Que font les syndicats du Sri Lanka pendant la vague des luttes contre le gouvernement?

Les travailleurs, les jeunes et les masses opprimées du Sri Lanka sont descendus dans les rues de l’île. Ils exigent la démission immédiate du président Gotabhaya Rajapakse et de son gouvernement cinghalais chauvin et affairiste. Ils demandent aussi la dissolution du Parlement. Confrontés à d’immenses difficultés, ils demandent un soulagement immédiat face à la hausse des prix et aux pénuries de nourriture, de médicaments, de carburant et de gaz de cuisson, ainsi que la fin des coupures de courant quotidiennes.

Des jeunes manifestent à Kandy pour demander la démission du président sri-lankais [WSWS Media].

Cet immense élan d’opposition sociale a stupéfié le régime Rajapakse et l’ensemble de la classe dirigeante. Comme dans d’autres pays, la pandémie mondiale dévastatrice de COVID-19 et la guerre entre les États-Unis et l’OTAN contre la Russie au sujet de l’Ukraine ont ébranlé l’économie du Sri Lanka. Ils ont creusé le fossé déjà profond entre l’élite capitaliste boursouflée et la classe ouvrière et les travailleurs ruraux.

À l’heure actuelle, le gouvernement cherche désespérément à rester au pouvoir. Cela après que plus de trois douzaines de députés de la majorité ont déserté pour rejoindre l’opposition.

Le gouvernement a annoncé cette semaine un défaut «temporaire» de paiement de la dette extérieure et se prépare à mettre en œuvre les mesures d’austérité sauvages imposées par le Fonds monétaire international afin d’obtenir un prêt de sauvetage. Ce programme d’austérité comprend: l’augmentation de l’impôt sur le revenu et de la taxe sur la valeur ajoutée; l’augmentation des prix du carburant et de l’électricité; l’instauration d’un taux de change flexible déterminé par le marché; la réduction du déficit budgétaire, c’est-à-dire la réduction des dépenses sociales; et la «restructuration» du secteur public par le biais de la privatisation, de la corporatisation et de la sous-traitance. Ces mesures auront pour effet de supprimer des emplois, de réduire les salaires et de bafouer les droits sociaux des travailleurs.

Les travailleurs se trouvent maintenant confrontés à la question de savoir comment s’opposer à cet assaut de guerre de classe du gouvernement et de l’ensemble de la classe dirigeante.

Les syndicats qui sont sensés les représenter font tout ce qu’ils peuvent pour empêcher la classe ouvrière de mobiliser son pouvoir industriel et politique et pour la lier au capitalisme et à la politique parlementaire.

C’est précisément parce que les syndicats ont réprimé la lutte des classes, dont une puissante vague de grève qui a précédé l’élection de Rajapakse à la présidence en novembre 2019, que les manifestations antigouvernementales de masse ont éclaté complètement en dehors des syndicats tout comme en dehors des partis d’opposition.

Après être restés ostensiblement silencieux pendant des jours alors que les protestations «Gotta doit partir» enflaient, les syndicats affirment maintenant soutenir les agitations en cours. Mais ils ne le font que dans le but de les contrôler et de les empêcher de se transformer en un défi à la domination capitaliste.

Hier, l’organisation «Syndicats et organisations de masse» (Trade Unions and Mass Organisations – TUMO) a annoncé qu’elle organiserait une marche le samedi 16 avril, en soutien à la manifestation que des dizaines de milliers de personnes ont montée dans le centre de Colombo depuis sept jours pour exiger la démission du président Rajapakse et de son gouvernement.

Trente-quatre syndicats, dont le «Syndicat des enseignants de Sri Lanka» (CTU); le «Syndicat des travailleurs généraux et mercantiles du Sri Lanka» (CMU) et le «Syndicat des employés de banque de Sri Lanka» CBEU, sont affiliés à la TUMO. Il en va de même du Centre de lutte des travailleurs, du «Parti socialiste de première ligne» (Frontline Socialist Party – FSP) de la pseudogauche et du groupe représentant les pêcheurs, ainsi que certaines organisations non gouvernementales (ONG).

