Le gouvernement libéral du Canada a annoncé qu’il prévoyait d’acheter 88 avions de chasse F-35 au géant américain de l’armement Lockheed Martin, et qu’il augmenterait considérablement les dépenses militaires dans son budget 2022, qui doit être présenté ce jeudi.
Le gouvernement libéral minoritaire est assuré du soutien parlementaire pour ces deux mesures, grâce à l’accord de «confiance et d’approvisionnement» de trois ans conclu entre le premier ministre Justin Trudeau et le chef du Nouveau Parti démocratique Jagmeet Singh le 21 mars. En dehors du parlement, cette alliance gouvernementale s’appuiera sur les syndicats propatronaux pour réprimer l’opposition de la classe ouvrière à la guerre à l’étranger et à l’austérité pour les services publics au pays.
Le gouvernement Trudeau et les politiciens sociaux-démocrates du NPD, avec l’appui d’une grande partie des médias bourgeois, prétendent que leur partenariat politique «répondra aux besoins des Canadiens» en créant un «avenir meilleur et plus prospère». En réalité, l’alliance entre les libéraux et les néo-démocrates ne servira que les grandes entreprises canadiennes et leur armée. Derrière la rhétorique de l’accès aux soins dentaires pour tous, du «renforcement des soins de santé» et de la «mise au travail du Parlement pour les Canadiens», les libéraux et les néo-démocrates veilleront à ce que la machine de guerre de l’impérialisme canadien obtienne le financement et l’équipement nécessaires pour poursuivre son rôle provocateur dans la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie, tout en appliquant la «responsabilité financière», c’est-à-dire la restriction des dépenses publiques, au pays.
L’entente libérale-néo-démocrate a coïncidé avec une escalade massive de la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie, dans laquelle Ottawa joue un rôle majeur et particulièrement agressif. Depuis que l’OTAN a poussé Poutine à envahir l’Ukraine, le gouvernement Trudeau a envoyé des dizaines de millions de dollars d’armes offensives à Kiev, dont les forces militaires sont truffées de nationalistes d’extrême droite et de néonazis, et a renforcé la présence militaire du Canada dans les régions de la Baltique et de la mer Noire.
Les mesures que le gouvernement Trudeau prend maintenant pour élargir considérablement les capacités des Forces armées canadiennes visent à assurer que l’impérialisme canadien puisse continuer à faire la guerre dans le monde entier en alliance avec son partenaire militaro-stratégique américain pour les décennies à venir.
Lockheed Martin décrit l’avion de combat furtif F-35 comme «l’avion de combat le plus létal, le plus capable de survivre et le plus intégré du monde». Ses principales caractéristiques comprennent une «amélioration de la guerre électronique», des «capteurs avancés» et une «capacité d’armement avancée de 5e génération». Le coût des 88 avions à réaction du Canada s’élèvera à 19 milliards de dollars, soit environ 15 milliards de dollars américains. Cette somme représente 25 % de plus que ce que le gouvernement fédéral, qui dispose de loin des plus grands pouvoirs et ressources budgétaires en vertu de la constitution canadienne, a fourni aux provinces et aux territoires en 2020, dans le cadre du Transfert social canadien, pour payer l’aide sociale, l’éducation postsecondaire et la petite enfance et d’autres services sociaux.
Mais l’achat des F-35 n’est que la pointe de l’iceberg.
En soutenant le gouvernement libéral jusqu’en juin 2025, le NPD s’assure de pouvoir mettre en œuvre une grande partie de l’augmentation de 70 % des dépenses annuelles de défense que les libéraux ont promise en juin 2017 de mettre en œuvre sur une période de neuf ans se terminant en 2026. Selon ce plan, le budget actuel de la défense, qui est d’environ 23 milliards de dollars, passera à environ 32 milliards de dollars au cours des quatre prochaines années. Les fonds supplémentaires sont engagés pour financer, entre autres, une nouvelle flotte de navires de guerre et des drones armés.
Toutefois, en raison de l’avènement d’une nouvelle ère de «concurrence stratégique» entre les grandes puissances – c’est-à-dire les offensives stratégiques de l’armée américaine contre la Russie et la Chine, soutenues par le Canada –, ces énormes augmentations prévues des dépenses militaires sont maintenant rejetées comme étant tout à fait inadéquates par les hauts gradés de l’armée, les groupes de réflexion les plus influents de la classe dirigeante et le gouvernement lui-même. La ministre de la Défense, Anita Anand, s’est vantée d’avoir présenté au cabinet divers plans visant à porter les dépenses de défense du Canada à 2 % du PIB, voire davantage. L’OTAN fait actuellement pression sur tous les États membres pour qu’ils portent immédiatement leurs budgets de défense à au moins 2 % de leur PIB.
Pour atteindre cet objectif, le Canada devrait effectivement doubler ses dépenses de défense par rapport à leur niveau actuel de 23 milliards de dollars. Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, a déclaré à la CBC que les dépenses de défense actuelles du Canada représentent 1,39 % du PIB, mais qu’il faudrait 20 à 25 milliards de dollars supplémentaires par an pour maintenir le budget au-dessus de 2 % de la production économique, si l’on tient compte des effets de la croissance économique et de l’inflation.
En outre, il existe un fort soutien au sein des échelons supérieurs de l’establishment militaire et de la politique étrangère en faveur d’un investissement massif dans la modernisation de NORAD, le commandement de la défense aérospatiale et maritime de l’Amérique du Nord, une structure de défense continentale bilatérale canado-américaine datant de la guerre froide. La contribution du Canada à la modernisation du système de surveillance «d’alerte précoce» du NORAD dans le Grand Nord est estimée à 11 milliards de dollars.
