Les manifestations antigouvernementales se poursuivent au Sri Lanka, malgré le couvre-feu et la répression policière

Des manifestations de masse exigeant la démission du président Gotabhaya Rajapakse ont eu lieu dimanche après-midi dans tout le Sri Lanka, au mépris du couvre-feu de 36 heures en vigueur sur l’île, de l’état d’urgence et de la répression policière en cours.

Les manifestations ont été organisées de manière anonyme sur les médias sociaux et font suite à plusieurs jours de protestations spontanées contre l’inflation galopante, la pénurie de produits de première nécessité, y compris la nourriture, les médicaments, le gaz et le carburant, et les longues coupures de courant.

La police antiémeute bloque des étudiants à l’université de Sri Jayawardenapura, le 3 avril 2022 [WSWS Media]

Bien que l’ampleur des manifestations de dimanche fut variable, les travailleurs, les jeunes et les étudiants ont manifesté à Colombo et dans ses banlieues, ainsi que dans plusieurs villes de province. Parmi celles-ci, citons Galle, Weerketiya, Hambantota et Karandeniya dans le sud de l’île, Ragama et Negombo dans l’ouest, et Anuradhapura dans la province du centre nord.

Des centaines d’étudiants ont également manifesté aux universités Sri Jayawardenapura et Kelaniya à Colombo et à l’université Peradeniya à Kandy. Les travailleurs hospitaliers de la province du Nord-Ouest ont participé à des manifestations à Kurunegala et Nikawaratiya.

Les manifestants portaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire: «Pas d’électricité, pas de gaz, pas de carburant», «La solution est-elle le couvre-feu?», «Rentrez chez vous Gota! Nos enfants ont besoin d’un avenir!» Les étudiants de Sri Jayawardenapura portaient une bannière qui disait: «Notre peuple mérite une vie meilleure, donnez-lui l’argent volé.» D’autres tenaient des pancartes qui disaient «Le pouvoir au peuple».

Étudiants de l’université de Sri Jayawardanapura, le 3 avril 2022 [WSWS Media]

Un important contingent de policiers a attaqué violemment les étudiants de l’université de Peradeniya, utilisant des gaz lacrymogènes et des canons à eau à l’entrée principale de l’université. La police a également établi une barricade près de Wijerama Junction à Nugegoda pour bloquer les étudiants protestataires de l’Université Sri Jayawardenapura.

Les migrants sri-lankais aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en France et au Japon ont également manifesté dimanche, dénonçant le gouvernement Rajapakse, ses mesures d’austérité et ses attaques antidémocratiques.

Dans une tentative désespérée d’arrêter l’action de masse, Rajapakse a entrepris un couvre-feu de 36 heures, de 18h samedi à 6h lundi. Le couvre-feu a été suivi d’un décret présidentiel qui stipulait: «Personne ne doit se trouver sur une route publique, une voie ferrée, un parc public, un terrain de loisirs public ou tout autre terrain public ou sur le bord de mer dans ces zones».

Le couvre-feu gouvernemental a suivi la déclaration de l’état d’urgence par Rajapakse le 1er avril, après une manifestation de colère la nuit précédente près de sa résidence privée. L’état d’urgence était nécessaire, selon son décret, pour «la sécurité publique» et pour «le maintien des fournitures et des services».

Dimanche matin, le ministère de la Défense a émis une directive de censure des médias sociaux à l’intention de la Commission de réglementation des télécommunications. Tous les fournisseurs de services Internet ont reçu l’ordre d’imposer une interdiction immédiate et indéfinie de tous les médias sociaux, y compris Facebook, Messenger, YouTube, WhatsApp et Twitter.

Des étudiants défient le couvre-feu devant l’université de Sri Jayawardenapura, le 3 avril 2022 [WSWS Media]

Le chef de l’autorité de régulation d’Internet du Sri Lanka a toutefois démissionné lorsque l’ordonnance est entrée en vigueur. Plus tard dans la journée, l’interdiction a été annulée après que la Commission des droits de l’homme du pays a jugé que le ministère de la Défense n’avait pas le pouvoir d’imposer la censure.

