Royaume-Uni: l’élite dirigeante britannique impose un «choc historique aux revenus réels» de la classe ouvrière

Le 1er  avril, tous les ménages britanniques ont subi une hausse vertigineuse de leur facture énergétique. Cette hausse stupéfiante de 54  pour cent signifie en moyenne 693  livres [831 euros] de plus à payer par an, soit 57,75  livres [69,29  euros] par mois. Pour les 4,5  millions de personnes ayant des compteurs à prépaiement, les plus pauvres de la société, l’augmentation est encore pire: 708  livres [849 euros], faisant passer la facture moyenne par an de 1,309 à 2.017  livres [de 1.570 à 2.420 euros], soit 59  livres [71 euros] de plus par mois.

Une autre augmentation du plafond de 42  pour cent, prévue pour octobre, coûtera 830 livres [996  euros] de plus sur un an, doublant la facture annuelle moyenne; celle-ci atteindra environ 2.800  livres [3.360 euros].

Le Chancelier de l’Échiquier, Rishi Sunak, quitte le No11 Downing Street pour présenter son budget  2021 à la Chambre des Communes. 27/10/2021. (Photo : Luca Boffa / No10 Downing Street/FlickR)

De nombreux usagers ont signalé que les fournisseurs avaient plus que doublé les paiements par prélèvement automatique. Les sites Internet de plusieurs fournisseurs ont du fermer jeudi, les usagers tentant de soumettre des relevés de compteur pour anticiper les hausses de prix.

L’augmentation des prix de l’énergie est régressive, les plus pauvres et les plus vulnérables sont les plus durement touchés – les bénéficiaires d’allocations ou les personnes souffrant de graves problèmes de santé, les handicapés, les travailleurs pauvres, les personnes seules et les retraités. De nombreux retraités risquent désormais de mourir de faim.

L’augmentation du prix de l’énergie fait suite au budget de printemps du chancelier Rishi Sunak qui s’est juste contenté de réduire la taxe sur le carburant d’un montant négligeable de 6  centimes par litre, une mesure rapidement annulée par la hausse des prix à la pompe.

Face à cette hausse des factures de carburant qui éclipse toute augmentation ponctuelle du coût de la vie dans l’histoire, Sunak a lancé un autre coup de poing dans la figure. Il n’accordera aux ménages qu’une réduction de 200  livres sur leur facture énergétique en octobre, et la somme devra être remboursée à l’État à raison de 40 livres par an sur cinq ans, à partir de 2023.

Cette hausse des prix intervient alors qu’entre 2016 et 2020, les cinq principales entreprises énergétiques britanniques ont réalisé des bénéfices de 7,7  milliards de livres. Elle est la pointe d’une crise plus large du coût de la vie qui fait basculer des millions de gens dans le dénuement, alors que 14  millions de Britanniques sont déjà considérés comme vivant dans la pauvreté.

Alors que le gouvernement rouvrait complètement l’économie l’été dernier, Sunak a supprimé l’augmentation de 20  livres par semaine de l’allocation « Universal Credit » dont bénéficient les plus pauvres, parmi eux plus de deux millions de travailleurs faiblement rémunérés. La plus grande réduction ponctuelle de prestations sociales de l’histoire. Ce qui s’annonce est bien pire, et nombreux sont ceux qui ne pourront plus se chauffer, acheter de la nourriture ou se déplacer.

L’inflation approche les 10 pour cent, son taux le plus élevé depuis 40  ans. Les prix des denrées alimentaires avaient déjà augmenté de 5  pour cent entre janvier 2021 et janvier 2022. De nombreux produits alimentaires ont augmenté de plus de 10  pour cent et certains jusqu’à 16  pour cent. Les tests a écoulement latéral coûteront désormais 3  livres chacun, 20  livres pour une boîte de sept. Les contrats de haut débit, téléphone et télévision augmentent d’au moins 42  livres par an.

L’essence a augmenté de 39  pour cent, soit 23 livres pour un plein. Pour la première fois, le coût du plein d’une voiture familiale moyenne dépasse les 90  livres [108 euros]. La plus forte hausse des tarifs ferroviaires depuis neuf ans est entrée en vigueur en mars, une augmentation de 3,8  pour cent. Un banlieusard moyen devra désormais payer 3.263  livres pour un abonnement de train, soit 49  pour cent de plus qu’en 2010.

L’augmentation de 10  pour cent de l’Impôt sur la Sécurité sociale à partir du 1er  avril et la hausse de la TVA figurent parmi les autres mesures destinées à prélever chaque année des centaines de livres supplémentaires aux travailleurs. La TVA du secteur hôtelier avait été réduite à cinq pour cent durant la pandémie, réduction partiellement annulée en octobre dernier, pour passer à 12,5  pour cent. Cette semaine, elle est revenue à 20  pour cent.

La taxe d’habitation devrait augmenter d’environ 3  pour cent, les paiements pour les propriétés de la tranche moyenne D augmentant de 67  livres pour atteindre près de 2.000  livres par an. Globalement, les factures d’eau augmenteront de 1,7  pour cent à partir d’avril, soit de 7  livres, pour atteindre 419  livres, mais certaines régions connaissent des hausses allant jusqu’à 10,8 pour cent.

