Selon un rapport publié jeudi par Bloomberg Economics, l’augmentation du coût de la vie obligera le ménage américain moyen à dépenser 5.200 dollars de plus par an rien que pour acheter les mêmes biens et services que l’année dernière. Cela équivaut à une moyenne de 433 dollars par mois volés dans les poches des travailleurs et de leurs familles, dans des conditions où 60 pour cent de la population américaine ne peut se permettre une dépense imprévue de 500 dollars.
Ce fait stupéfiant démontre le coût humain de la hausse du taux d’inflation, qui a atteint en décembre un record de 7,9 pour cent en 40 ans. Le taux d’augmentation de l’indice des prix à la consommation a légèrement baissé pour atteindre 7,5 pour cent en janvier et 6,4 pour cent en février. Mais, il reste bien supérieur aux prévisions de la Réserve fédérale et du gouvernement Biden.
Le taux d’inflation de base – qui ne tient pas compte des prix de l’alimentation et de l’énergie – fluctue davantage d’un mois à l’autre. Il s’est établi à 6 pour cent en janvier et à 5,4 pour cent en février, selon les chiffres publiés jeudi par le ministère fédéral du Commerce. Cela signifie que, quels que soient les efforts du gouvernement Biden pour manipuler temporairement le prix de l’essence à la pompe, la réduction continue du niveau de vie de la classe ouvrière se poursuivra.
Bloomberg Economics, qui fait partie de l’empire éditorial du milliardaire Michael Bloomberg, a souligné les avantages de la «taxe» inflationniste sur les travailleurs pour les employeurs capitalistes. «L’épuisement accéléré de l’épargne rendra plus urgent pour ceux qui restent sur la touche de rejoindre la population active. L’augmentation de l’offre de travail qui en résultera freinera probablement la croissance des salaires», ont déclaré les auteurs du rapport.
La classe capitaliste américaine dans son ensemble se trouve préoccupée par le problème de la «pénurie de main-d’œuvre», c’est-à-dire le refus des travailleurs d’accepter des emplois aux salaires de misère offerts, en particulier aux travailleurs débutants. Les détaillants, les restaurateurs, les maisons de retraite et autres employeurs à bas salaires déclarent continuellement ne pas pouvoir embaucher suffisamment de travailleurs.
Le New York Timesa évoqué ce problème dans un article paru jeudi dans ses pages économiques, intitulé: «La hausse des salaires pourrait compliquer le ralentissement de l’inflation aux États-Unis». L’article a cité les espoirs des économistes que la fin des restrictions liées à la pandémie – elles-mêmes totalement injustifiées du point de vue de la santé publique – aiderait à déplacer les dépenses de consommation des biens vers les services, «misant sur le fait que la transition soulagerait les chaînes d’approvisionnement et aiderait à modérer l’inflation».
L’article continue ainsi: «La croissance rapide des salaires pourrait rendre cette histoire plus compliquée. La demande de services augmente au moment même où de nombreux employeurs ont du mal à trouver des travailleurs, ce qui pourrait les obliger à continuer d’augmenter les salaires. Bien que cela soit positif pour les travailleurs, cela pourrait maintenir l’inflation globale à un niveau élevé, les entreprises cherchant à couvrir leurs coûts de main-d’œuvre en accélérant les augmentations de prix pour les services alors même qu’ils commencent à baisser pour les biens».
Le langage utilisé ici est remarquable. Le Timesadmet que la croissance des salaires est «positive pour les travailleurs» – qui constituent en fait la grande majorité de la population américaine. Mais il s’inquiète davantage du revers de la médaille, c’est-à-dire des intérêts menacés des employeurs, notamment des grandes entreprises et de leurs riches actionnaires.
L’article poursuit dans cette veine. Il cite les préoccupations des économistes qui craignent que les salaires atteignent définitivement un niveau plus élevé, bien qu’il ne s’agisse que des salaires minables offerts par Amazon et d’autres grands exploitants de main-d’œuvre. L’article rapporte l’observation d’un employeur de main-d’œuvre à bas salaire, notant le fait que «les cadres s’attendaient à ce que la pénurie de main-d’œuvre s’atténue lorsque les allocations de chômage améliorées du gouvernement fédéral ont pris fin en septembre. Mais si le nombre de travailleurs désireux de travailler a augmenté, il n’y a pas eu d’afflux soudain».
En d’autres termes, malgré tous les efforts du gouvernement Biden – y compris en réduisant l’aide fédérale aux chômeurs – pour forcer des millions de travailleurs à reprendre un emploi en dépit des bas salaires et les dangers de la pandémie de COVID-19, les travailleurs résistent encore.
