Sri Lanka: Les manifestations nationales s’intensifient, plongeant le gouvernement dans une crise profonde

Des manifestations de masse se sont poursuivies lundi dans tout le Sri Lanka pour exiger la démission du président Gotabhaya Rajapakse en raison de l’inflation galopante, des pénuries de carburant et d’autres produits de base, et des heures de coupure d’électricité quotidiennes. Le gouvernement est plongé dans une profonde crise politique après les manifestations de dimanche qui ont défié l’état d’urgence et le couvre-feu de 36 heures, soutenus par une énorme mobilisation policière et militaire.

La police bloque les manifestants qui tentent d’entrer dans le bureau du ministre des Ports et de la Marine marchande Rohitha Abegunawardana à Kaluthura, le 4 avril 2022 [Photo: Shehan Gunasekara]

Des manifestations ont lieu dans toutes les régions de l’île. Environ 1.000 étudiants de l’Université de Jaffna dans le Nord et des centaines de l’Université de l’Est à Batticaloa ont organisé des marches de protestation. De grandes manifestations ont eu lieu dans d’autres villes et villages, notamment à Homagama, Maharagama, Moratuwa, Gampaha et Ja-Ela à l’ouest, Kurunegala au nord-ouest, Anuradhapura au centre-nord et Galle et Matara au sud. De nombreuses manifestations de moindre envergure ont eu lieu dans les petites villes et aux carrefours.

Des manifestants scandant «Go-Gota-Go» (dehors! Gota dehors!) et d’autres slogans ont encerclé les maisons de nombreux parlementaires du gouvernement. La résidence privée du premier ministre Mahinda Rajapakse, la maison Carlton à Tangalle, dans le sud de l’île, a été encerclée par un groupe de manifestants que la police a dispersé à l’aide de gaz lacrymogènes. La police a érigé des barricades pour bloquer plusieurs manifestations.

En réaction aux tentatives de Rajapakse de former un gouvernement provisoire, les manifestants portaient des pancartes telles que «Non à une mosaïque gouvernementale» qui rejetaient clairement ces dernières manœuvres. D’autres ont exprimé l’intense colère populaire face au manque de nourriture, de médicaments et de carburant. D’autres encore ont exprimé leur absence de confiance dans tous des grands partis, en disant: «Le pouvoir au peuple», «Ne tuez pas notre avenir», «Trop c’est trop» et «Rendez-nous l’argent escroqué».

Manifestation des étudiants de l’université de Jaffna [WSWS Media]

Des sections de la classe ouvrière ont rejoint les protestations de masse. Plus particulièrement, des centaines d’infirmières et d’agents de santé juniors ont manifesté devant l’hôpital national de Colombo. Des enseignants universitaires et des travailleurs non universitaires ont également rejoint la campagne de protestation à Peradeniya. Dans plusieurs endroits, des avocats ont pris part à la manifestation.

Le gouvernement est ballotté d’une crise à l’autre. Lundi, le président Rajapakse a accepté la démission de l’ensemble du cabinet, à l’exception de son frère, le premier ministre Mahinda Rajapakse. Il a lancé un appel désespéré aux partis d’opposition pour qu’ils se joignent à un gouvernement provisoire afin de résoudre la crise actuelle.

Les trois principaux partis d’opposition ont rejeté catégoriquement cette offre. Le chef de l’opposition et du Samagi Jana Balavegaya (SJB), Sajith Premadasa, a déclaré: «Nous ne sommes pas prêts à accepter un quelconque poste dans un gouvernement qui inclut le SLPP [Sri Lanka Podujana Peramuna]». Le SLPP est le principal parti de la coalition au pouvoir de Rajapakse.

L’Alliance nationale tamoule (TNA) a également rejeté l’idée. «Son offre de reconstituer le cabinet avec des députés de l’opposition est absurde et rend furieux les gens qui réclament sa démission», a déclaré aux médias Mathiaparanan Abraham Sumanthiran, porte-parole de la TNA.

Marche de protestation à Kandy, le 4 avril [WSWS Media]

Le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) a déclaré sans ambages que rejoindre un tel gouvernement serait un suicide politique. «Il doit vraiment être fou pour penser que les députés de l’opposition soutiendront un gouvernement qui s’effondre», a déclaré le chef du JVP, le député Anura Dissanayaka, aux journalistes à Colombo.

Aucun de ces partis n’a hésité à collaborer avec le gouvernement par le passé. Ils ont participé aux conférences de tous les partis en 2020 et ont soutenu la réouverture prématurée de l’économie par Rajapakse à la mi-2020, permettant à la COVID-19 de sévir sur l’île. Cependant, le niveau de colère populaire est tel qu’aucun d’entre eux n’ose s’associer au gouvernement Rajapakse, totalement discrédité.

