La police ouvre une enquête criminelle sur le scandale de pots-de-vin impliquant l’ex-président d’Unifor Jerry Dias

La police de Toronto a annoncé mardi 5 avril qu’elle avait lancé une enquête préliminaire sur un scandale de pots-de-vin, concernant les trousses de test COVID-19, qui a déjà conduit à la démission de Jerry Dias, ancien président de longue date d’Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada. L’enquête est menée par l’unité des crimes financiers de la police de Toronto.

Jerry Dias, alors qu’il était président d’Unifor (WSWS Media)

L’action de la police fait suite à une conférence de presse tenue le 23 mars, au cours de laquelle la secrétaire-trésorière d’Unifor, Lana Payne, s’exprimant au nom de l’exécutif national du syndicat, a déclaré aux journalistes qu’une enquête externe indépendante de sept semaines sur les activités récentes de Dias avait déterminé «selon toute probabilité» qu’il avait reçu un pot-de-vin de 50.000 dollars d’un fournisseur de trousses de tests rapides COVID-19. Le versement secret à Dias visait à le remercier d’avoir fait la promotion de ces trousses auprès de «divers» employeurs de membres d’Unifor. Un certain nombre de ces entreprises ont ensuite acheté la trousse. Tout au long du processus, Dias, invoquant des problèmes de santé, a refusé de se rendre disponible pour les enquêteurs externes qu’Unifor avait engagés.

Le scandale a été révélé pour la première fois lorsqu’un haut responsable d’Unifor – l’assistant de Dias et son proche «confident» Chris MacDonald – a informé l’exécutif du syndicat le 26 janvier que Dias lui avait remis un sac contenant 25.000 $ le 20 janvier et avait déclaré que l’argent provenait d’un fournisseur de trousses de test. Selon une évaluation psychiatrique de Dias qui a récemment fait l’objet d’une fuite, son médecin a écrit que le paiement à MacDonald était lié à la décision de Dias de soutenir Scott Doherty, son bras droit au siège d’Unifor et ami proche, et de contourner MacDonald pour qu’il prenne la présidence du syndicat après la retraite prévue de Dias lors du congrès national d’Unifor en août.

«La conduite fautive de Dias peut être due, du moins en partie, à son sentiment de loyauté envers la personne qui n’a pas été choisie pour lui succéder», affirme le rapport qui a fuité. Le bureau exécutif du syndicat a refusé de commenter ce rapport ou même de divulguer le nom de la société qui a versé le pot-de-vin. Cependant, l’accusation de Dias d’avoir violé les pratiques démocratiques soulève de nombreuses questions, dont la première est la suivante: l’argent était-il destiné à empêcher MacDonald de déclarer sa propre candidature à la présidence du syndicat ou à perturber le «couronnement» prévu de Doherty?

Une audience finale de l’affaire devant le Bureau exécutif national du syndicat n’a pas encore été fixée. On ne sait pas si Dias y assistera. Tout au plus, il pourrait perdre son statut de membre retraité du syndicat.

La punition potentielle pour Dias ou tout autre bureaucrate du syndicat que la police considère comme ayant été impliqué dans des actes criminels pourrait être beaucoup plus sévère. Unifor a récemment annoncé qu’il avait remis à la police les 25.000 $ initialement donnés à MacDonald. Le sort du reste de l’argent conservé par Dias est encore inconnu.

L’ouverture d’une enquête de police pourrait avoir des ramifications plus profondes et encore plus explosives pour l’appareil syndical. L’exécutif d’Unifor perd maintenant le contrôle de toute l’enquête. Des assignations à comparaître pourraient être délivrées à toutes les personnes impliquées. Des enquêtes pourraient être lancées sur d’autres irrégularités, peut-être liées.

Il ne fait aucun doute que le scandale des pots-de-vin de Dias ne fait qu’effleurer la surface de la corruption et des magouilles qui règnent dans les échelons supérieurs non seulement d’Unifor, mais de toute la bureaucratie syndicale. Le président de la section locale 79 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui représente 20.000 travailleurs internes de la ville de Toronto, a récemment été contraint de démissionner après qu’il a été allégué qu’il avait aidé à obtenir une nomination lucrative pour l’un de ses assistants en échange de paiements sous la table.

Ces relations corrompues sont le produit de la position sociale objective des syndicats en tant que partenaires corporatistes des grandes entreprises et de l’État capitaliste. Au cours des quatre dernières décennies, Unifor et ses prédécesseurs, ainsi que les bureaucrates privilégiés qui dirigent le reste du «mouvement syndical», n’ont été guère plus que des entrepreneurs de main-d’œuvre bon marché offrant des travailleurs à une exploitation impitoyable, et une force de police sur le lieu de travail chargée de réprimer la lutte des classes au nom des employeurs et des gouvernements.

L’étendue des relations corrompues résultant des services rendus par les syndicats aux patrons a été révélée de manière très claire par le scandale de corruption des United Auto Workers (UAW), qui a conduit deux des quatre derniers présidents des UAW en prison. Le scandale de corruption, qui a été révélé pour la première fois en 2017 et a conduit à la condamnation ou à l’inculpation de 11 responsables syndicaux, a révélé que des responsables de l’UAW ont reçu des millions de dollars de pots-de-vin de Fiat-Chrysler en échange de l’imposition de contrats favorables à l’entreprise. Les enquêtes ont mis au jour un cloaque de pots-de-vin et de détournements de fonds. «Les fonds illicites, qu’ils proviennent de pots-de-vin, de commissions occultes ou de cotisations de travailleurs volées, ont été utilisés pour financer des séjours de plusieurs mois dans des villas de Palm Springs, en Californie, des sorties au golf, l’achat de vêtements de marque, des dîners dans des restaurants, des alcools et des cigares de première qualité, ainsi que d’autres extravagances», comme le souligne le WSWS.

