L’impérialisme canadien se sert de la campagne guerrière des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie pour intensifier ses opérations militaires dans l’Arctique

Le fait que les puissances occidentales aient réussi à pousser Poutine à lancer une guerre réactionnaire en Ukraine a intensifié les rivalités économiques et géopolitiques dans le monde, y compris dans le Grand Nord. Les grandes puissances considèrent l’Arctique, avec ses vastes ressources naturelles et ses routes commerciales qui s’ouvrent en raison des changements climatiques, comme un champ de bataille clé.

Le Canada est en rivalité directe avec la Russie dans la région pour des revendications territoriales concurrentes, derrière lesquelles se cachent des intérêts économiques et géostratégiques clés pour les deux pays. Il n’est donc pas surprenant que l’impérialisme canadien, qui joue un rôle extrêmement provocateur en poussant à une attaque des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie qui déclencherait une troisième guerre mondiale, profite du conflit pour étendre sa présence militaire dans l’Arctique.

Des réservistes de l’armée canadienne effectuent un exercice à grande échelle à Fort Pickett (Photo: Affaires publiques de la garde nationale de Virginie) [Photo: Virginia Guard Public Affairs]

La ministre de la Défense nationale, Anita Anand, prévoit un voyage dans l’Arctique canadien pour renforcer les revendications d’Ottawa en matière de souveraineté et de sécurité dans la région. À la mi-mars, son bureau a informé les premiers ministres des Territoires du Nord-Ouest, du Nunavut et du Yukon qu’elle ferait une tournée des territoires pour souligner les enjeux diplomatiques et militaires dans la région.

L’invasion russe de l’Ukraine, qui a été provoquée par la marche vers l’est des puissances impérialistes des États-Unis et de l’OTAN après la dissolution stalinienne de l’Union soviétique en 1991, a fourni à la bourgeoisie canadienne l’occasion parfaite de procéder aux augmentations des dépenses militaires prévues de longue date. Anand l’a clairement indiqué dans son discours à la 90e Conférence d’Ottawa sur la sécurité et la défense, le 11 mars. Des militaires canadiens de haut rang et des personnalités de l’OTAN, comme le chef d’état-major de la défense, le général Wayne Eyre, ont assisté à la conférence.

Anand a déclaré: «Le travail est en cours pour s’assurer que nous sommes prêts à toute éventualité, y compris en ce qui concerne la souveraineté dans l’Arctique.» Le général Eyre a fait remarquer sans ambages que le flanc nord de l’OTAN «est un domaine de préoccupation essentiel» pour les militaires canadiens. Depuis la conférence, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a réitéré l’appel lancé à tous les membres de l’OTAN pour qu’ils consacrent au moins 2% de leur PIB à la défense. Le Canada consacre actuellement 1,39% aux dépenses liées à la défense, contre 1,01% en 2014. Le gouvernement Trudeau s’est engagé en 2017à augmenter les dépenses militaires de plus de 70% en une décennie.

Mais ce n’est qu’un acompte pour la classe dirigeante canadienne belliqueuse. En août dernier, le gouvernement Trudeau a signé un accord avec l’administration Biden pour moderniser le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), une structure de défense continentale binationale datant de la guerre froide et établie entre Washington et Ottawa. Pour de nombreux hauts responsables de l’armée et de la politique étrangère, l’un des principaux objectifs de la modernisation est d’intégrer le Canada au bouclier de défense antimissile balistique de Washington, qui cherche à rendre «gagnable» une guerre menée avec des armes nucléaires.

Anand a déclaré à la conférence que le Canada avait l’intention d’annoncer prochainement un plan de dépenses pour la modernisation de NORAD. Le coût de la modernisation des systèmes radars du NORAD, dont la dernière mise à jour remonte aux années 1980, est estimé à plus de 11 milliards de dollars. Cela équivaut à près de la moitié du budget annuel actuel du Canada en matière de défense. Il est probable que le coût final sera beaucoup plus élevé, car une grande partie de la technologie est encore en développement. Les mises à jour proposées comprendront des capacités maritimes avancées et «au-delà de l’horizon», qui seront en mesure de lancer des attaques de «première frappe» sur les sites de lancement de missiles.