Alors que le SJB, le JVP et la TNA dénoncent tous le président Rajapakse et appellent à son départ, aucun d’entre eux n’a de solution à la crise économique actuelle autre que d’imposer de nouveaux fardeaux aux classes ouvrières et aux masses rurales. Le SJB a demandé à plusieurs reprises au gouvernement d’aller demander au FMI un plan de sauvetage, ce qu’il est en train de faire: ce qui s’accompagnera inévitablement de mesures d’austérité sévères.

À midi lundi, Rajapakse n’avait nommé que quatre ministres. Ali Sabry, l’ancien avocat et ministre de la Justice de Rajapakse, a été nommé ministre des Finances en remplacement de Basil Rajapakse, le frère du président, qui était largement critiqué, y compris au sein de la coalition au pouvoir, pour sa gestion de la crise économique. G.L. Peris, Dinesh Gunawardane et Johnston Fernando ont été reconduits dans leurs portefeuilles des Affaires étrangères, de l’Éducation et des Autoroutes.

Manifestation à Maharagama, le 4 avril [WSWS media]

Le gouvernement a été plongé dans une nouvelle tourmente lorsque le gouverneur de la Banque centrale, Ajith Nivard Cabraal, a démissionné lundi en raison de divergences de vues avec le gouvernement sur la manière de faire face à la crise économique. La banque centrale devait publier mardi son examen de la politique monétaire d’avril et prendre une décision sur les taux d’intérêt. Elle n’a pas donné d’indication sur la date à laquelle cela se produirait.

L’économie sri-lankaise se trouve durement touchée par la dislocation de l’économie mondiale causée par la pandémie de COVID-19, qui a été considérablement intensifiée par la guerre par procuration entre les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine. La grave pénurie de devises étrangères a perturbé l’importation de produits pétroliers, d’aliments essentiels, de médicaments et d’autres produits de base. Le pays est au bord du défaut de paiement de ses énormes prêts étrangers.

Dans le contexte de l’aggravation de la crise, la bourse de Colombo a suspendu les échanges à deux reprises lundi en raison de la chute brutale de l’indice des cours des actions de référence. Le marché boursier sri-lankais a perdu 23 pour cent en mars, après avoir chuté de 11 pour cent le mois précédent, avec une baisse globale de 32 pour cent depuis le début de l’année.

Manifestation antigouvernementale à Hatton, le 4 avril [WSWS Media]

L’agitation politique ne fera que s’aggraver aujourd’hui [mardi] avec la convocation du Parlement où tout indique que la coalition au pouvoir perdra sa majorité. Face à l’opposition massive, un certain nombre de partis et de groupes dissidents ont indiqué qu’ils allaient quitter la coalition et fonctionner en tant que groupes indépendants.

L’ancien ministre d’État Nimal Lanza a déclaré que 50 parlementaires du SLPP au pouvoir fonctionneront de manière indépendante au Parlement à partir d’aujourd’hui si le gouvernement tente de poursuivre sa tactique actuelle. Le Sri Lanka Freedom Party (SLFP), qui compte 14 députés, a soulevé lundi des questions concernant les quatre ministres nouvellement nommés et a déclaré qu’il quitterait la coalition au pouvoir. Si tel était le cas, le gouvernement serait réduit à une minorité au sein du parlement de 225 sièges.

Quelles que soient sa composition et sa forme, le prochain gouvernement, constitué de partis qui défendent le capitalisme jusqu’au bout, ne pourra rien faire pour alléger les souffrances des travailleurs. Comme dans le cas de la pandémie de COVID-19, tous ces partis placent les profits des grandes entreprises et la richesse des super-riches avant le bien-être, la santé et la vie de la majorité des gens ordinaires.

Le Parti de l’égalité socialiste (PES) du Sri Lanka est le seul parti intervenant dans le mouvement d’opposition qui exhorte la classe ouvrière à prendre les choses en main. Le PES appelle à la formation de comités d’action dans les usines et les banlieues ouvrières, indépendants des syndicats, qui sont restés silencieux tout au long de cette crise, et de tous les partis de la classe capitaliste. Ces comités d’action peuvent constituer la base d’un gouvernement ouvrier et paysan qui est le seul moyen de résoudre la crise dans l’intérêt des travailleurs par la mise en œuvre de politiques socialistes dans le cadre de la lutte pour le socialisme au niveau international.

(Article paru en anglais le 5 avril 2022)

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