À la lumière des récentes révélations sur les affaires de corruption de Dias, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi lui et d’autres hauts responsables d’Unifor n’ont rien dit sur le scandale de corruption qui a englouti leurs homologues américains. Ils ont préféré maintenir un silence étudié, de peur que trop de questions ne soient posées sur leurs propres «extravagances».

Le départ abrupt de Dias de la présidence du syndicat signifie qu’Unifor doit tenir une conférence spéciale pour nommer son successeur avant son congrès régulier en août. Les spéculations vont bon train sur le fait que la retraite de Dias, qui a été annoncée plusieurs jours avant que l’exécutif du syndicat ne doive admettre qu’il était impliqué dans l’acceptation de pots-de-vin, visait à limiter le temps dont disposerait tout candidat «de l’extérieur» pour gagner du terrain dans une campagne de plusieurs mois pour la présidence.

Dave Cassidy, président de la section 444 des travailleurs de l’automobile de Windsor, s’est lancé dans la course peu après que le conseil exécutif, à l’instigation de Dias, ait appuyé Doherty. Cassidy a dénoncé la pratique du syndicat consistant à «désigner» ses présidents et à les élire sans opposition. L’appel de Cassidy à la «transparence» du syndicat est conçu pour ouvrir une voie électorale contre Doherty parmi les membres et, ce faisant, empêcher une rupture irrévocable de la base avec l’ensemble de l’organisation pourrie.

L’opposition feinte de Cassidy à ce processus de «désignation» est une imposture. Comme il l’a dit aux journalistes, il a également cherché à obtenir le soutien des hauts responsables du syndicat. «Je suis allé voir Jerry et lui ai dit: “Jerry, je t’ai soutenu pendant 20 ans. J’attends de toi que tu me soutiennes.”Et cela ne s’est pas produit», a-t-il déclaré. «C’est la situation.»

Cassidy a ensuite fait remarquer qu’il ne se souvient pas d’un moment où une élection à la présidence d’Unifor (ou de l’ancien syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile) a été contestée. Dans presque toutes les «élections», un conclave de dirigeants syndicaux, de leurs acolytes et d’une minorité de plus en plus réduite de travailleurs de la base qui ne compte pas plus de 2000 délégués sur 315.000 membres, est invité à approuver les choix non contestés de la bureaucratie. Cassidy aurait sans doute aimé que cette procédure se poursuive, tant qu’il était le candidat «désigné».

L’exécutif d’Unifor n’a pas encore levé sa «pause» sur la campagne ni annoncé la date de l’élection d’urgence.

Quoi qu’il en soit, Doherty et Cassidy sont tous deux imprégnés des perspectives nationalistes et propatronales qui sont la marque des syndicats contemporains, c’est-à-dire des organisations qui ont abandonné toute association avec la lutte de la classe ouvrière. En tant que tels, ils ont été intimement impliqués dans les efforts d’Unifor pour attirer les «investissements» en imposant des reculs, des suppressions d’emplois et des accélérations de cadence, tout en opposant les travailleurs du Canada à leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis, au Mexique et ailleurs.

Le corollaire politique de ces efforts a été le soutien d’Unifor à divers partis capitalistes de droite, du Bloc et du Parti québécois au Québec, aux libéraux fédéraux et ontariens et aux néo-démocrates. Unifor est l’un des architectes de «l’accord de confiance et d’approvisionnement» en vertu duquel le NPD fédéral s’est engagé à «assurer la stabilité» – c’est-à-dire le maintien au pouvoir – du gouvernement libéral pro-austérité et pro-guerre de Justin Trudeau pour les trois prochaines années.

Les travailleurs qui ont vu de près les activités de Doherty et Cassidy en tant que responsables syndicaux auront déjà évalué qui ils sont réellement. Doherty était le négociateur principal à la tête de la lutte désastreuse de six mois menée par les travailleurs de la raffinerie de pétrole FCL de la Saskatchewan, qui s’est soldée par plus de 20 millions de dollars de concessions sur les pensions, des suppressions d’emplois et le saccage total de la convention existante. À un moment donné, Doherty a admis que lui et le président de la section locale risquaient d’être «battus» par les membres pour les concessions qu’ils avaient accordées à l’entreprise. Quant à Cassidy, il n’a mené aucune lutte contre l’élimination de plus de 4000 emplois permanents à l’usine d’assemblage Stellantis de Windsor. S’exprimant comme un directeur d’entreprise, Cassidy s’est incliné de manière infâme devant l’annonce récente de 1500 pertes d’emploi en la qualifiant de simple «décision commerciale».

Le fait que Dias ait été démasqué en tant que dirigeant corrompu recevant des pots-de-vin et que des bureaucrates de longue date se soient empressés de le remplacer montre bien que les travailleurs ne peuvent pas faire un seul pas en avant au sein d’Unifor ou de tout autre syndicat pourri qui continue de se faire appeler syndicat. Les travailleurs ont besoin de nouvelles organisations véritablement démocratiques, dirigées par la base, qui refusent de se plier aux prérogatives de la direction et se battent pour ce dont les travailleurs ont réellement besoin pour vivre, notamment des emplois sûrs, un salaire décent et des pensions entièrement financées. Les travailleurs doivent construire un réseau de comités de la base pour décider démocratiquement de leurs revendications et coordonner une lutte à travers les usines, les lieux de travail et les frontières nationales pour mettre les vastes ressources de la société à la disposition de la classe ouvrière plutôt que d’une poignée de milliardaires.

(Article paru en anglais le 13 avril 2022)

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