Les Teamsters ne feront rien après que l’enquête ait établi la responsabilité du Canadien Pacifique dans le déraillement fatal de Field en Colombie-Britannique

Travaillez-vous au CP ou chez un autre exploitant? Contactez le comité des travailleurs de la base du CP à cpworkersrfc@gmail.com pour nous dire ce que vous pensez de la réponse des Teamsters au rapport sur le déraillement de Field.

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La Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC) a émis une déclaration sommaire à la suite de la publication, la semaine dernière, du rapport final du Bureau de la sécurité des transports (BST) du gouvernement fédéral sur le déraillement du train 301 du CP en février 2019 près de Field, en Colombie-Britannique. Le déraillement, qui s’est produit lorsque les freins à air ont cédé sur une pente abrupte par temps extrêmement froid, a coûté la vie à trois cheminots.

Locomotive du train 301 du CP qui a déraillé (Photo: Transportation Safety Board) [Photo: Transportation Safety Board]

Le rapport du BST rend compte en détail des événements qui ont conduit au déraillement de Field. Il a dressé un réquisitoire dévastateur contre ce que l’on appelle dans le secteur le «precision-scheduled railroading» (PSR). Comme l’a expliqué le World Socialist Web Sitedans un premier article sur le rapport, «Les résultats documentent une litanie de décisions motivées par le profit et de manquements aux avertissements qui ne mènent qu’à une seule conclusion possible: CP Rail porte la responsabilité de la mort du chef de train Dylan Paradis, du mécanicien Andrew Dockrell et du chef de train stagiaire Daniel Waldenberger-Bulmer.»

Le rapport a révélé que le CP a ignoré à plusieurs reprises les avertissements des travailleurs concernant les problèmes de freins par temps froid. La veille de sa mort, Dockrell lui-même a rempli un rapport soulevant ce problème après avoir parcouru le même tronçon de voie près de Field. En raison d’une panne de courant au dortoir de CP Rail, il n’a jamais pu déposer son rapport. Après le déraillement, on l’a retrouvé sur son cadavre.

Le rapport du BST a également révélé que les problèmes de freins du train 301 avaient été signalés plus tôt au cours de son trajet, que le chef de train n’avait pas reçu une formation adéquate de la part de CP Rail pour faire son travail, et que l’entreprise avait abandonné sans explication, en 2015, une règle de sécurité qui interdisait aux trains de descendre la colline Field lorsque la température descendait sous les -25 degrés Celsius.

Le BST, dont les attributions gouvernementales ne lui permettent pas de rejeter la responsabilité juridique des accidents, a émis trois recommandations non contraignantes: «(E)ntretenir des normes d’essai plus rigoureuses et un entretien en fonction du temps pour les cylindres de frein des wagons de marchandises qui circulent sur des pentes abruptes dans des températures ambiantes froides; installer des freins de stationnement automatiques sur les wagons de marchandises, en donnant la priorité à ceux qui sont utilisés dans les trains unitaires de marchandises en vrac sur le territoire des pentes montagneuses; et faire en sorte que le CP Rail démontre à Transports Canada qu’il peut identifier efficacement les dangers et évaluer et atténuer les risques en utilisant tous les renseignements disponibles.»

La déclaration de la CFTC, qui prétend représenter 16.000 travailleurs du rail, n’était qu’une misérable démonstration de sa soumission aux diktats de CP Rail et au système réglementaire pro-patronat présidé par le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau.

Après avoir brièvement rappelé certaines des principales conclusions du BST, le passage clé de la déclaration de la CFTC est le suivant: «Nous espérons que les recommandations du BST seront adoptées afin d’atténuer les risques qu’un tel désastre se reproduise».

Les recommandations du BST n’ont aucun poids juridique, puisqu’il appartient à Transports Canada, un ministère du gouvernement fédéral qui a prouvé à maintes reprises sa dévotion servile au profit des entreprises au détriment de la sécurité des travailleurs, de les traduire en règles exécutoires pour les exploitants ferroviaires. La CFTC déclare ainsi sa pleine «confiance» dans le gouvernement libéral qui n’a pris aucune mesure malgré une longue liste d’avertissements sur les problèmes de freinage des trains dans les pentes raides avant le déraillement mortel de Field. Le BST a admis la semaine dernière avoir enregistré 189 «mouvements non planifiés et non contrôlés» entre 2010 et 2019.

