Pourquoi Mélenchon se met-il en retrait après avoir presque battu Le Pen?

Peu après 20h dimanche soir, alors que l’issue du premier tour n’était toujours pas claire, Jean-Luc Mélenchon s’est déclaré vaincu et a appelé à voter Macron. Peu après, son organisation, la France insoumise, a annoncé qu’il ne serait plus jamais candidat à la présidence de la République.

La séquence était extraordinaire. Mélenchon allait remporter 22 pourcent des voix, seulement 300.000 de moins que la néofasciste Marine Le Pen; des centaines de milliers de votes LFI n’étaient toujours pas comptés en région parisienne. Mais Mélenchon s’est empressé d’annoncer sa défaite et d’appeler à voter Macron contre Le Pen. Devant les caméras, il a scandé: «Il ne faut pas donner une seule voix à Mme Le Pen».

Plus tard, alors que l’on faisait le décompte des voix à Paris, le total de Mélenchon a rapidement augmenté. Ce n’était pas avant 1h lundi qu’il était clair que Mélenchon n’allait pas battre Le Pen et avancer au second tour. La décision de LFI de s’avouer battu dans ces conditions et d’annoncer la mise en retrait de son leader et candidat présidentiel est étonnamment auto-destructrice.

Il est faux d’ailleurs de dire que puisque Mélenchon a perdu, la partie est jouée. Objectivement, LFI a une position très puissante. Avec 7,7 million des voix, LFI a remporté la jeunesse et les quartiers populaires de 10 des 16 plus grandes agglomérations de France, dont la région parisienne, Marseille et Toulouse. Cet électorat jouera sans doute un rôle central dans les grèves et les manifestations qui éclateront contre le prochain président, que ce soit Macron ou Le Pen.

Jean-Luc Mélenchon en juin 2013. (Photo par Pierre-Selim)

Ce que ceci révèle est le caractère petit-bourgeois et poltron de la direction de LFI, qui comme les autres partis de pseudo-gauche est séparée par un gouffre de classe d’un parti trotskyste orienté vers les travailleurs. Plutôt que chercher à consolider son vote et développer un mouvement dans la classe ouvrière, Mélenchon s’empresse de dissiper toute la force acquise par ce vote et de se vautrer dans son alliance avec Macron.

Le Parti de l’égalité socialiste, section française du Comité international de la IVe Internationale (CIQI) a appelé à un boycott actif du second tour. Quel que soit le vainqueur de l’élection, il ou elle dirigera un gouvernement d’extrême-droite qui attaquera violemment les travailleurs. Le PES propose aux travailleurs et aux jeunes de refuser de voter, de rejeter un faux choix entre le «président des riches» et la première néofasciste de France, et de lutter pour construire un mouvement dans la classe ouvrière contre le prochain gouvernement.

Le vote de 22 pour cent pour LFI, par contre, a clairement atterré et terrifié Mélenchon. Fin mars, quand Mélenchon était toujours à 11 pour cent dans les sondages, il a pris la parole à Marseille et expliqué qu’il comptait continuer à jouer un rôle actif dans la vie politique. Malgré son âge, à 70 ans, Mélenchon a dit qu’il «ferait d’autres campagnes sans doute» après les présidentielles.

L’enthousiasme de Mélenchon pour son avenir s’est vite dissipé, toutefois, après que des masses de travailleurs et de jeunes se sont ralliés à lui dans les deux semaines avant l’élection. Devant ses sympathisants le soir de l’élection, fort de 8 millions de voix et malgré la possibilité qui existait toujours d’avancer au second tour, Mélenchon a adopté un ton pessimiste et découragé.

Ayant proclamé sa défaite, il a évoqué le mythe de Sisyphe et sa crainte de ses propres soutiens. Il a dit, «La seule tâche qu’on a à se donner, c’est celle qu’accomplit le mythe de Sisyphe, la pierre retombe en bas du ravin, eh bien on la remonte, dit-il. Je connais votre colère, ne vous abandonnez à ce qu’elle irait vous faire commettre des erreurs qui seraient irréparables».

Cette référence plutôt obscure au mythe de Sisyphe en dit long sur Mélenchon. Selon ce mythe, Sisyphe est condamné dans l’enfer grec à pousser une lourde pierre en haut d’une colline, mais elle roule toujours en bas de la colline dès qu’elle arrive au sommet. Pourquoi Mélenchon compare-t-il ses sympathisants à un homme condamné par les dieux à échouer chaque fois qu’il touche au but?

