Le Sri Lanka toujours sans ministre des Finances au milieu des manifestations antigouvernementales

Quelques jours après la démission de l’ensemble du cabinet sri-lankais, le président Gotabhaya Rajapakse n’est toujours pas en mesure de trouver un repreneur pour le poste crucial de ministre des Finances. Le pays est actuellement plongé dans sa pire crise économique depuis des décennies et se trouve au bord du défaut de paiement. La raréfaction des devises étrangères a entraîné des pénuries de carburant, de nourriture et de médicaments, une flambée des prix et de longues coupures d’électricité. Tout cela suscite des manifestations de masse continues qui exigent la démission du président et de son gouvernement.

Manifestation nocturne d’étudiants universitaires et de jeunes à Ragama, une banlieue de Colombo, le 7 avril [WSWS Media].

Basil Rajapakse, le frère du président, était le ministre des Finances et il a été largement blâmé pour la crise économique, y compris au sein de la coalition au pouvoir. Lorsqu’il a démissionné, avec le reste du cabinet lundi, il a été remplacé par Ali Sabry, avocat personnel et proche confident du président. Moins de 24 heures plus tard, ce dernier a également démissionné.

Le président a fait le tour de l’establishmentde Colombo pour trouver un remplaçant, mais jusqu’à hier, personne ne semblait prêt à accepter le calice empoisonné. Le Daily Mirrora rapporté qu’on avait approché l’ancien ministre du commerce, Bandula Gunawardena, mais qu’il avait «montré des réticences» à accepter l’offre.

Avec la colère croissante de l’opinion publique contre le gouvernement, «tous les députés du gouvernement sont réticents et semblent se renvoyer la balle d’un député à l’autre, le président n’étant pas en mesure de trouver un candidat approprié pour le portefeuille», indique l’article. L’article explique que le temps presse pour le président, car le ministre des Finances doit diriger une délégation auprès du Fonds monétaire international (FMI) à Washington d’ici la deuxième semaine d’avril pour obtenir l’aide économique dont il a désespérément besoin.

Rajapakse a nommé un nouveau gouverneur de la Banque centrale et un nouveau secrétaire du ministère des Finances, mais personne ne veut prendre la responsabilité de diriger l’équipe qui doit mendier un renflouement d’urgence auprès du FMI. Un tel plan s’accompagnerait inévitablement de mesures d’austérité sévères qui ne manqueraient pas de provoquer des protestations encore plus vives dans des conditions où la faim et la famine menacent le pays.

L’incapacité à trouver un ministre des finances ne fait que souligner l’énormité de la crise économique et politique qui engloutit le gouvernement et l’establishment politique de Colombo dans son ensemble. Le gouvernement se compose actuellement d’un cabinet squelettique qui comprend: le président, le premier ministre et trois autres ministres pour les affaires étrangères, l’éducation et les transports.

La perplexité des cercles dirigeants a été mise en évidence par le caractère grotesque du débat de deux jours au Parlement, mercredi et jeudi. Les défections massives de mardi ont réduit les effectifs du gouvernement à une mince majorité de 114 sièges sur les 225 que compte le Parlement.

En ouvrant le débat sur la crise, le président du Parlement a averti que le pays était menacé de famine. Aucun des parlementaires n’y a prêté attention et le débat a tourné à la pantomime.

Les députés du gouvernement ont accusé les partis d’opposition – le Samagi Jana Balavegaya (SJB) et le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) – de susciter les protestations et d’inciter à la «violence». En réalité, les partis d’opposition n’ont joué qu’un rôle minime, voire nul, dans les manifestations qui, dans leur grande majorité, ont éclaté hors de leur contrôle.

Les partis d’opposition se trouvent tout aussi terrifiés par ce mouvement populaire de masse que le gouvernement. Ils ont refusé la demande de Rajapakse de rejoindre un gouvernement d’unité nationale.

Les députés du SJB ont à nouveau manifesté au Parlement pour demander la démission du président, mais le parti n’a aucune solution à la crise à laquelle les masses sont confrontées. Depuis des semaines, il exhorte le gouvernement à se rendre au FMI et à accepter ses conditions draconiennes pour un renflouement.

Le leader du JVP, Anura Kumara Dissanayake, a révélé le caractère de classe de son parti lorsqu’il a déclaré que le JVP était prêt et disposé à collaborer avec d’autres partis capitalistes pour former un gouvernement intérimaire – à condition que le président Rajapakse démissionne.

«Les citoyens de ce pays n’accepteront aucun gouvernement intérimaire ou d’autre mécanisme qui viendra tant que le président restera en fonction», a-t-il déclaré. «Le président doit démissionner. À cette condition, nous sommes prêts à discuter de toute proposition… [pour] une coalition ou un gouvernement intérimaire».