Cependant, la question clé qui fait actuellement l’objet de discussions au sein de la classe dirigeante canadienne et de l’establishment militaro-sécuritaire est la nécessité pour le Canada de se joindre au bouclier de défense antimissile balistique américain et d’aider par ailleurs à développer les moyens d’«éliminer» les «menaces au-delà de l’horizon»: c’est-à-dire de se préparer à mener une guerre nucléaire «gagnable» contre la Russie et la Chine.
Le NPD a réitéré à plusieurs reprises son soutien inconditionnel à cette folle campagne de réarmement, qui ne peut être comprise que comme la préparation de l’élite dirigeante canadienne à être un belligérant majeur dans une troisième guerre mondiale, comme elle l’a été lors des deux guerres mondiales impérialistes du siècle dernier. La porte-parole du NPD pour les affaires étrangères, Heather Macpherson, a récemment déclaré: «Nous avons vu nos forces armées être décimées à long terme. Ce n’est pas quelque chose qui vient de se produire. Nous n’avons pas fourni les outils dont nos soldats, nos hommes et nos femmes en uniforme ont besoin pour faire le travail que nous leur demandons de faire en toute sécurité.»
Le NPD, pas moins que les libéraux et les conservateurs, est également tout à fait d’accord avec la campagne insouciante de guerre contre la Russie, qui menace de déclencher une conflagration mondiale. Le NPD a profité d’une récente journée d’opposition au Parlement pour déposer une motion visant à rendre «plus efficaces» les sanctions économiques radicales contre la Russie. Lindsay Mathyssen, porte-parole du parti pour la défense nationale, a déclaré: «Les sanctions économiques sont un outil puissant dont nous disposons pour frapper Poutine là où cela lui fera le plus mal, à savoir sa richesse. Cependant, les sanctions n’auront pas l’effet escompté si le gouvernement n’est pas disposé à les faire appliquer correctement.»Elle a exigé l’établissement d’une liste noire publique des propriétaires russes d’actifs canadiens, une mesure qui sera sans doute utilisée pour intensifier davantage la fièvre de guerre hystérique anti-russe dans la classe moyenne supérieure.
En réalité, le prix des sanctions sera payé par les travailleurs en Russie, en Ukraine et dans le monde entier, car le coût des principaux produits de base et des produits de première nécessité augmentera dans un contexte de stagnation des salaires.
Le vaste programme de réarmement de l’impérialisme canadien se fera aux dépens de la classe ouvrière. Les dizaines de milliards de dollars de dépenses de guerre supplémentaires qui seront prélevés sur les dépenses publiques et les salaires des travailleurs s’ajouteront aux centaines de milliards pillés des fonds publics par l’élite des entreprises et l’oligarchie financière pendant la pandémie, lorsque le gouvernement Trudeau a orchestré le transfert de plus de 650 milliards de dollars aux grandes entreprises et aux banques pratiquement du jour au lendemain. Tout comme les énormes dépenses de l’élite dirigeante pour faire la guerre, le sauvetage des super-riches pendant la pandémie a été pleinement approuvé par le NPD et les syndicats, qui ont veillé à ce que toute opposition populaire à la campagne de retour au travail et à l’école de l’élite dirigeante soit sabotée et réprimée.
La ministre des Finances Chrystia Freeland a explicitement déclaré que le financement supplémentaire pour l’armée entraînera des coupes budgétaires ailleurs. Lors de sa mise à jour fiscale de l’automne 2021, Freeland s’est engagée à imposer des «garde-fous fiscaux» pour s’assurer que les dépenses gouvernementales effectuées au début de la pandémie de COVID-19 soient réduites et que le Canada puisse tendre vers un budget équilibré.
Derrière le blabla des médias bourgeois sur les nouveaux engagements de dépenses majeurs pour apaiser le NPD, la réalité est que les libéraux et les néo-démocrates approuvent pleinement le cadre d’austérité pour les dépenses publiques et de faibles impôts pour l’élite patronale qui a dominé la vie politique au cours des trois dernières décennies. Rien n’est prévu pour annuler les coupes sauvages dans les soins de santé, l’éducation, le logement social et d’autres services sociaux essentiels qui ont vu les inégalités et la pauvreté atteindre des niveaux sans précédent au Canada. Au contraire, les coupes dans ces domaines devront être intensifiées pour payer le budget militaire massif et les subventions à l’économie dite «verte», «d’énergie propre», dont les entreprises canadiennes espèrent tirer des profits de plusieurs milliards de dollars dans les années à venir.
Les libéraux et le NPD s’appuieront sur la bureaucratie syndicale pour réprimer l’opposition de la classe ouvrière à ce programme de guerre de classe. Le Congrès du travail du Canada a déclaré son soutien inconditionnel à l’accord de confiance et d’approvisionnement, et sa présidente Bea Bruske a déclaré avec enthousiasme dans le Hill Timesque «l’espoir et l’optimisme brillent à travers le brouillard gris» à Ottawa grâce à l’accord entre les libéraux et le NPD. C’est un «antidote bienvenu à la rhétorique partisane nocive de ces dernières semaines et de ces derniers mois», a-t-elle affirmé.
Le sens de cette remarque est sans équivoque. Bruske, la bureaucratie syndicale et le NPD sont déterminés à ce qu’aucune division «partisane» n’émerge sur la guerre que l’élite dirigeante mène à l’étranger, le réarmement massif de l’armée et l’austérité des dépenses publiques. À cette fin, les syndicats continueront de saboter les luttes des travailleurs, comme la capitulation par les Teamsters de la lutte courageuse de 3000 travailleurs de CP Rail le jour même où Trudeau et Singh ont annoncé leur accord.
(Article paru en anglais le 6 avril 2022)