Le Sri Lanka, maintenant englouti par les manifestations et les protestations en cours, est au centre d'une tempête de la dette qui déchire une multitude de pays à faible revenu. Cela entraîne une dévastation sociale pour des centaines de millions de personnes alors que les gouvernements capitalistes, les banques, les spéculateurs financiers et le Fonds monétaire international (FMI) exigent leur lourd tribut.
Cette crise qui s'est accumulée pendant des années a atteint un nouveau pic d'intensité. Ceci en raison de la pandémie de COVID-19 et maintenant de l'explosion des prix des produit de base, dont les denrées alimentaires, l'essence, le carburant et les huiles de cuisson, suite à la guerre par procuration des États-Unis et l'OTAN contre la Russie en Ukraine.
Vendredi, les Nations Unies ont annoncé que son indice des prix alimentaires pour mars avait atteint un niveau record, augmentant de 34 pour cent par rapport à il y a un an. L'indice était supérieur de 12,6 points de pourcentage à celui de février. L'ONU a décrit cela comme un «un bond de géant».
La crise est sur le point d'être encore exacerbée par la volonté des banques centrales du monde entier, menées par la Réserve fédérale américaine, de relever fortement les taux d'intérêt au cours des prochains mois en réponse à la hausse de l'inflation.
Les réserves de devises étrangères du Sri Lanka chutent, avec des doutes quant à sa capacité à respecter les échéances de remboursement de la dette cette année, estimée à 8,6 milliards de dollars. Jeudi, la banque centrale sri-lankaise a annoncé que les réserves de devises du pays étaient tombées à 1,93 milliard de dollars en mars, en baisse de 16 pour cent par rapport aux 2,3 milliards de dollars de février.
La situation sri-lankaise est l'expression la plus nette d'un processus mondial qui s'est développé au cours de la dernière décennie. Fin janvier, un rapport de la Jubilee Debt Campaign, basée au Royaume-Uni, estimait que les remboursements de la dette des pays en développement avaient augmenté de 120 pour cent entre 2010 et 2021. La dette extérieure publique moyenne était estimée à 14,3 pour cent des recettes publiques en 2021, contre 6,8 pour cent en 2010.
En janvier, la Banque mondiale a estimé que les pays à faible revenu devraient payer 35 milliards de dollars aux prêteurs des secteurs public et privé en 2022, soit une augmentation de 10,9 milliards de dollars par rapport à l'année précédente et une augmentation de 45 pour cent depuis 2020.
Depuis que ces estimations ont été publiées, il y a à peine deux mois, la situation financière de ces pays s'est considérablement détériorée en raison de la nouvelle poussée de l'inflation engendrée par la guerre en Ukraine.
La crise de la dette s'est intensifiée avec la fin en décembre dernier de l'Initiative de suspension du service de la dette (DSSI) introduite par le groupe des nations du G20 en avril 2020. La DSSI s'est avérée être, selon les termes du Financial Times, un «pétard mouillé».
Ce dispositif visait à reporter 20 milliards de dollars de dette, mais l'allégement n'était que de 12,7 milliards de dollars, et les pays ont dû reprendre les paiements cette année et reconnaître les dettes suspendues dans le cadre de l’arrangement.
Les principaux bénéficiaires de la DSSI ont été les banques commerciales, les négociants en matières premières et les détenteurs d'obligations, qui ont reçu 14,9 milliards de dollars tout en ne reconnaissant qu’un moratoire de 24 millions de dollars, soit seulement 0,2 pour cent du montant dû. Tim Jones, responsable de la politique chez Jubilee, a déclaré que la DSSI était «effectivement devenue un plan de sauvetage pour les prêteurs privés».
Une analyse du Bretton Woods Project publiée plus tôt ce mois-ci a observé que «les pays surendettés comme la Zambie sont obligés de payer des créanciers privés comme BlackRock [la plus grande société de gestion d'actifs au monde], au détriment du bien-être de leur propre population».
Dans le cadre de la diabolisation américaine de la Chine, il y a eu une campagne croissante pour tenir les prêts qu’elle accorde responsable pour la crise croissante de la dette.
Mais Jubilee a indiqué que sur les remboursements de la dette dus cette année, 47 pour cent sont destinés à des prêteurs privés, 27 pour cent à des institutions multilatérales, 12 pour cent à la Chine et 14 pour cent à d'autres gouvernements. Les prêts chinois étaient soit à des conditions conformes à celles du FMI et d'autres prêteurs multilatéraux, soit à des conditions meilleures.
