Dans un discours à la nation lundi soir, le Premier ministre sri-lankais Mahinda Rajapakse a nié la responsabilité du gouvernement dans la catastrophe économique et sociale du pays. Il a lancé un avertissement glacial aux travailleurs, exigeant la démission de son frère, le président Gotabhaya Rajapakse, et du gouvernement.
Le discours annoncé à la hâte sur la chaîne de télévision Derana a été prononcé alors que le gouvernement fait des efforts désespérés pour rester au pouvoir. La coalition au pouvoir détient une majorité infime au Parlement après que 41 députés ont déclaré qu’ils siègeraient indépendamment du gouvernement.
Des centaines de milliers de personnes sont engagées dans des manifestations continues à travers l’île, exigeant que le président et le gouvernement «rentrent chez eux». Dans un contexte d’inflation galopante, de pénurie d’aliments essentiels et de carburant, de coupures de courant, le soutien populaire aux protestations ne cesse de croître.
Le Premier ministre a déclaré avec cynisme qu’il comprenait «la fatigue des gens» qui attendent dans les files d’attente et «la souffrance des gens face à la montée en flèche du prix des marchandises». Mais le véritable objectif de son discours est de condamner les protestations en cours comme une menace pour la démocratie et de demander leur arrêt immédiat.
Rajapakse a déclaré: «Le mot d’ordre “Non au 225 au Parlement” résonne aujourd’hui dans les rues. Cela se traduit immédiatement par un rejet de ce système démocratique. Bien que cela puisse sembler bon, je vous invite à comprendre son danger dans une perspective historique».
De quelle démocratie parle Rajapakse! Des masses de personnes poussées dans les rues par la colère et le désespoir exercent leur droit démocratique fondamental de s’opposer à l’ensemble des 225 membres égoïstes du Parlement. Il s’agit du gouvernement et de l’opposition confondus. Tous ces politiciens capitalistes sont responsables des décennies d’attaques contre la position sociale et les droits démocratiques de la classe ouvrière.
La présidence et le parlement ont été les instruments d’une attaque après l’autre contre les droits démocratiques. Le gouvernement actuel a invoqué la loi sur les services publics essentiels pour criminaliser l’action industrielle des travailleurs qui réclament des salaires plus élevés et de meilleures conditions de vie. Il a lâché la police, avec ses gaz lacrymogènes et ses matraques. Il les a envoyés contre des étudiants qui manifestaient pour s’opposer aux attaques contre la gratuité de l’enseignement.
La liberté d’expression se trouve constamment menacée par l’arrestation de journalistes critiques à l’égard du gouvernement. En même temps, le régime Rajapakse a arrêté des centaines de tamouls et de musulmans en vertu de la loi draconienne sur la prévention du terrorisme, tout en attisant le chauvinisme cinghalais réactionnaire dans le but de diviser la classe ouvrière.
L’invocation de l’histoire par le Premier ministre est un avertissement brutal indiquant que le gouvernement est prêt à aller beaucoup plus loin et à faire régner la terreur contre les manifestations de masse, comme l’ont fait les gouvernements sri-lankais dans le passé.
Rajapakse s’est référé en particulier au mouvement antigouvernemental qui a émergé parmi les jeunes cinghalais sans emploi dans le sud de l’île à la fin des années 1980. Le régime du président J. R. Jayawardene a pris prétexte des attaques meurtrières du «Janatha Vimukthi Peramuna» (JVP) contre des opposants politiques et des travailleurs pour lâcher des escadrons de la mort parrainés par l’armée qui ont massacré environ 60.000 jeunes ruraux dans le but d’éradiquer l’agitation antigouvernementale. Les routes étaient bordées de cadavres calcinés pour semer la terreur dans la population.
Le Premier ministre a également évoqué l’émergence des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) dans le nord de l’île qui a conduit à la guerre communautaire qu'a connu le pays pendant 26 ans. Les jeunes tamouls n’ont rejoint le LTTE et d’autres groupes armés tamouls qu’en raison d’une frustration profonde face aux politiques antidémocratiques et discriminatoires à l’égard des tamouls. Des voyous chauvins cinghalais ont également menés des pogroms répétés contre les tamouls. La réaction des gouvernements successifs de Colombo a été une guerre sanglante qui a coûté la vie à des centaines de milliers de personnes.
Mahinda Rajapakse, en tant que président, et son frère Gotabhaya, en tant que secrétaire à la Défense, ont présidé aux dernières offensives militaires brutales de 2009. Elles ont entraînées le massacre aveugle de dizaines de milliers de civils tamouls et le rassemblement de centaines de milliers d’autres dans des camps de détention contrôlés par l’armée.
Le Premier ministre a demandé à ses téléspectateurs «d’examiner attentivement cette question.» Et «de protéger notre nation afin qu’elle ne sombre pas une fois de plus dans une période aussi sombre de notre histoire, par le biais de ces actions». C’est une menace particulièrement sérieuse, surtout venant d’un homme qui a le sang des centaines de milliers des personnes sur les mains, non seulement en ce qu'elle vise les manifestations, mais aussi la classe ouvrière et les masses rurales dans leur ensemble.