Plusieurs exercices militaires dans l’Arctique – tous prévus bien avant la guerre en Ukraine – sont en cours ou viennent de se terminer. L’opération Noble Defender a été annoncée par NORAD dans un communiqué de presse daté du 15 février 2022. L’opération s’est déroulée du 14 au 17 mars et a mobilisé des centaines de militaires du Canada et des États-Unis, des dizaines de chasseurs CF-18 canadiens et F-22 américains, des avions de ravitaillement et d’autres appareils de soutien. Ron Hubert, professeur agrégé de sciences politiques à l’Université de Calgary, a déclaré à la CBC que le fait que «NORAD fasse tout son possible pour s’assurer que vous êtes au courant, que cela est partagé, fait évidemment partie du signal que nous envoyons aux Russes en ce moment».

L’exercice Arctic Edge est une autre démonstration de force militaire qui a eu lieu récemment dans la région polaire. Le Commandement du Nord de l’armée américaine a annoncé cet exercice bisannuel le 8 février. Du 28 février au 17 mars, plus de 1.000 militaires américains et canadiens se sont entraînés à la guerre dans l’Arctique.

L’exercice annuel de l’armée canadienne dans l’Arctique, l’opération Nanook, doit se dérouler en août à Cambridge Bay et à Pond Inlet, sur la côte nord de l’île de Baffin. Ces exercices ont été entrepris pour la première fois en 2007 à la demande de l’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper, un politicien de droite et belliqueux qui y a participé personnellement chaque année jusqu’à la fin de son mandat. Ils ont pour but ultime de démontrer de la puissance dans l’Arctique canadien afin de renforcer les revendications de souveraineté du Canada et de viser la Russie. Si des soldats du Danemark et des États-Unis ont participé à ces exercices au cours de la dernière décennie, ils ne l’ont pas fait en tant que membres de l’OTAN.

Alors que le Canada entretient un partenariat militaro-stratégique étroit avec l’impérialisme américain depuis plus de huit décennies, un différend de longue date oppose les deux pays au sujet de la frontière dans la mer de Beaufort. Ottawa et Washington sont également en désaccord sur le statut de la route maritime du passage du Nord-Ouest qui traverse l’océan Arctique. Le Canada prétend qu’il fait partie de ses eaux intérieures, tandis que les États-Unis dans leur interprétation de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) – qu’ils n’ont jamais ratifiée – affirment que le passage est international.

La prétention américaine qu'il s'agit d'eaux internationales donnerait à ses navires un transit sans douane dans l’Arctique, ce qui serait économiquement avantageux pour ses navires commerciaux, et militairement avantageux pour démontrer de la puissance contre la Russie dans la région et réapprovisionner sa base aérienne la plus septentrionale à Thulé, au Groenland. Le gouvernement canadien veut contrôler l’accès aux détroits et percevoir les droits éventuels pour affirmer ses revendications de souveraineté sur la région.

En 2007, le passage du Nord-Ouest a été libéré des glaces pour la première fois dans l’histoire, ouvrant au commerce international une route longtemps inaccessible et beaucoup plus courte que les voies de navigation intercontinentales actuelles. Vingt millions de tonnes de marchandises ont traversé le détroit en 2018, soit le double de l’année précédente. Une étude récente publiée dans la revue Nature Climate Change suggère que les étés dans l’océan Arctique pourraient être entièrement libres de glace d’ici 2035. Les changements climatiques provoqués par l’homme réduisent rapidement la zone de l’océan Arctique couverte par la glace de mer – environ 2,8% par décennie depuis que le National Snow and Ice Data Center de la NASA a commencé à tenir des registres en 1979. La couverture de glace de mer dans l’océan Arctique a diminué d’environ 40% depuis lors. Cette perte spectaculaire de glace de mer aura un effet domino sur l’accélération des changements climatiques.

L’Arctique canadien représente 40% de la masse terrestre totale du pays. Il abrite de vastes réserves non exploitées de minéraux et d’énergie. On estime que 13% des réserves pétrolières non découvertes de la planète se trouvent sous les fonds marins de l’Arctique. D’importantes opérations minières menées par des sociétés cotées en bourse, comme Agnico-Eagle, sont menées dans ces territoires, où l’on extrait des métaux précieux comme l’or, l’argent, le cuivre et le zinc.

