Dans la crise des amendes du gouvernement Johnson il n’y a pas de voix pour la classe ouvrière

Plus de 360.000  personnes ont signé une pétition demandant la démission du premier ministre Boris Johnson et du ministre des Finances Rishi Sunak, condamnés par la police à des amendes pour avoir enfreint les restrictions de confinement durant la pandémie afin d’assister à une fête d’anniversaire pour Boris Johnson.

Le premier ministre Boris Johnson tient une réunion virtuelle du Cabinet au No10 Downing Street, le 5  janvier 2022 (Photo: Simon Dawson/No 10 Downing Street)

La pétition a été lancée par Matthew Tovey, un infirmier du sud du Pays de Galles. En mars dernier, il avait lancé une autre pétition demandant une augmentation de salaire de 15  pour cent pour les travailleurs du NHS (Service de national de Santé), qui avait reçu plus de 820.000  signatures. Décrivant la pétition actuelle, Tovey écrit: «Au moment où le No10 faisait la fête dans les jardins de Downing Street, je faisais des gardes de 12  heures au NHS – avec un EPI (Protection COVID) complet – dans les couloirs d’hôpitaux qui avaient commencé à ressembler à des champs de bataille».

«Pendant que les membres de ce gouvernement faisaient la fête et buvaient, nous étions au front, à sauver la vie des gens. C’était une période horrible. Nous ne pensions pas à faire la fête. Nos familles nous manquaient. C’était tellement stressant et on ne pouvions rien faire pour améliorer les choses», poursuit-il.

Des millions de travailleurs ressentent la même chose. Ces amendes dérisoires symbolisent le mépris du gouvernement pour la vie des près de 200.000  personnes tuées par le virus, pour les plus de 1,5  million de personnes souffrant de COVID longue durée et les innombrables autres qui ont vu leur vie bouleversée par la pandémie. Le mépris de Johnson pour les règles reflète l’amère déception de la classe dirigeante qui a été contrainte, tardivement, de prendre des mesures sanitaires par crainte de la vague de colère sociale qui aurait suivi l’effondrement du Service de Santé.

Pourtant, l’explosion d’opposition populaire illustrée par la pétition ne trouve aucune expression au Parlement, au point que la majeure partie du Parti conservateur estime actuellement pouvoir encore se rallier à Johnson. La seule motion de censure soumise jusqu’à présent est celle du politicien inconnu Nigel Mills. Mais même lui, reconnaît: «On a presque zéro chance qu’une motion de censure à la Chambre des communes soit perdue… Donc je pense qu’il va continuer pour le moment».

Il y a également eu une démission – celle du ministre de la Justice, Lord Wolfson. Ce dernier a déclaré qu’il n’avait «pas le choix» étant donné ses «obligations ministérielles et professionnelles». La dynamique pourrait bien sûr se renforcer, étant donné les informations qui font état d’autres amendes à venir, Johnson étant impliqué dans plusieurs autres rassemblements, ce qui signifie que personnellement, il est loin d’être sorti d’affaire.

Les calculs effectués en coulisses ont été révélés par le gourou conservateur et fondateur de Conservative Home, Tim Montgomerie, qui a déclaré à BBC Scotland: «Plus tôt que tard, je pense que le premier ministre devra partir, juste pour clarifier les chances du Parti conservateur aux prochaines élections».

La chroniqueuse du Telegraph Allison Pearson, a commenté de manière encore plus délicate: «Tout compte fait, il [Johnson] représente probablement un trop gros boulet pour pouvoir mener les conservateurs aux prochaines élections mais là, il nous faut du temps pour trouver son remplaçant. S’il a une chance de se racheter, Boris pourrait nous surprendre».

Le fait que le premier ministre et son chancelier aient été condamnés à des amendes pour avoir enfreint la loi et que la discussion au sein de leur parti ne porte pas sur la manière d’éviter la chute du gouvernement, mais sur celle de gagner les prochaines élections, est remarquable.

Même si Johnson changeait d’avis et partait, ou si le parti tory décidait soudainement de l’évincer, ce qu’on prépare est un redoublement de sa politique de droite sous une nouvelle direction.

Ces deux dernières années, le successeur préféré de Johnson était Sunak, le multi-millionnaire qui incarne l’oligarchie financière. Mais celui-ci a subi un sérieux revers dû à sa propre condamnation à une amende, venue après le scandale préjudiciable de l’évasion fiscale de sa femme et sa ‘Déclaration de printemps’ largement critiquée. En tête, on trouve maintenant la ministre des Affaires étrangères Liz Truss, le ministre de la Défense Ben Wallace et le président de la Commission des affaires étrangères Tom Tugendhat jouant des coudes derrière.

Truss, affectueusement nommée «la grenade humaine» par ses collègues, a eu pour tâche de faire exploser de manière provocante les relations entre le Royaume-Uni et la Russie dans la période précédant la guerre en Ukraine. Ses interventions bellicistes après l’invasion russe incluent l’encouragement des citoyens britanniques à aller combattre pour l’Ukraine. Elle est considérée comme une libre-échangiste thatchérienne suffisamment ardente pour faire honte à Johnson.

