Grèce: grève générale contre la destruction du niveau de vie aggravée par la guerre en Ukraine

Les travailleurs de tous les secteurs de l’économie grecque ont organisé hier une grève générale de 24  heures.

La grève a été lancée en réaction à la crise du coût de la vie qui frappe des millions de personnes et à l’augmentation des inégalités sociales. Elle a paralysé une grande partie du pays.

Une très grande partie des transports publics étaient arrêtés à Athènes; aucun service ne fut assuré dans le métro, les tramways, les trolley bus ou les trains de banlieue. Les bus n’ont fonctionné que 12  heures à partir de 9  heures du matin, avec deux arrêts de trois heures des travailleurs des bus au début et à la fin de leur service. Les ferries, qui jouent un rôle crucial dans la desserte des nombreuses îles de la Grèce, sont restés dans les ports. Les écoles étaient fermées, tout comme les services publics. Le personnel de santé n’a traité que les cas d’urgence dans les hôpitaux publics.

Des manifestants crient des slogans lors de la grève nationale de 24  heures dans le centre d’Athènes, en Grèce, mercredi 6 avril 2022.

La grève aurait eu un impact encore plus grand sans l’intervention anti-démocratique du service de l’aviation civile, qui a obtenu une décision de justice rendant illégale la participation des contrôleurs aériens, des ingénieurs électriciens et du personnel des télécommunications.

Le mouvement des travailleurs grecs fait partie de l’éruption mondiale de la lutte des classes alimentée par la destruction du niveau de vie des travailleurs provoquée par la pandémie et la guerre en Ukraine. Des grèves et des manifestations de masse ont éclaté contre l’austérité brutale imposée dans de nombreux pays ces dernières semaines, notamment au Sri Lanka, en Espagne, au Soudan, en Tunisie et au Canada.

Les revenus de millions gens ont été amputés, notamment par la flambée des prix de l’énergie, aggravée encore par la participation de la Grèce aux sanctions économiques contre la Russie. Quarante pour cent des besoins énergétiques annuels de la Grèce proviennent de fournitures de gaz importées de Russie.

Cet assaut est lancé contre une classe ouvrière qui a déjà subi une guerre sociale et économique de près de 15  ans contre son niveau de vie de la part de gouvernements successifs, d’abord avec le PASOK social-démocrate, puis avec la pseudogauche SYRIZA (au gouvernement de 2015 à 2019) et enfin avec la Nouvelle démocratie (ND) conservatrice.

Ont appelé à la grève les deux principaux syndicats grecs qui représentent 2,5  millions de travailleurs, la GSSE (Confédération générale des travailleurs grecs) dans le secteur privé et ADEDY (Confédération des syndicats des fonctionnaires publics). Le PAME (Front militant de tous les travailleurs), dirigée par le Parti communiste stalinien (KKE), y a également participé.

Des rassemblements ont eu lieu dans toutes les grandes villes, dont plus de 70 se sont tenus toute la journée. Des dizaines de milliers de personnes ont participé aux rassemblements d’Athènes; l’Associated Press rapporte que «9.000  manifestants ont défilé dans la deuxième ville de Grèce, Thessalonique, dans le nord du pays».

À Athènes, trois rassemblements ont eu lieu sur différentes places, menés par les différentes fédérations et partis politiques de gauche.

Les milliers de participants aux divers rassemblements ont parlé au nom de millions de personnes, profitant de l’occasion pour dénoncer la forte implication du gouvernement ND dans la guerre délibérément provoquée par les États-Unis et les puissances de l’OTAN. Des milliers de personnes ont participé au rassemblement du PAME sur la place principale, la place Syntagma, devant le Parlement grec. L’affiche de promotion du rassemblement comprenait les slogans «Contre l’augmentation du coût de la vie», «Pour la négociation collective et l’augmentation des salaires» et «Non à l’engagement de la Grèce dans la guerre».

Le KKE et le PAME sont des organisations farouchement nationalistes dont l’histoire est imprégnée des crimes contre-révolutionnaires de la bureaucratie soviétique. Leur base comporte des membres et leurs descendants qui se souviennent de l’occupation fasciste du pays par les troupes d’Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale et de la prise du pouvoir par la junte fasciste soutenue par les États-Unis en 1967, restée au pouvoir jusqu’en 1974. Les appels contre la guerre lancés par le PAME et le KKE, tout comme leurs déclarations contre l’impérialisme, sont toujours faits dans l’optique de la défense des «intérêts nationaux» de la Grèce.

Le PAME, comme les autres grandes fédérations syndicales, est parfaitement conscient de la montée du sentiment anti-impérialiste et de l’opposition à l’élite dirigeante dans la classe ouvrière alors que la Grèce renforce ses liens avec l’OTAN et sert de base-clé aux provocations contre la Russie.

Des manifestants défilent pendant la grève nationale de 24  heures à Athènes, en Grèce, le mercredi  6  avril 2022. (AP Photo/Thanassis Stavrakis)

La force de ce sentiment est telle que la bureaucratie syndicale est obligée d’opérer un changement tactique. Selon le site «Press Project», «ADEDY a pour sa part donné un ton anti-guerre à la grève» en demandant l’arrêt immédiat de la guerre. Elle «accuse le gouvernement d’utiliser la guerre pour se décharger de sa propre responsabilité dans l’augmentation du coût de la vie, les réductions de salaires et la poursuite de sa politique néolibérale et anti-ouvrière».