TUMO a choisi comme slogan principal de sa marche «Inclinez-vous devant l’opinion de masse! Gouvernement inefficace, rentrez chez vous!»

Le TUMO ne dit rien sur la composition ou le caractère de classe du gouvernement qui devrait remplacer le régime détesté de Rajapakse. Mais ce n’est pas un secret qu’il veut ouvrir la voie à un autre gouvernement capitaliste. En effet, la dénonciation par le TUMO du gouvernement actuel comme étant «inefficace» fait écho au principal parti d’opposition, le Samagi Jana Balawegaya (SJB). Ce dernier a dénoncé Rajapakse pour sa «mauvaise gestion» de l’économie. Notamment qu’il n’a pas accepté pas plus tôt de mettre en œuvre la nouvelle série de mesures d’austérité du FMI.

Le 4 avril, TUMO a publié une déclaration. Elle appelait les intellectuels et les professionnels à se joindre à lui pour préparer «un programme pratique et scientifique à court, moyen et long terme». C’était un programme «pour résoudre les problèmes socio-économiques brûlants» du peuple. Ce programme, a-t-il poursuivi, ne viserait pas à mobiliser la classe ouvrière et les masses opprimées pour imposer des solutions qui correspondent à leurs intérêts de classe. Il commencerait et se terminerait plutôt par ce qui est «possible» dans les limites du capitalisme en crise et sous la domination continue de l’establishment politique sri-lankais.

Sur la base de ce programme, explique la déclaration, TUMO va «prendre des mesures pour faire pression sur les dirigeants afin qu’ils apportent des solutions à court terme du côté du peuple» et préparer une «constitution favorable au peuple». Elle appelle tous les syndicats, les groupes professionnels et les organisations civiles «à se rassembler sans distinction de couleur ou de parti… pour faire de ce programme une réalité».

En d’autres termes, ce qui est proposé est un mouvement multiclasses de type Front populaire, orienté vers et très probablement incluant directement les partis de l’establishment capitaliste. Il sera basé sur le bobard selon lequel le capitalisme — qui, à l’échelle mondiale, est embourbé dans une crise systémique, vomit la réaction et menace d’engloutir l’humanité dans une conflagration militaire mondiale — peut être réformé. La bourgeoisie sri lankaise utiliserait un tel mouvement pour lier la classe ouvrière à l’establishment politique et réprimer la lutte des classes afin de maintenir le régime capitaliste, dans lequel les syndicats sont aujourd’hui complètement intégrés.

Il existe un deuxième front syndical, le «Centre de coordination des syndicats» (Trade Union Coordinating Centre – TUCC). Cependant, ses politiques ne sont pas fondamentalement différentes. Le TUCC regroupe plus de quatre douzaines de syndicats. Certains d’entre eux sont politiquement dominés par le parti d’opposition Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), tandis que d’autres sont des syndicats indépendants qui gravitent autour du JVP.

Le 8 avril, le TUCC a parrainé des manifestations et une grève symbolique d’une journée des travailleurs du secteur public pour soutenir l’agitation antigouvernementale en cours. Il a déclaré qu’il donnerait au gouvernement Rajapakse jusqu’au 18 avril pour résoudre la crise actuelle.

Lors d’une conférence de presse samedi dernier, le président de la Fédération des professionnels de la santé (FHP), affiliée au TUCC, a déclaré que si le gouvernement ne parvenait pas à une «solution acceptable» aux protestations avant le 18 avril, «tous les syndicats ont décidé de poursuivre la lutte en se joignant à la lutte du peuple [et] en entamant une grève illimitée».