Tard dans la journée de dimanche, 26 ministres ont démissionné du gouvernement, ouvrant la voie à la formation d’un nouveau gouvernement par le président Gotabaya Rajapakse et son frère, le premier ministre Mahinda Rajapakse. Parmi les démissionnaires figure Namal Rajapakse, le neveu du président, qui a déclaré sur Twitter que cette démission massive contribuerait à «établir la stabilité pour le peuple et le gouvernement».

Quelle que soit la composition du nouveau gouvernement, l’élite dirigeante sri-lankaise va intensifier ses mesures d’austérité brutales, sa répression policière et ses attaques antidémocratiques contre la classe ouvrière et les masses des campagnes.

Selon la division des médias de la police, on a arrêté plus de 660 personnes pour avoir enfreint les mesures gouvernementales déclenchées depuis le 2 avril. Lors d’un point de presse vendredi, le ministre de la Sécurité publique Sarath Weerasekara a déclaré: «La police cherchera à engager des poursuites judiciaires strictes contre les personnes qui endommagent les biens publics sous prétexte de manifestations de masse».

L’une des personnes arrêtées est le militant des médias sociaux Thisara Anuruddha Bandara qui est accusé d’avoir utilisé les médias sociaux afin de «provoquer des troubles publics». On a également rapporté que la police s’est rendue au domicile d’autres militants impliqués dans des campagnes sur les médias sociaux et a tenté de les intimider.

Le Samagi Jana Balavegaya (SJB), le principal parti d’opposition parlementaire, a désespérément tenté de s’approprier politiquement les manifestations de dimanche après s’être dissocié d’elles. Dimanche, une douzaine de parlementaires du SJB, accompagnés de leurs partisans, ont organisé une marche de protestation vers le square de l’Indépendance à Colombo.

Sur le square de l’Indépendance, le chef du SJB, Sajith Premadasa, a déclaré de manière démagogique: «Le gouvernement a violé les droits démocratiques du peuple. Nous sommes dans une situation où les gens ne peuvent pas vivre. Nous voulons protester pacifiquement contre cela».

La police tire des gaz lacrymogènes sur des étudiants protestant à l’université de Peradeniya, le 3 avril 2022 [Photo: Facebook]

Les membres du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) ont également défilé de Pannipitiya à Maharagama. Le chef du JVP, K. D. Lalkantha, a déclaré à ses partisans: «Nous demandons au président de rentrer chez lui. Remettez le gouvernement à quelqu’un qui peut diriger». Il n’a rien dit sur qui devait prendre la relève ou sur les politiques à mettre en œuvre.

Ces partis de l’establishment politique n’ont pas de désaccords fondamentaux avec Rajapakse, mais ils craignent que le mouvement antigouvernemental de masse ne s’intensifie et ne leur échappe.

Le Parti de l’égalité socialiste (PES) intervient dans le mouvement croissant de masse contre le gouvernement Rajapakse sur la base d’une perspective socialiste et internationaliste. Sa déclaration, «À bas les mesures d’austérité brutale du régime sri-lankais! Luttez pour des politiques socialistes», est largement diffusée et provoque des discussions parmi les travailleurs et les jeunes.

Une institutrice de Kahawatte, Ratnapura, a exprimé ses inquiétudes quant à la situation désespérée à laquelle font face les masses sri-lankaises et a dénoncé les syndicats. «Ces organisations gardent le silence dans ces circonstances», a-t-elle déclaré.

Une autre enseignante de Weligama, dans la province du Sud, a déclaré qu’elle n’avait confiance en aucun des principaux partis d’opposition, raison pour laquelle elle avait décidé de lire la déclaration du PES et d’en discuter.

Un technicien de laboratoire de l’hôpital de Kandy a déclaré: «Je me rends compte que la source de ces problèmes réside dans une inégalité sociale très importante. Le gouvernement ne peut pas réprimer les masses affamées par des lois répressives et en étranglant les médias sociaux. Mais, sans organiser la classe ouvrière pour exproprier la propriété capitaliste, ces problèmes ne peuvent être résolus».

(Article paru en anglais le 4avril 2022)

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