Le JVP, qui est connu pour sa démagogie populiste, parfois même socialiste, s’est affiché comme un soutien du mouvement de protestation et a déclamé la nécessité d’un «gouvernement du peuple». Dissanayake a clairement montré ce que serait le gouvernement populaire proposé par le JVP en réalité: une combinaison sordide de partis et de politiciens capitalistes bricolés dans le dos des travailleurs.

Des jeunes manifestent à Kandy pour demander la démission du président sri-lankais [WSWS Media].

La classe ouvrière avait déjà fait l’expérience du JVP au pouvoir lorsque ce dernier était entré dans le gouvernement de coalition de la présidente Chandrika Kumaratunga en 2004-2005, au milieu d’une agitation politique considérable. Les quatre ministres du JVP – dont Dissanayake lui-même en tant que ministre de l’Agriculture, de l’élevage, des terres et de l’irrigation – ont contribué à faire appliquer le progamme d’austérité exigé par le FMI, particulièrement dans les zones rurales. Le JVP n’hésiterait pas à faire de même aujourd’hui dans des conditions de crise économique bien plus profonde.

Le Financial Timesa rapporté mercredi que la roupie sri-lankaise a dépassé le rouble russe en tant que monnaie la moins performante du monde. La valeur de la roupie a plongé de 32 pour cent depuis le début de l’année. La bourse de Colombo, selon Bloomberg, suit de près la bourse russe en affichant la plus mauvaise performance mondiale.

L’inflation a atteint 18,5 pour cent du PIB en mars, mais l’inflation des denrées alimentaires est bien plus élevée, à 30 pour cent. Cela rend de plus en plus difficile l’achat de nourriture pour les travailleurs, même lorsqu’ils peuvent s’approvisionner. La situation réelle est bien pire. Steve H. Hanke, économiste à l’université Johns Hopkins, a calculé que l’inflation au Sri Lanka avait atteint 55 pour cent le 24 mars, soit le sixième taux le plus élevé au monde après le Venezuela, le Zimbabwe, le Liban, la Turquie et le Soudan.

Le système de santé publique est en train de s’effondrer. Le Sri Lanka importe plus de 85 pour cent de ses besoins pharmaceutiques et le gouvernement n’a pas de dollars américains pour les payer. Gotabhaya Ranasinghe, cardiologue à l’hôpital national de Colombo, a déclaré au Guardianque les hôpitaux étaient à court de médicaments et que de nombreuses vies étaient en jeu.

«Il s’agit de médicaments importants pour le cœur, de médicaments pour la pression artérielle, les crises cardiaques, tous sont en rupture de stock. J’ai entendu dire que de nombreux médicaments contre le cancer ne sont plus disponibles non plus, c’est donc une situation très inquiétante», a-t-il déclaré. «Les gens se débattent, ils sont dans la rue, mais nous sommes dans une impasse terrible et je ne vois pas comment en sortir».

Hier, des médecins, des infirmières et d’autres travailleurs hospitaliers ont organisé des manifestations dans tout le pays pour demander une solution à la crise sanitaire. Au cours des deux derniers jours, des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes, dont Colombo, Kalutara, Ratnapura, Kandy, Kurunegala, Trincomalee, Ratmalana, Moratuwa, Galewela, Bingiriya et Maharagama.

Des travailleurs de la santé manifestent devant l'hôpital de Kayts, dans le nord du Sri Lanka [WSWS Media].

Certains syndicats du secteur public, notamment dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’électricité, ont appelé à contrecœur à des manifestations limitées à Colombo et dans d’autres villes. Ces mêmes syndicats ont trahi une lutte de grève après l’autre au cours des deux dernières années. Ils n’interviennent que maintenant pour tenter de contenir et réprimer la colère qui monte parmi leurs membres.

Des milliers d’étudiants universitaires de Moratuwa, Uva Wellassa, Rajarata, Wayamba et de l’Université ouverte se sont également joints aux manifestations d'hier. Certains élèves des écoles se sont également joints à eux.

L’establishmentpolitique est embourbé dans une crise profonde à l’heure actuelle. Mais à moins que la classe ouvrière n’avance sa propre solution à la situation désespérée à laquelle les masses font face, la classe capitaliste imposera un fardeau encore plus lourd aux travailleurs, par des moyens dictatoriaux si nécessaire.

Hier, le Parti de l'égalité socialiste a publié une déclaration sur le World Socialist Web Site appelant à la chute du gouvernement Rajapakse et à l'abolition de la présidence exécutive autocratique. Le PES a exhorté les travailleurs à former leurs propres comités d'action indépendants et a présenté un programme d'action socialiste qui vise à garantir la nourriture, le carburant et les médicaments.

Nous exhortons les travailleurs et les jeunes à étudier attentivement la déclaration et à la mettre en pratique. Par-dessus tout, si vous êtes d’accord avec cette perspective politique, rejoignez et construisez le PES en tant que parti révolutionnaire de masse nécessaire pour mener ces luttes.

(Article paru en anglais le 8 avril 2022)

Loading