Les hausses de taux d’intérêt de la Banque d’Angleterre coûteront à la famille moyenne 295  livres.

Si l’on tient compte de toutes les augmentations, les ménages sont confrontés à une augmentation stupéfiante et exorbitante de leurs factures et autres frais de 2,620  livres.

Un rationnement de fait du carburant et de la nourriture est déjà en cours. Le Bureau des statistiques nationales indique que 34  pour cent des personnes déclarant que le coût de la vie augmente utilisent moins de gaz et d’électricité à la maison et que 31  pour cent réduisent leurs achats alimentaires. La moitié d’entre elles ont réduit leurs dépenses non essentielles.

Les ménages à faible revenu qui consacrent une part bien plus importante de leurs revenus à l’énergie et à l’alimentation seront bien plus fortement touchés. La Resolution Foundation estime que 1,3  million de personnes supplémentaires tomberont dans la pauvreté absolue en 2023, dont 500.000  enfants.

L’argent extorqué ainsi à la classe ouvrière est destiné à récupérer les centaines de milliards de dollars de dépenses publiques de la pandémie, dont la plus grosse part a été remise à la grande entreprise et aux super-riches. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Andrew Bailey, a déclaré la semaine dernière que les événements d’Ukraine avaient accéléré la crise de stagflation et que les Britanniques étaient confrontés à un «choc historique aux revenus réels».

Le mois dernier, Bailey avait insisté pour dire que la crise du coût de la vie signifiait qu’il fallait s’opposer aux demandes d’augmentations de salaire des travailleurs.

Friedrich Engels, le cofondateur avec Karl Marx du socialisme scientifique, écrivait en 1845 dans «La condition de la classe ouvrière en Angleterre» qu’en raison de la «guerre sociale» de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, «la maison de chacun est en état de siège». Il y décrivait l’«indifférence barbare» de la classe dirigeante face à la détresse de la population. Ces observations résument le programme de la classe dirigeante aujourd’hui.

Elle ne peut organiser et imposer cet assaut historique contre le niveau de vie que parce que c’est la politique convenue non seulement du gouvernement conservateur mais aussi de ses partenaires dans une coalition de fait, le Parti travailliste et les syndicats.

Le Parti travailliste se présente désormais comme le parti de la «faible imposition». Sir Keir Starmer déclara en novembre à la Confédération de l’industrie britannique qu’il représentait le « parti des entreprises … Nous ne pensons vraiment pas que la solution à tous les problèmes soit de les régler avec de l’argent». Conformément à cet engagement, Starmer demande seulement aux Tories (conservateurs) de mettre en œuvre une «taxe exceptionnelle» sur les producteurs de pétrole et de gaz de la mer du Nord «afin de réduire ces factures d’énergie jusqu’à 600  livres pour ceux qui en ont le plus besoin.» Il a souligné qu’il s’agirait d’une taxe «ponctuelle» pour «faire face à la crise immédiate».

La proposition de Starmer ne vise qu’à dissimuler le fait que les travailleurs sont appauvris par des entreprises qui se remplissent les poches en profitant de la tuerie en Ukraine, dû à la hausse des prix mondiaux du carburant. Les résultats de production d’Exxon Mobil au premier trimestre, par exemple, devraient atteindre un record trimestriel de sept ans, ses bénéfices d’exploitation atteignant 9,3  milliards de dollars. Cela, alors que le Centre de recherche sur l’économie et les affaires mettait en garde contre quatre années supplémentaires de factures énergétiques massives, jusqu’en 2026, en raison d’une guerre délibérément provoquée par l’OTAN, les coûts énergétiques des ménages étant susceptibles d’atteindre 400  livres pour un seul mois l’hiver prochain.

Dans cette situation désespérée pour les travailleurs, que propose le chef encore reconnu de la «gauche» travailliste? L’ancien chef du parti, Jeremy Corbyn, a pris la parole samedi lors d’une minuscule manifestation organisée par l’Assemblée du peuple devant Downing Street. Il a proposé comme solution un «plafonnement des prix des factures de gaz et d’électricité et l’appropriation publique des entreprises énergétiques» – une politique qui est une abomination tant pour son propre parti que pour le Parti conservateur.

La seule façon pour les travailleurs de s’opposer à la décimation de leur niveau de vie est de mener une lutte déterminée contre le gouvernement conservateur et les employeurs – en rejetant toutes les exigences de «sacrifices» pour permettre à la classe dirigeante de mener la guerre impérialiste à l’extérieur et la guerre de classe à l’intérieur. Cela signifie qu’il faut se libérer de l’emprise des syndicats qui répondent à chaque attaque du patronat et à chaque riposte des travailleurs par une abjecte capitulation, comme ils en ont une fois de plus fait la démonstration cette semaine chez P&O ferries.

(Article paru d’abord en anglais le 5 avril 2022)

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