La mine de minerai de fer à ciel ouvert de Mary River, détenue par Baffinland Iron Mines à l’extrémité nord de l’île de Baffin au Nunavut, est un autre exemple de ressource stratégique dans la région. Le Canada était le 8e producteur de ce métal en 2020, devant les États-Unis, qui se classaient au 9e rang, mais derrière la Chine, 3e et la Russie, 5e.

La mine a été le théâtre de manifestations des Inuits en février 2021 en raison de son impact sur l’environnement et la chasse, l’un de leurs principaux moyens d’assurer leur subsistance dans une région encore largement sous-développée. Les habitants de cette région isolée sont généralement pauvres et ont du mal à se procurer de la nourriture, qui coûte en moyenne trois fois plus cher que dans les régions du sud du Canada.

Les inquiétudes entourant la vente de la mine d’or de Hope Bay au Nunavut l’année dernière montrent jusqu’où le gouvernement canadien est prêt à aller pour protéger ce qu’il considère comme ses «intérêts de sécurité nationale» dans l’Arctique. La mine, qui se trouve sur le détroit de Victoria au Nunavut, a été achetée par Agnico-Eagle en janvier 2021. Le gouvernement canadien avait bloqué sa vente à la société d’État chinoise Shandong Gold Mining Co. Ltd pour des «raisons de sécurité nationale» le mois précédent.

Ces dernières années, la Chine a manifesté son intérêt pour la route maritime du Nord, qui longe la côte arctique russe, et pour le passage du Nord-Ouest, un fait qui explique sans doute pourquoi le Canada garde jalousement ses privilèges dans la région. Comme l’a dit Jody Thomas, conseillère à la sécurité nationale de Trudeau, dans ses commentaires à la Conférence d’Ottawa sur la défense et la sécurité en mars 2021 «Nous ne devrions pas du tout sous-estimer la menace de l’exploitation des ressources dans l’Arctique par la Chine en particulier. La Chine a un appétit vorace et ne reculera devant rien pour se nourrir, et l’Arctique est l’un des derniers domaines et régions qui restent et nous devons le comprendre et l’exploiter plus rapidement qu’ils ne peuvent le faire.»

Les revendications de souveraineté du Canada sur l’archipel arctique ont été formulées en vertu du «Principe de Sector», invoqué pour la première fois au Sénat canadien par le sénateur Pascal Poirier en 1907. Le principe de base de cette revendication était que, puisque la plupart des îles avaient été découvertes par des explorateurs britanniques, toutes les îles situées au nord du Canada entre les 141 et 60 méridiens de longitude ouest jusqu’au pôle Nord étaient la possession du Canada. Cette revendication arbitraire a été faite à une époque où les puissances impérialistes se préparaient à rediviser le monde dans le sang lors de la Première Guerre mondiale. Le Danemark, la Norvège et les États-Unis ont tous revendiqué et envoyé des explorateurs dans la région arctique. Bien que la Norvège ait abandonné ses revendications, l’élite dirigeante canadienne continue d’avoir des différends avec les États-Unis dans la mer de Beaufort et avec le Danemark au sujet de l’île Hans, au milieu du détroit de Nares, entre l’île d’Ellesmere et le Groenland.

Des tentatives plus récentes visant à renforcer les revendications de souveraineté du Canada dans l’Arctique ont abouti à la relocalisation forcée des Inuits de certaines parties de l’île de Baffin et du nord du Québec vers des îles arides et inhospitalières du nord. Ces relocalisations ont été mises en œuvre de manière coercitive par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en 1953 et 1955. Les représentants du gouvernement, la Compagnie de la Baie d’Hudson et les Églises anglicane et catholique romaine s’étaient mis d’accord sur cette ligne de conduite l’année précédente afin de peupler le Nord. Les Inuits ont été relocalisés à Grise Fiord, sur l’île d’Ellesmere, et à Resolute, sur l’île Cornwallis, afin de faire valoir l’argument de l’«occupation effective» par rapport aux revendications de souveraineté du Canada. Bien qu’un rapport interne de la GRC datant de 2006 le démente, les Inuits affirment qu’au moins 20.000 chiens de traîneau inuits ont été tués dans les années 1950 et 1960 pour les forcer à abandonner leurs pratiques culturelles traditionnelles et à s’installer dans les nouvelles communautés.

(Article paru en anglais le 3 avril 2022)

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