«Les travailleurs ne sont pas renfloués comme les milliardaires»

Des travailleurs de Detroit furieux devant la flambée des prix de l’essence

Les travailleurs qui font le plein dans les stations-service des États-Unis sont de plus en plus mécontents de la forte hausse des prix du carburant, qui effectue une sérieuse ponction sur leur salaire. De nombreux travailleurs américains parcourent régulièrement 80 km ou plus dans une direction pour se rendre au travail. Le prix de l’essence a augmenté de 18,3 pour cent le mois dernier et de 48 pour cent depuis mars 2021.

Selon le ministère américain du Travail, l’inflation a atteint 8,5 pour cent en mars, soit le taux le plus élevé depuis 1981. Jeudi, le ministère a indiqué que les prix de gros ont augmenté de 11,2 pour cent en mars, en grande partie en raison de la flambée des prix de l’énergie.

Les salaires des travailleurs stagnent depuis des années, les augmentations annuelles étant limitées à environ 2 pour cent. Malgré les plaintes des grandes entreprises concernant la hausse rapide des salaires, le salaire horaire moyen réel a diminué de 2,7 pour cent entre mars 2021 et mars 2022. Les travailleurs ont donc dû réduire leurs dépenses, travailler encore plus longtemps et s’endetter davantage avec leur carte de crédit.

Dans une station-service Speedway de la banlieue ouvrière de Warren, dans le Michigan, juste au nord de Detroit, des travailleurs ont parlé aux reporters de World Socialist Web Sitealors qu’ils faisaient le plein. La réaction instantanée et universelle à la question de savoir ce qu’ils pensaient de la hausse des prix était la suivante: «Ça craint».

Les reporters ont distribué des exemplaires du WSWS Autoworker Newsletter et ont discuté avec les travailleurs de la déclaration intitulée «Un programme de la classe ouvrière pour lutter contre l’inflation». La déclaration appelle à une augmentation immédiate de 40 pour cent des salaires pour compenser la baisse des revenus réels au cours des cinq dernières années. Elle appelle aussi à une indexation des salaires sur le coût de la vie en fonction de l’augmentation des dépenses et exige des mesures qui visent à protéger les avantages des retraités et à mettre un terme à l’extorsion économique exercée par les compagnies pétrolières.

La station-service se trouve juste au sud de l’usine d’assemblage de camions Stellantis (anciennement Fiat Chrysler) de Warren, où des milliers de travailleurs peuvent difficilement se permettre de se rendre au travail et d’en revenir. Un travailleur a déclaré: «J’ai arrêté de remplir mon réservoir. Je mets juste le minimum pour aller du point A au point B. Dans les épiceries, les gens n’achètent que les produits de première nécessité, car les prix des aliments ont aussi augmenté».

Il a déclaré que les travailleurs avaient risqué leur vie tout au long de la pandémie en faisant des bénéfices pour Stellantis et d’autres entreprises, et que plusieurs personnes étaient mortes de la COVID-19 dans son usine. Aujourd’hui, ils tentent de forcer les travailleurs les plus âgés à prendre une retraite anticipée afin de les remplacer par des travailleurs dits «supplémentaires», qui sont essentiellement des employés à la carte mal payés. «Après avoir réalisé tous ces profits pour eux, ils essaient de se débarrasser des travailleurs plus âgés, les “dinosaures”, pour pouvoir faire venir des travailleurs plus jeunes et les traiter comme de la merde».

«C’est la deuxième fois que je fais le plein d’essence cette semaine», Dane, un ouvrier spécialisé dans le carrelage et la pierre, a déclaré au WSWS. «Nous aurons de la chance si ça ne monte pas plus haut parce que je ne vois pas les prix baisser de si tôt. Je suis de Mont Clemens, je travaille à Bloomfield, et je vais chercher mes enfants dans les écoles de Warren.» Cela représente un trajet aller-retour d’au moins 100 km, a-t-il précisé. “Ça me coûte 90 dollars par semaine pour payer l’essence.