L’inflation augmente de façon exponentielle, passant de 6,2  pour cent en janvier à 7,2  pour cent en février et, selon des données préliminaires publiées la semaine dernière, à 8  pour cent en mars. Selon une étude de l’Agence statistique grecque publiée en février, l’inflation a fait grimper les prix de l’électricité de 71,4  pour cent et le coût du gaz naturel a augmenté de 78,5  pour cent. De nombreuses familles dépendent du fioul domestique, dont le prix a augmenté de 41,5  pour cent, pour se chauffer. Le prix des carburants et des lubrifiants a augmenté de 23,2  pour cent.

Ces prix sont tout simplement inabordables dans un pays où le salaire minimum n’est que de 663  euros par mois (723  dollars), n’ayant été que très légèrement augmenté par le gouvernement ND du premier ministre Kyriakos Mitsotakis en janvier. Compte tenu de l’inflation galopante qui vient s’ajouter à la terrible réduction du niveau de vie déjà imposée, une augmentation de 13  pour cent du salaire minimum réclamée par la GSSE ne le porterait qu’à 751  euros.

La hausse des prix de l’énergie et des produits de base, ainsi que les pénuries de pain et d’autres produits à base de farine ont déclenché une crise sociale. La Grèce importe environ 250.000  tonnes de blé tendre de Russie et d’Ukraine, soit 30  pour cent de ses importations totales de blé. Avant même la guerre en Ukraine, le coût de gros du blé avait déjà bondi de 80 pour cent par rapport à 2020, principalement en raison des coûts énergétiques. Il y a deux semaines, les supermarchés ont imposé des restrictions sur la quantité de farine, d’huile et d’autres articles pouvant être achetés.

«Notre vie maintenant, c’est juste d’être endetté», a déclaré à Reuters Georgios Alexandropoulos, un transporteur de 60  ans, pendant la grève. «Je dois de l’argent à la compagnie d’électricité et à mon propriétaire, j’ai deux mois de retard dans le loyer et je dois les deux dernières factures d’électricité. Bientôt, nous aurons des dettes envers tout le monde… Nous ne pouvons pas continuer comme ça». Le psychologue Michalis Tokaras a déclaré qu’il était obligé de «réduire tout», ajoutant: «Nous devons choisir entre payer notre hypothèque ou payer les factures. Nous avons touché le fond».

La GSEE a déclaré en appelant à la grève: «Depuis 14  ans, les travailleurs portent le fardeau d’une crise profonde qui a affecté les revenus et la vie de chacun».

Les revendications des bureaucraties syndicales sont profondément cyniques. ADEDY demande par exemple des augmentations de salaire au moins égales à la croissance du PIB et à l’inflation tout comme l’abolition de l’impôt de solidarité détesté de 1 à 4  pour cent des revenus, introduit en 2011 et censé expirer en 2015. Mais les syndicats ont collaboré avec les gouvernements pour réprimer chaque lutte de la classe ouvrière, année après année.

La lutte des travailleurs contre l’abaissement systématique de leur position sociale et la surexploitation par les entreprises se croise désormais avec une opposition croissante à la guerre, à l’impérialisme et à la dictature.

Pendant des semaines, les travailleurs de la compagnie ferroviaire grecque TrainOSE de Thessalonique ont refusé de transporter vers la frontière ukrainienne des véhicules blindés militaires de l’OTAN arrivés sur des cargos américains au port grec d’Alexandroúpolis. Ils devaient être envoyés à la frontière ukrainienne, en Roumanie et en Pologne, pour le régime de Zelensky. Bien que TrainOSE ait menacé les travailleurs de les licencier, il ne réussit pas à obtenir un accord pour faire bouger le train. En fin de compte, la société a dû recruter des briseurs de grève pour conduire le train à Alexandroúpolis.

Selon les informations, huit grévistes ont été arrêtés hier à Thessalonique, dont des membres du comité central du KKE, selon le quotidien Ta Nea. Un rassemblement a eu lieu mercredi soir au siège de la police de la ville pour demander leur libération.

La signification politique du mouvement de grève en Grèce fut soulignée par la réaction des néonazis Ukrainiens qui ont dénoncé hier «les membres de la populace rouge en Grèce… Un peloton de formations nationalistes ukrainiennes résoudrait le problème une fois pour toutes». Faisant référence à la junte fasciste qui a dirigé la Grèce, ils ont ajouté: «Ramenons le pouvoir des “colonels noirs” – rapidement et efficacement».

Face à un raz-de-marée de propagande gouvernementale et médiatique diabolisant la Russie et exigeant que chacun sacrifie ses conditions de vie pour soutenir l’opération de l’OTAN, TaNeaa rapporté que, dans un sondage réalisé pour le Journal des rédacteurs, une majorité de deux tiers avait déclaré que l’envoi de matériel de guerre en Ukraine mettait la Grèce en danger.

Une majorité était favorable à ce que seule l'aide humanitaire soit envoyée. Seuls 32 pour cent ont répondu qu'il fallait envoyer à la fois de l'aide humanitaire et du matériel de guerre. Une faible majorité (53 pour cent) pense que la guerre sera limitée localement, et 40 pour cent craignent qu'elle ne débouche sur un conflit mondial.

(Article paru d’abord en anglais le 7 avril 2022)

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