, a déclaré: «L’entreprise a tenté de nous forcer à accepter avec une prime à la signature de 2.500 dollars, ce qui, après impôts, ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan. Et le syndicat n’est pas assez transparent. De nombreux syndicats font traverser nos piquets de grève à leurs membres en ce moment, mais pas tous».
Les travailleurs sont profondément mécontents de l’impact de la pandémie, qui a gravement touché leurs familles et leurs collègues. Alors que des masses de travailleurs ont beaucoup souffert pendant cette période, tant physiquement que financièrement, la classe dirigeante a utilisé la pandémie pour s’enrichir encore davantage, en maintenant la production alors qu’un million de personnes sont mortes rien qu’aux États-Unis.
«Deux ans après le début de la pandémie, c’est nous qui avons maintenu la production», a déclaré Nancy. «Nous avons fabriqué du pétrole pour que toutes les infirmières et tous les médecins puissent se rendre à l’hôpital, nous avons fabriqué du gaz pour que les camions d’oxygène puissent faire leurs livraisons. Et maintenant, la direction travaille comme briseurs de grève dans la raffinerie, mais ils ont passé les deux dernières années assis chez eux en toute sécurité».
Don, un autre gréviste, a déclaré au WSWS: «En ce qui concerne la COVID, 9 ou 10 personnes par jour sont déclarées positives à la COVID. Et si quelqu’un est en congé de maladie pendant un certain temps, ils vont l’inscrire à son dossier même si elle a la COVID. Si vous prenez la moitié de votre congé de maladie, ils vous donnent un “avertissement”, et dans le cadre du programme de contrôle des absences, trois avertissements peuvent conduire à un licenciement. Et lorsque le contrat s’est terminé, nous sommes passés du statut de “travailleurs essentiels” à celui de “travailleurs contre lesquels les policiers de quatre agences différentes ont été appelés”. La société a peint une ligne de propriété à toutes les portes pour nous intimider».
Les grévistes de Chevron étaient impatients d’en savoir plus sur le tout nouveau Comité des travailleurs de la base du pétrole (OWRFC), une organisation dirigée par les travailleurs du pétrole eux-mêmes qui vise à faire avancer leur lutte et à mettre en relation les travailleurs de Richmond avec les travailleurs du pétrole des États-Unis et du monde entier.
Si les travailleurs veulent gagner leurs revendications, il est urgent qu’ils s’organisent entre eux pour coordonner les actions, partager des informations précises et communiquer entre eux et avec leurs collègues des autres usines pétrolières.
L’OWRFC demande aux travailleurs de s’entendre sur le fait qu’il n’y aura pas de reprise du travail tant que l’entreprise n’aura pas satisfait aux revendications suivantes:
- une augmentation de 40 pour cent et le rétablissement des ajustements du coût de la vie (COLA)
- l’abolition des heures supplémentaires forcées et le rétablissement de la journée de huit heures
- plus de congés payés
- la fin des «périodes de réserve» non rémunérées
- des prestations médicales entièrement payées
- l’embauche d’un plus grand nombre de travailleurs à temps plein
- des comités de santé et de sécurité gérés par les travailleurs
- l’abolition des comités mixtes «syndicat»-patronat corrompus
- le contrôle par les travailleurs des taux de production et leur participation aux décisions concernant les dépenses en capital
- des pensions entièrement payées et des prestations médicales pour les retraités après 25 ans de service
- la promotion des travailleurs temporaires à des postes à temps plein avec le même salaire et les mêmes avantages
Dans une déclaration adressée aux grévistes, un travailleur d’expérience de Marathon Petroleum au Texas et membre de l’OWRFC a déclaré: «Les grévistes de Richmond doivent savoir que les problèmes pour lesquels ils ont décidé de faire grève ne leur sont pas propres, comme les Métallos voudraient le faire croire. Les représentants nationaux et locaux des Métallos ont eu recours à l’intimidation et à d’autres tactiques de voyous pour faire passer un accord illégitime, dont le contenu a été pratiquement rédigé par le gouvernement».
«Les hommes de main du syndicat ont dit aux travailleurs de toutes les sections locales qu’ils étaient les seuls à vouloir faire la grève pour cet accord, qui garantit une réduction du niveau de vie de tous les travailleurs par le biais de réductions réelles des salaires au cours des quatre prochaines années. Lorsque les travailleurs ont dénoncé le bluff du syndicat, les représentants des Métallos ont cité l’exemple des travailleurs d’ExxonMobil à Beaumont, leur faisant savoir en termes clairs que si les travailleurs osaient aller à l’encontre des souhaits du syndicat et chercher à obtenir un meilleur accord par les moyens traditionnels, à savoir un arrêt de travail, les Métallos isoleraient ces travailleurs et les affameraient lentement pour les amener à capituler, auquel cas ils se retrouveraient avec un contrat pire que celui contre lequel ils avaient initialement voté».
«Le syndicat laisse sans doute croire à ces travailleurs de Richmond qu’ils sont les seuls à être mécontents de cet accord de quatre ans, mais cela ne pourrait être plus loin de la vérité».
«Les travailleurs de Chevron doivent savoir que l’OWRFC a été fondé par et pour des travailleurs qui en ont assez des mensonges et de la fausse “solidarité” de l’USW. Nous sommes prêts à nous battre avec eux pour obtenir les contrats équitables que nous méritons tous. L’accord dont la ratification a été forcée par des stratégies sournoises profite aux compagnies pétrolières pour lesquelles nous travaillons, qui réalisent des profits incroyables grâce au bellicisme de cette administration, et à la myriade d’autres entreprises qui voient leurs profits grimper en flèche pendant les conflits militaires internationaux, plutôt qu’aux travailleurs qui font fonctionner ces installations et génèrent les produits nécessaires».
«Nous avons tous fait l’expérience de la cupidité de ces entreprises au plus fort de la pandémie. Alors qu’elles attendaient de nous, “travailleurs essentiels”, que nous continuions à exercer nos fonctions au risque de notre santé et de notre bien-être et de ceux que nous aimons, elles exigent aujourd’hui encore plus de sacrifices de notre part afin de pouvoir continuer à faire des profits obscènes et augmenter la valeur rendue à leurs actionnaires par des dividendes plus élevés et des rachats d’actions de plusieurs milliards de dollars».
«Nous ne permettrons pas que cela se produise; les travailleurs peuvent et doivent travailler ensemble pour s’assurer que nous ne soyons pas davantage marginalisés et soumis à de pires conditions de travail et à des salaires plus bas, tout en subissant les effets de l’inflation, qui atteint un niveau jamais vu depuis plusieurs décennies, et de l’effondrement de la chaîne d’approvisionnement mondiale. Unis, nous avons la capacité, et la responsabilité, de faire en sorte que nous, et la prochaine génération de travailleurs du pétrole, puissions nous offrir, à nous et à nos familles, la vie que nous méritons tous».
Travailleurs du pétrole, contactez le WSWS pour discuter de votre lutte, rapporter des informations à vos collègues de travail, en savoir plus sur l’OWRFC et la lutte pour étendre la grève de Richmond. Nous respectons l’anonymat.
(Article paru en anglais le 31 mars 2022)