Dane

«Biden dit que c’est la faute de Poutine, mais ça s’est passé bien avant l’Ukraine. La cote de popularité du président est au plus bas. C’est scandaleux de voir les profits que font les compagnies pétrolières. C’est la classe ouvrière qui est la plus durement touchée. Les prix sont en hausse, mais pas nos salaires. Les prix de l’alimentation et de l’essence doivent baisser».

Soulignant l’inégalité dans la société, il a déclaré: «Je construis beaucoup de salles de bains dans des quartiers riches. Je n’aurais jamais pu me permettre d’en avoir une à moi. Je fais attention à ce qui se passe dans le monde. Les gens se révoltent à cause des prix de la nourriture et de l’énergie. Je me demande seulement combien de temps avant que cela se produise ici»?

Un jeune travailleur qui s’est arrêté à la station a déclaré: «on devrait imposer un plafond de prix et rien au-dessus ne devrait être autorisé. De nos jours, les jeunes travailleurs ont besoin de plus d’un revenu. Ils ne peuvent pas compter sur les emplois de base que la génération plus âgée pouvait garder pendant 30 ou 40 ans. Autrefois des emplois bien rémunérés existaient, mais ils sont rares pour ma génération maintenant».

«C’est fou, je paie beaucoup trop pour l’essence», a déclaré Chris, un tuyauteur. «Le prix de l’essence augmentait déjà bien avant la guerre et Biden s’en sert comme excuse. J’ai sorti ma vieille voiture parce qu’elle fait 25 miles au gallon, au lieu de 14 ou 15 avec ma camionnette. Elle fait du bruit, mais je la garde sur la route parce que j’aurais payé 90 dollars pour faire le plein de mon camion. Les travailleurs ne bénéficient pas de renflouements et de déductions fiscales, comme Bezos et les autres milliardaires qui ne paient pas d’impôts».

Chris

«Les salaires ne suivent pas les prix», a déclaré une ouvrière d’usine qui s’est arrêtée à la station-service avec ses enfants. «Vous devez faire beaucoup d’heures supplémentaires pour faire face aux dépenses et cela vous prive de temps avec votre famille. Maintenant, les usines sont à l’arrêt à cause de la pénurie de puces électroniques, donc on n’a pas de tout d’économies».

Bailey, qui achète des articles de seconde main et d’occasion pour les revendre, a déclaré qu’il avait fait deux voyages à la station-service aujourd’hui seulement pour le travail, payant 40 dollars à chaque fois. «Chaque fois que quelque chose se passe, ils mettent ça sur le dos de la COVID ou de ceci ou de cela. C’est de la foutaise. Les compagnies pétrolières font des milliards de dollars, elles ne souffrent pas».

Bailey

«Maintenant, ils disent qu’ils n’ont pas assez de travailleurs. Eh bien, elles font encore des millions de dollars, alors si vous offrez aux gars cent dollars de l’heure, je parie que vous aurez des travailleurs. Dans les stations-service comme celle-ci, au lieu de travailler huit heures, ils travaillent dix-huit heures, pour le même salaire».

«Le père de mon ami travaille à Lima, en Ohio, à l’usine de réservoirs. Ils ont beaucoup de commandes en ce moment. Il n’a pas eu un jour de congé depuis trois ans, en dehors des vacances.» Exprimant son inquiétude quant au danger d’une guerre plus large avec la Russie, Bailey a déclaré: «Nous devrions rester en dehors de l’Ukraine. Cela n’a rien à voir avec nous».

«Les prix de la nourriture et de l’essence augmentent, mais nous ramenons à la maison la même somme d’argent», a déclaré un jeune travailleur. «Nos salaires devraient augmenter du même montant que la nourriture et l’essence».

Un ouvrier retraité de Chrysler a déclaré: «Je touche 4.000 dollars par mois pour ma pension, mais tout augmente sans cesse. Bientôt, je devrai trouver un emploi et retourner au travail. Nous devons nous battre contre cela. C’est pitoyable. Le coût de la vie sera bientôt aussi élevé qu’en Californie».