L’aristocratie financière vénérée par Mélenchon accepte que des millions de travailleurs poussent LFI en haut de la colline, du moment que LFI roule vers le bas dès qu’elle atteint le sommet. LFI et Mélenchon ont accès aux médias et aux responsabilités parce que tous dans l’élite dirigeante, des contacts de Mélenchon dans l’empire milliardaire de Dassault à la sa garde rapprochée au sein de LFI, comprennent le pacte en question. Mélenchon doit échouer, et les travailleurs qui le soutiennent doivent ressortir des élections déçus et démoralisés.

La crainte de Mélenchon vis-à-vis ses supporters tient du fait que le soutien de masse reçu par LFI menace de rompre ce pacte. Un soutien de masse existe pour une politique de gauche, et une approche plus radicale pourrait rallier à lui non seulement les villes, mais les travailleurs périurbains qui votent pour Le Pen. Des millions de travailleurs pourraient ressortir non pas isolés et déçus, mais mobilisés et exigeant une politique de gauche de Mélenchon avec son arrivée au pouvoir. Et cela, Mélenchon ne le tolère pas.

Dimanche soir, il a informé ses soutiens qu’il les abandonnerait s’ils voulaient qu’il fasse mieux qu’être éliminé: «Alors bien sûr, les plus jeunes vont me dire: “Alors on n’y est encore pas arrivés.” C’est pas loin, hein? Faites mieux, merci.»

Interviewé à propos de ces remarques aigries, le personnel de LFI a prétendu que Mélenchon invitait les jeunes à prendre le relais et à se présenter à la présidence pour le remplacer. Ils ont dit au Parisien qu’après son abandon de la politique, Mélenchon pourrait lancer une fondation avec une dotation importante en capital, l’Institut La Boétie, qui permettrait de former «des cadres politiques, des hauts fonctionnaires et de lancer des débats ou des initiatives internationales.»

Hier, ils ont changé leur fusil d’épaule, prétendant que Mélenchon pourrait se présenter aux législatives du 12 juin, juste après les élections présidentielles. Dans ce cas, la «retraite» temporaire de Mélenchon prendrait fin dès que Macron ou Le Pen serait confortablement installé à l’Élysée.

Un parti trotskyste dans sa position pourrait appeler ses millions d’électeurs à manifester et à faire grève contre le danger d’une guerre de l’OTAN contre la Russie, l’explosion des prix qui ruine les travailleurs, et le refus de lutter contre la contagion de Covid-19. De telles grèves, mobilisant de larges sections de travailleurs dans les principales villes de France, stopperaient l’économie. Cela pourrait lancer une puissante lutte internationale des travailleurs contre la guerre, la pandémie, et l’appauvrissement des travailleurs.

Mais Mélenchon n’est pas trotskyste; c’est un ex-ministre social-démocrate, un «populiste» antimarxiste dirigeant un parti petit-bourgeois qui rejette la révolution socialiste et parle d’une «ère du peuple», non pas de la classe ouvrière. Ainsi, Mélenchon se refuse à mobiliser l’opposition ouvrière à la guerre, à l’austérité ou à la pandémie.

Mélenchon n’est pas inactif dans les présidentielles, d’ailleurs: il communique en coulisse avec des représentants des ultra-riches. Hier, Macron a annoncé qu’il échange des textos avec Mélenchon, mais il s’est refusé à aborder le contenu de ses discussions avec lui.

Mélenchon ne fait même pas un marchandage petit-bourgeois avec Macron pour dire ce qu’il exige avant d’appeler ses électeurs à voter Macron. Il n’impose aucune limite aux mesures que Macron prendra contre les travailleurs. Il veut livrer ses électeurs à Macron, pieds et poings liés.

Cet épisode met à nu la mécanique politique réactionnaire grâce à laquelle l’élite dirigeante française divise et étrangle l’opposition ouvrière et installe des présidents de droite malgré la colère qui monte parmi les travailleurs.

Cela confirme aussi l’analyse du PES qu’il y une puissante base parmi les travailleurs et les jeunes pour une politique de gauche et révolutionnaire, qu’il faut mobiliser. Puisque des parties de pseudo gauche comme LFI se refusent à mobiliser cette opposition, il est nécessaire de soutenir la campagne du PES pour un boycott actif, mobilisant les travailleurs à la fois contre Macron et Le Pen, et appelant à construire le PES en tant qu’alternative à LFI.

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