Rajapakse a également rendu les manifestants responsables de l’intensification de la crise économique, déclarant: «Chaque seconde où vous protestez dans la rue, notre pays perd des occasions de recevoir des dollars potentiels».
De quels dollars Rajapakse parle-t-il? Ce n’est certainement pas l’argent des travailleurs et des pauvres qui luttent désespérément pour survivre au jour le jour. Beaucoup sont proches de la famine, si ce n’est pas déjà le cas. Ils se trouvent incapables d’obtenir les aliments essentiels, sans parler des médicaments et autres éléments de base de la vie.
Le Premier ministre parlait de l’élite corporative et financière, les spéculateurs boursiers, les entrepreneurs et les PDG des entreprises, qui se trouve touchée par la crise économique. Ce sont les couches sociales dont la richesse a explosé pendant la pandémie, en raison de la politique criminelle du gouvernement qui a laissé le COVID-19 se répandre dans la population. Le régime Rajapakse leur a accordé de généreuses réductions d’impôts et des allocations, financées par l’impression de monnaie au nom de la stimulation de l’économie, et a forcé les travailleurs à travailler dans des conditions sanitaires dangereuses.
Le marché boursier du Sri Lanka a atteint son plus haut niveau historique en janvier, l’indice atteignant 13.500 et permettant aux spéculateurs de récolter des fortunes. Les neuf principales entreprises du Sri Lanka ont engrangé 364 milliards de roupies (1,8 milliard de dollars américains) de bénéfices entre avril et juin de l’année dernière. Ils ont empoché collectivement 21 milliards de roupies de bénéfices au cours du premier trimestre de leur exercice financier.
En plus de blâmer les manifestants, le Premier ministre a rejeté la faute sur la pandémie, affirmant que le gouvernement a protégé la population. Un mensonge! Il a également déploré la situation économique mondiale en disant qu’elle avait affecté les revenus étrangers. En d’autres termes, tout le monde et tout ce qui arrive, hormis le gouvernement, est responsable.
S’il est vrai que la crise économique mondiale a durement touché le Sri Lanka, le gouvernement est tout à fait responsable d’en avoir imposé le fardeau aux travailleurs alors qu’il cherchait à protéger les profits des grandes entreprises et l'opulence des super-riches.
Le gouvernement se prépare maintenant à imposer davantage de privations en allant quémander des aides d’urgence auprès du Fonds monétaire international. La semaine dernière, le nouveau gouverneur de la Banque centrale a déclaré que la «stabilité politique et sociale» était nécessaire pour mettre en œuvre les politiques d’austérité du FMI. Ces mesures entraîneront une hausse des prix et des impôts, des pénuries plus importantes et des pertes d’emplois considérables à mesure que les entreprises publiques seront privatisées.
Mahinda Rajapakse a clairement indiqué comment il va atteindre la «stabilité politique et sociale» si les manifestants ne tiennent pas compte de ses avertissements. La réaction commence à nouveau à monter son visage hideux sous la forme de menaces de répression brutale de l’État contre les masses qui font campagne pour défendre leurs droits économiques et sociaux.
Lorsque le président Gotabhaya Rajapakse a imposé un couvre-feu et mis des soldats et des policiers dans les rues le week-end des 2 et 3 avril, les manifestations de masse ont défié la menace et le gouvernement a reculé — temporairement. Dans sa déclaration publiée le 7 avril, le Parti de l’égalité socialiste (PES) a averti que le régime attendait son heure. Le Premier ministre menace maintenant d’utiliser la répression de l’État à une échelle beaucoup plus large et plus violente.
Afin de lutter pour ses droits démocratiques et sociaux fondamentaux, la classe ouvrière a besoin de ses propres organisations démocratiques. Le PES appelle à la formation de comités d’action dans chaque lieu de travail, usine et banlieue ouvrière, élus démocratiquement et indépendants des syndicats et de chaque parti capitaliste.
Les syndicats sont le principal obstacle à la mobilisation de la classe ouvrière. Au cours des deux dernières années, ils ont trahi toutes les luttes des travailleurs, en disant qu’ils comprenaient la crise du pays. La semaine dernière, les syndicats du secteur public ont appelé à une grève d’une journée pour faire chuter la mobilisation. Les dirigeants syndicaux ont déclaré qu’ils sont pour un gouvernement auquel «on peut faire confiance et qui gouverne sur la base du parlement» — c’est-à-dire un autre gouvernement capitaliste des 225 parlementaires.
Le PES a proposé un programme d’action socialiste autour duquel la classe ouvrière peut lutter pour ses droits sociaux et démocratiques et attirer à elle les masses rurales qui se trouvent également durement touchées. Les comités d’action — organes de la démocratie ouvrière — jettent les bases d’une lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan. C’est-à-dire un gouvernement véritablement démocratique qui peut réorganiser la société sur la base des besoins de la majorité et non des profits des plus riches.
Nous vous invitons à rejoindre et à construire le PES qui est le seul parti à lutter pour ce programme.
(Article paru d’abord en anglais le 13 avril 2022)