Un autre travailleur de Warren Truck a ajouté: «Le prix de l’essence a un gros impact pour moi. Je fais 130 km par jour et le plein m’a coûté 73 dollars. C’est comme si nous leur donnions une plus grande part de notre salaire juste pour venir travailler. Les gens commencent à se révolter dans le monde entier à cause des prix de la nourriture et de l’énergie et c’est le moment de faire la même chose ici. Mais nous avons besoin d’une armée de travailleurs pour nous lever».

Un ouvrier de l’usine d’assemblage de camions, qui a 29 ans d’ancienneté, a ajouté: «Je fais 100 km dans un sens pour aller travailler et le prix de l’essence est horrible. Ça me coûte 40 dollars par jour pour conduire, alors que c’était 18 dollars avant. Je conduis un camion et je ne peux pas acheter une nouvelle voiture parce qu’il n’y en a pas. C’est horrible pour tout le monde – et je pense que c’est ce qu’ils veulent.»

Interrogé sur ce qu’il pensait des efforts de Biden pour rendre Poutine responsable de la hausse des prix, il a répondu: «La Russie a des préoccupations légitimes. Je ne pense pas que l’OTAN ait laissé le choix à Poutine. Je ne crois rien de ce qui vient des grands médias».

«Je travaille sept jours sur sept depuis une année entière. Mon corps est usé et ils viennent de me programmer pour des heures supplémentaires obligatoires le dimanche de Pâques. L’UAW laisse faire ça. Le syndicat n’est rien d’autre qu’une grosse bureaucratie. Tout ce qui les intéresse, c’est l’argent qu’ils reçoivent en échange de la perte de nos moyens de subsistance. Nous devons nous en débarrasser et construire quelque chose de nouveau pour le remplacer».

Il a pointé du doigt les véritables causes de l’inflation galopante. Il a ajouté: «Les deux partis ont imprimé tellement d’argent pour maintenir le marché boursier et maintenant le dollar ne vaut plus le papier sur lequel il est imprimé. Peu importe que ce soit les républicains ou les démocrates qui soient au pouvoir. Les deux partis font payer la classe ouvrière.»

La suppression des salaires pendant des décennies, soutenue par l’UAW et d’autres syndicats, a été au cœur de la politique du gouvernement américain en particulier depuis le krach de 2008. Ils ont distribué des milliers de milliards pour soutenir les marchés boursiers et effectuer un transfert massif de richesse de la classe ouvrière vers les super-riches.

Mais la pénurie de main-d’œuvre provoquée par la pandémie a entrainé une modeste hausse des salaires, toujours largement dépassée par l’inflation. Mais cela a conduit la Réserve fédérale à proposer de relever les taux d’intérêt, même si cela menace de faire entrer l’économie en récession. Cette politique, dont le but est de terroriser les travailleurs avec la perspective d’un chômage de masse et de repousser leurs demandes de hausse des salaires bénéficie d’un large soutien dans les cercles dirigeants.

L’éditorialiste du New York Timeset économiste libéral, Paul Krugman, l’a expliqué clairement en début de semaine: «La hausse des salaires est une bonne chose, mais pour l’instant, elle se fait à un rythme insoutenable. Cette croissance excessive des salaires ne se résorbera probablement pas tant que la demande de travailleurs ne correspondra pas à l’offre disponible. Cela signifie probablement – je déteste dire cela – que nous devrons voir le chômage augmenter au moins un peu».

Tout comme les travailleurs du Sri Lanka, d’Indonésie, de Grèce, du Pérou et de nombreux autres pays, les travailleurs américains sont entrainés dans la lutte par l’attaque de la classe dirigeante contre leur niveau de vie. Au début de la semaine, Newsweeka lancé un avertissement dans un article intitulé «L’Amérique se dirige vers la lutte des classes»: «Rien n’a autant révélé le fossé entre les classes aux États-Unis que l’inflation galopante et la montée en flèche du prix de l’essence». L’article a ajouté: «Alors que des millions de personnes luttent pour faire le plein et payer leur loyer, les ventes de jets privés aux milliardaires, dont le nombre ne cesse de croître, ont atteint de nouveaux sommets».

(Article paru en anglais le 15 avril 2022)

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