Wallace, ancien capitaine des Scots Guards, est sorti d’une relative obscurité grâce à son rôle de marchand d’armes pour le régime ukrainien, supervisant la fourniture de grandes quantités d’armes britanniques. Un récent sondage pour Conservative Home a montré qu’il était de loin le membre du cabinet le plus approuvé par les électeurs conservateurs, avec une cote de +85,5 pour cent.

Tugendhat, un lieutenant-colonel du Corps de renseignement de l’armée territoriale ayant servi en Afghanistan, s’est fait connaître l’année dernière par une complainte sur l’occupation ratée de ce pays par l’impérialisme britannique qui lui valu d’être ovationné par le Parlement. Il a réagi à l’invasion russe en demandant à Johnson de regarder «près de chez nous, ceux qui permettent, qui propagent la propagande utilisée par Poutine… et de mettre à jour le Treason Act afin que nous puissions les identifier et les nommer pour ce qu’ils sont: des traîtres».

Comme le résume le chroniqueur du TelegraphNick Timothy, qui plaide pour la démission de Johnson, « sous n'importe quel autre dirigeant tory, la politique britannique en Ukraine se poursuivrait sans changement. »

Si le Parti conservateur dispose de tant d’espace pour poursuivre son agenda cela est dû au climat politique extraordinairement droitier créé par les médias et les partis d’opposition, surtout le Parti travailliste.

Les actions de Johnson et Sunak ont été critiquées dans la presse libérale principalement pour avoir sapé l’État britannique en pleine campagne de guerre anti-russe de l’OTAN. Martin Kettle, rédacteur en chef adjoint du Guardian, a donné hier la réplique habituelle: «on pourrait dire qu’une guerre est un bon moment – pas un mauvais – pour se débarrasser d’un premier ministre défaillant». Il a ensuite fait l’éloge de Johnson pour «avoir fait beaucoup de bonnes choses en faveur de l’Ukraine et pour avoir contribué à isoler la Russie». Mais il a averti qu’«une grande partie de la guerre de Johnson est une pantomime jouée par un premier ministre de pantomime».

Si de nombreux articles soulignent le manque de respect de Johnson envers ceux qui ont souffert de la pandémie, aucun ne mentionne la politique consciente et meurtrière d’infection massive menée par son gouvernement. Personne n’a cité sa fameuse phrase: «Plus de putain de confinements, que les corps s’empilent par milliers»!

La caractéristique la plus importante de la crise du «partygate» [le scandale des fêtes des ministres pendant le confinement] a été qu’il a révélé l’effondrement complet du Parti travailliste comme force politique vraiment distincte du Parti conservateur.

Le Parti travailliste s’est montré si incapable de défier sérieusement le gouvernement Johnson que son partisan inconditionnel John Rentoul, chroniqueur à l’Independent, a commencé ainsi son éditorial de mardi: «Peut-être [le leader travailliste Sir] Keir Starmer joue-t-il un jeu compliqué en attaquant si faiblement notre premier ministre en infraction qu’il reste en fonction». Le parti avait «échoué à maximiser» l’embarras de Johnson, écrit-il.

Les travaillistes ne peuvent pas «maximiser» les difficultés des Tories, car pour ce faire, il faudrait qu’il y ait des différences fondamentales de politique, qui n’existent pas. Si les espoirs les plus chers de l’Independent, du Guardianet d’autres se réalisaient, si le Parti conservateur perdait le pouvoir et que Johnson était remplacé par Starmer, qui remarquerait le changement?

Starmer dirige un parti qui ne fait qu’un avec les le Parti conservateur sur la guerre par procuration de l’OTAN en Ukraine et la «stratégie du vivre avec la COVID». La réponse de son parti à la plus grande crise du coût de la vie depuis des décennies est de proposer quelques mesures ponctuelles faisant économiser aux ménages 200  livres sur leur facture énergétique. Starmer fait la chasse aux sorcières contre les membres de son parti qui font mine de s’associer à une politique de gauche ou anti-guerre. Il fait campagne pour les prochaines élections municipales sur une plate-forme de ‘loi et d’ordre’ copiée sur Tony Blair.

Ce parti de droite, militariste, est incapable de devenir un vecteur d’opposition populaire au gouvernement Johnson. Il existe pour étouffer ce sentiment dans la classe ouvrière.

Dans sa réaction au scandale du «partygate», le Parti de l’égalité socialiste a publié en février une déclaration: «La classe ouvrière doit se mobiliser pour faire tomber le gouvernement Johnson»! Les événements ont depuis donné une nouvelle force à cette perspective. Ils confirment qu’une telle mobilisation signifie non seulement une lutte militante, organisée indépendamment des syndicats tout aussi complices du gouvernement Johnson que le Parti travailliste, mais encore le développement d’un nouveau parti politique de la classe ouvrière.

(Article paru d’abord en anglais le 14 avril 2022)

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