Cette résistance s’exprime avec le plus de force dans la vague croissante de grèves qui s’est développée en 2021 et se poursuit dans les premiers mois de cette année. Une caractéristique majeure de ce mouvement de classe a été une série de rébellions des travailleurs contre les syndicats pro-patronaux, sur lesquels compte le gouvernement Biden pour réprimer la lutte de classe et aider les entreprises à imposer aux travailleurs des conditions brutales d’exploitation et de bas salaires.
C’est dans ce contexte que le président Biden a annoncé jeudi un décret qui vise à libérer une quantité importante de pétrole de la réserve stratégique américaine de pétrole. Environ 1 million de barils par jour seront mis sur le marché au cours des six prochains mois. Cela ferrait un total de 180 millions de barils, soit près d’un tiers de la réserve totale. L’annonce a entraîné une chute des prix du pétrole, mais l’effet ne sera que temporaire, car 1 million de barils représente moins de 5 pour cent de la consommation quotidienne des États-Unis.
Le président a affirmé que le but de son action était de réduire le prix de l’essence à la pompe pour les consommateurs américains, et la couverture médiatique s’est généralement concentrée sur la motivation politique évidente du moment et de la durée de l’action. À sept mois des élections législatives de mi-mandat aux États-Unis, le Parti démocrate de Biden est à la traîne dans les sondages, l’inflation et la montée en flèche du coût de la vie étant citées par les personnes interrogées comme étant le principal problème.
Dans les limites du système bipartite américain, qui n’offre aux électeurs que le choix entre deux partis capitalistes de droite, on peut s’attendre à ce que le parti républicain fasse des gains. La faillite politique du Parti démocrate est si manifeste que ce dernier pourrait bien perdre le contrôle du Congrès au profit des Républicains, et ce, malgré l’hostilité populaire à l’égard du gouvernement précédent de Donald Trump et la répulsion contre sa tentative de coup d’État du 6 janvier 2021.
Biden a utilisé l’annonce sur le pétrole pour battre les tambours de sa politique de guerre dirigée contre la Russie, qualifiant la hausse du coût de l’essence de «hausse des prix de Poutine». Il a affirmé que l’inflation avait deux causes, la pandémie et le président russe. Il n’a rien dit de la principale force motrice de la hausse des prix, à savoir: les milliers de milliards de dollars injectés dans le système financier par la Réserve fédérale et le Trésor américain pour renflouer Wall Street et les entreprises américaines, de mars 2020 et jusqu’à aujourd’hui.
Au lieu de cela, il s’est livré à un peu de démagogie anti-entreprises, critiquant les compagnies pétrolières qui «s’assoient sur des bénéfices records» et refusent d’augmenter la production «pour le bien de votre pays». Il a réitéré en même temps sa loyauté envers le système de profit: «Je suis un capitaliste. Je n’ai aucun problème à ce que les entreprises fassent de bons bénéfices».
Dans un briefing aux médias, un «haut responsable du gouvernement» a déclaré que les compagnies pétrolières américaines s’étaient engagées à mettre en service un million de barils supplémentaires par jour d’ici l’automne. Il a décrit le recours à la réserve pétrolière gouvernementale comme «un pont de temps de guerre vers une production américaine supplémentaire».
La tentative de lier la crise à la pompe à la guerre en Ukraine a une signification indubitable et sinistre. Biden cherche à utiliser la Russie comme un bouc émissaire pour les attaques contre le niveau de vie de la classe ouvrière qui sont menées par la classe capitaliste aux États-Unis. Cela a déjà conduit à suggérer que les travailleurs américains devraient être prêts à faire des sacrifices pour la guerre en Ukraine, lesquels seront imposés par le Parti démocrate et l’appareil syndical au nom de «l’unité nationale».
La vérité est que les travailleurs américains n’ont aucun intérêt dans la guerre en Ukraine. Celle-ci a été lancée par Poutine comme une réponse réactionnaire à l’encerclement de la Russie par une campagne de longue haleine des États-Unis et de l’OTAN visant à démanteler ce pays et en faire un appendice semi-colonial des puissances impérialistes. Les travailleurs doivent mener la lutte de classe contre la classe dominante avec une intensité redoublée, et rejeter toutes les demandes de sacrifice dans l’intérêt de la machine de guerre de l’impérialisme américain.
(Article paru en anglais le 1er avril 2022)