Il n'y a pas de solution à la crise de la dette dans le cadre de ce qu'on appelle la restructuration de la dette. Toutes ces mesures seront utilisées comme elles l'ont été dans le passé, c’est-à-dire pour imposer encore plus de mesures d'austérité à la population, une grande partie de l'argent n'étant pas utilisée pour financer des investissements productifs ou des dépenses sociales, mais pour rembourser les détenteurs de dettes anciennes.
Au Sri Lanka, le Parti de l'égalité socialiste a soulevé la nécessité de la répudiation de la dette et de l'expropriation de la richesse des banques et des ultra-riches comme première étape immédiate dans la lutte contre la crise et pour se tourner vers la classe ouvrière dans d'autres pays en vue d’une lutte commune.
Les conditions du développement de cette orientation - une lutte mondiale unifiée contre les pieuvres financières qui affament et étranglent des centaines de millions de personnes - ont été créées par l'éruption de grèves et de protestations à travers le monde au cours des dernières semaines.
Ces développements ont données des sueurs froides à certaines couches de l'establishment politique américain.
Cette semaine, des membres de la commission sénatoriale des relations étrangères ont envoyé une lettre au président Biden l'avertissant que la «grave crise mondiale de la sécurité alimentaire» découlant de la guerre en Ukraine menaçait «de pousser des millions de personnes dans la faim et de déstabiliser des régions d'une importance stratégique pour les États-Unis».
Mais l'aide pour atténuer la crise alimentaire ne viendra pas des États-Unis. Politico a rapporté que si les responsables américains s'efforçaient d'atténuer les pénuries, ils rencontraient des problèmes. Les réserves de blé, y compris aux États-Unis, sont inférieures à la normale en raison d'une sécheresse et «les gouvernements ayant des excédents de céréales ont été réticents à libérer une trop grande partie de leur approvisionnement, y compris le Canada».
En d'autres termes, concernant la crise alimentaire, les pays les plus pauvres recevront le même traitement qu'ils ont reçu lorsqu'un déploiement mondial de vaccins COVID a été bloqué par le nationalisme vaccinal des grandes puissances.
Sarah Charles, un haut responsable de l'USAID, a témoigné devant un sous-comité du Congrès que «les impacts de la crise actuelle sur la pauvreté, la faim et la malnutrition pourraient être encore plus importants que ceux observés lors de la crise mondiale des prix alimentaires de 2007-2009 et des troubles civil qui ont suivi, car la dernière crise a suivi une période de forte croissance économique, alors que les années qui se sont écoulées depuis le début de la pandémie de COVID-19 ont été caractérisées par un ralentissement économique mondial de plus en plus grave».
Dans la ville Yéménite d'Aden, a-t-elle noté, le prix d'un morceau de pain a augmenté de 62 pour cent entre le 25 février et le 3 mars. Au Liban, l'inflation alimentaire intérieure a atteint 483 pour cent.
En Afrique du Sud, les manifestations avaient doublé pour atteindre plus de 1.000 par an depuis 2018, au milieu d'avertissements selon lesquels le pays était «susceptible d'être entré dans une phase d'instabilité violente continue».
Dans une interview accordée à la BBC jeudi, le directeur du groupe de réflexion Eurasia Group, Daniel Kerner, a été interrogé sur la possibilité d'une vague d'explosions sociales en Amérique latine, comme celle qui s'est produite fin 2019.
Il a répondu : «Oui, en 2019, nous avons constaté beaucoup de mécontentement dans de nombreux endroits, et il est vrai que la pandémie a mis un terme au problème. Mais en même temps, ce n'était qu'une pause et maintenant la situation est beaucoup plus explosive».
Résumant les craintes des cercles dirigeants, un rapport de l'Institut allemand Friedrich a déclaré : «Comme on le disait à l'époque de la Révolution française, si la population n'a pas de pain, ceux au pouvoir sont menacés d’une catastrophe».
La crise ne se limite pas aux pays les plus pauvres. Les travailleurs des pays d’économie plus avancée, dont la Grande-Bretagne, les États-Unis et l'Australie, commencent à prendre des mesures pour garantir des augmentations de salaire face à l'inflation galopante, qui, selon le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Andrew Bailey, provoquera un «choc historique» sur les revenus.
L'unification de ce mouvement mondial et la lutte pour l'armer d'une perspective socialiste seront au centre du rassemblement du 1er mai de cette année convoqué par le World Socialist Web Site et le Comité international de la Quatrième Internationale.
(Article paru en anglais le 9 avril 2022)