Transports Canada a assuré la surveillance la plus minimale des chemins de fer du pays – et généralement comme une forme de limitations des dégâts par les relations publiques à la suite d’accidents mortels comme le déraillement de Field.

Lorsque le ministre des Transports, Marc Garneau, a ordonné aux chemins de fer d’utiliser immédiatement les freins à main sur tous les trains arrêtés sur des pentes raides à la suite de la tragédie de Field, le CP Rail en a immédiatement fait appel. Même lorsque des recommandations ont été adoptées par Transports Canada et mises en application, elles sont régulièrement bafouées par le CP, qui risque, tout au plus, une amende symbolique. L’année dernière, le CP a laissé un train de montagne stationné sans équipe ni freins à main au-dessus du même site que le déraillement fatal de Field, deux ans auparavant.

Dans sa réponse furieuse au rapport du BST de la semaine dernière, le CP Rail a clairement indiqué qu’il utiliserait tous les moyens à sa disposition pour résister et saper toute nouvelle réglementation. L’entreprise a dénoncé le rapport du BST comme étant «extrêmement décevant» et «inapproprié».

En revanche, la déclaration des Teamsters indique clairement qu’ils n’ont pas l’intention de faire quoi que ce soit pour défendre les travailleurs du rail. En ce qui concerne le syndicat, le rapport du BST marque la fin de tout litige sur la responsabilité du déraillement de Field.

Dans sa déclaration, la CFTC a félicité le BST d’avoir identifié «tous les problèmes et toutes les lacunes» et s’est dite «satisfaite» de «l’examen approfondi du contexte, des circonstances et des causes de cette tragédie».

La CFTC a manifestement estimé qu’il serait impoli envers ses «partenaires» patronaux et gouvernementaux de rappeler que le BST a travaillé assidûment tout au long du processus pour protéger le CP des enquêtes criminelles sur le déraillement. En janvier 2020, lorsque Don Crawford, l’enquêteur principal du BST, a proposé que la GRC prenne en charge l’enquête en vue de porter des accusations criminelles, il a été rapidement démis de ses fonctions par les dirigeants du Bureau. Face à la menace d’une poursuite judiciaire par CP Rail, la présidente du BST, Kathy Fox, a présenté des excuses à l’exploitant ferroviaire.

Après avoir enjolivé le système de réglementation gouvernemental favorable aux entreprises, le syndicat a procédé à une déclaration de sympathie creuse et totalement hypocrite aux parents et collègues des trois travailleurs ferroviaires décédés. La CFTC a écrit que le déraillement avait «radicalement changé la vie des familles, des amis et des collègues ainsi que celle de notre organisation pour toujours».

Bien que le déraillement ait certainement dévasté la vie des familles et des amis des trois travailleurs, il n’a entraîné aucun «changement» substantiel, et encore moins un changement «radical», dans l’étroite collaboration entre les bureaucrates des Teamsters, les dirigeants du CP et les organismes de réglementation gouvernementaux qui président à un travail dangereux et à un régime disciplinaire qui s’apparente à une dictature. Les préoccupations des travailleurs continuent d’être sommairement rejetées, les menaces et les intimidations, y compris les licenciements pour des infractions disciplinaires mineures, étant à l’ordre du jour. Les plaintes des travailleurs sont acheminées par le biais d’un système d’arbitrage «travaillez maintenant, déposez votre plainte plus tard», connu par les travailleurs comme un «tribunal kangourou» qui favorise le CP Rail. Comme l’a dit un cheminot au WSWS, «Je n’ai jamais entendu parler d’un gars qui était sorti gagnant».

De plus, la CFTC n’a pas pris la peine de lever le petit doigt pour les familles des victimes, qui ont parlé d’un silence radio de la part des syndicats au cours de leur lutte harassante de plusieurs années pour découvrir la vérité sur l’accident. Comme Pam Fraser, la mère de Dylan Paradis, l’a récemment déclaré au WSWS: «Nous pensions que les Teamsters seraient un partenaire de soutien dans nos initiatives visant à apporter des changements, mais ils n’ont rien fait».

Dans sa déclaration, la CFTC a qualifié le déraillement fatal d’«inutile et évitable». Pourtant, à chaque occasion, le syndicat a saboté toutes les actions entreprises par les travailleurs pour s’opposer aux conditions de travail dangereuses et empêcher que des accidents comme le déraillement de Field ne se reproduisent. Au fil des ans, le syndicat n’a rien fait pour s’opposer au régime d’horaires de travail esclavagistes du CP, au système de démérite punitif et à la politique de dépistage des drogues qui contraint les travailleurs à travailler dans des conditions dangereuses.

Le mois dernier, lorsque le CP a mis en lock-out 3000 chefs de train, mécaniciens et agents de triage qui avaient voté massivement pour la grève, les Teamsters ont conspiré avec le CP pour les obliger à reprendre le travail. Le syndicat a accepté de soumettre le différend à une procédure d’arbitrage favorable à l’entreprise, qui exclut la mention de bon nombre des principales revendications des travailleurs. L’accord d’arbitrage des Teamsters prive les travailleurs de leur droit de faire la grève ou la grève du zèle et de négocier collectivement pour les années à venir. Les cheminots n’auront même pas la chance de voter sur le règlement dicté par l’arbitre.

De tels processus sont habituels pour les fonctionnaires de la CFTC, qui ont compté sur le gouvernement fédéral pour intervenir dans les huit derniers conflits de travail sur neuf afin d’imposer les directives écrites par les dirigeants du CP Rail.

La CFTC, comme ses homologues syndicaux partout dans le monde, n’est rien de plus qu’une police du travail intégrée depuis longtemps dans la structure de la gestion des entreprises et de l’État capitaliste. L’indifférence impitoyable affichée par la CFTC à l’égard des victimes du déraillement de Field et les menaces auxquelles les travailleurs du rail sont confrontés quotidiennement ne sont pas le fruit d’une mauvaise volonté de la part des bureaucrates de la CFTC. Elles trouvent plutôt leur origine dans la loyauté du syndicat à l’égard de l’État capitaliste et dans sa soumission à l’impératif d’accumulation de profits privés par des sociétés impitoyables qui considèrent que la vie des travailleurs est totalement remplaçable.

Le rapport accablant du BST sur le déraillement de Field et la réponse pathétique de la CFTC soulignent une fois de plus l’urgence pour les travailleurs du rail de mener une lutte indépendante pour la sécurité au travail et l’amélioration des conditions. Les travailleurs du CP ont mis sur pied le Comité des travailleurs de la base du CP pour mener cette lutte.

Le Comité des travailleurs de la base du CP lutte pour mettre fin à la domination des chemins de fer nord-américains par les entreprises en organisant une rébellion dirigée par les travailleurs contre les conditions de travail dangereuses supervisées par l’alliance tripartite des dirigeants d’entreprise, des bureaucrates syndicaux et des organismes de réglementation gouvernementaux. Comme le Comité l’a souligné dans sa déclaration fondatrice, «la lutte au CP Rail est un champ de bataille clé pour les travailleurs du Canada, des États-Unis et du monde entier. Alors que les élites dirigeantes se préparent à plonger le monde dans une guerre catastrophique potentiellement menée à l’aide d’armes nucléaires, elles ne peuvent tolérer aucune dissidence de la part des travailleurs chez eux. L’entente d’arbitrage que le CP, les Teamsters et le gouvernement Trudeau tentent de nous imposer nous privera de tout droit de faire la grève, de faire la grève du zèle ou de négocier des améliorations pour les années à venir. S’ils réussissent, des méthodes draconiennes similaires seront employées contre les travailleurs partout dans le monde.»

Nous encourageons tous les travailleurs du rail qui souhaitent se joindre à cette lutte à nous écrire à cpworkersrfc@gmail.com.

(Article paru en anglais le 8 avril 2022)

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