La menace de grève générale brandie par les syndicats du TUCC ne vise pas à mobiliser la classe ouvrière contre l’establishment politique et pour des mesures destinées à résoudre la crise économique aux dépens des grandes entreprises nationales et internationales et de la bourgeoisie sri-lankaise. En affichant une opposition radicale, les syndicats cherchent plutôt à garder le contrôle d’une base de plus en plus radicalisée. Celle-ci exige que des mesures urgentes soient prises pour défendre leur niveau de vie en forte érosion et qu’on s’oppose à la campagne de privatisation du gouvernement. Un deuxième objectif, connexe, est de lier la classe ouvrière aux manœuvres du JVP avec le gouvernement et les autres partis d’opposition.

Comme le JVP, les syndicats dirigés par le JVP appellent à la mise en place d’un «gouvernement intérimaire» basé sur les partis d’opposition après la démission du président Rajapakse et de son gouvernement. Ils appellent également à de nouvelles élections pour porter au pouvoir un nouveau gouvernement de professionnels «exempt de pillage, de corruption et de fraudes». Ce n’est rien d’autre qu’un autre gouvernement capitaliste. De manière significative, le JVP a refusé d’exclure la possibilité d’approcher les vampires du capital mondial au FMI pour obtenir un «soutien».

Récemment, les employeurs de la zone de libre-échange de Colombo ont mis en garde contre l’agitation croissante des travailleurs face à la hausse du coût de la vie. Cependant, les syndicats sont totalement silencieux. En même temps, le secrétaire général de la «Zone de libre-échange» (Free Trade Zone) et du «Syndicat général des travailleurs» (General Workers Union – GWU), Anton Marcus, a dénoncé les protestations en cours contre le gouvernement Rajapakse, les qualifiant d’«inorganisées, indisciplinées et violentes». Comme la classe dirigeante, les syndicats sont terrifiés par le soulèvement massif contre le gouvernement et par la demande croissante des travailleurs d’agir pour défendre leurs droits.

Ces deux dernières années ont vu une vague de grèves et de protestations militantes de la part des travailleurs du secteur public dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de l’administration publique, des chemins de fer, des ports, du pétrole et de l’électricité. On a également eu des luttes continues de la part des travailleurs des plantations et des grèves et protestations dans les zones de libre-échange.

Invariablement, les syndicats ont isolé et bradé ces luttes, permettant ainsi au gouvernement Rajapakse de poursuivre ses efforts pour imposer le fardeau de la crise aux travailleurs. En même temps, les syndicats ont collaboré avec le gouvernement dans la mise en œuvre de sa politique de pandémie «les profits avant les vies».

L’année dernière, environ 250.000 enseignants et directeurs d’école ont fait grève pendant plus de 100 jours, pour que finalement les syndicats acceptent l’offre du gouvernement d’une augmentation de salaire équivalente à seulement un tiers de ce que les travailleurs de l’éducation avaient demandé. Au début de la grève, les dirigeants des principaux syndicats concernés, dont le CTU et les syndicats de services aux enseignants affiliés au JVP, ont déclaré lors d’une discussion avec le Premier ministre Mahinda Rajapakse qu’ils «comprenaient» que le pays était en «crise économique».

La déclaration médiatique que le dirigeant de la Fédération des professionnels de la santé, Ravi Kumudesh, a faite le mois dernier après avoir trahi la lutte des travailleurs de la santé est également très significative. Il a admis que les syndicats avaient lancé des grèves limitées et des protestations pour «gérer» les membres qui faisaient pression sur le syndicat pour qu’il se batte pour leurs revendications.

Depuis juin de l’année dernière, le président Rajapakse n’a cessé d’invoquer les pouvoirs de la loi sur les services publics essentiels pour criminaliser les actions syndicales dans la plupart des institutions du secteur public. Les syndicats ont gardé un silence total sur cette loi draconienne. Ils n’ont pas non plus condamné les menaces proférées par le Premier ministre Mahinda Rajapakse, le frère aîné du président Gotabhaya Rajapakse, de recourir à la violence d’État pour réprimer l’agitation antigouvernementale, ce qui témoigne de leur indifférence à l’égard des droits démocratiques des masses. Et s’ils peuvent critiquer la présidence exécutive autoritaire, les syndicats trafiquent avec les partis de l’establishment qui l’ont maintenue pendant des décennies, et n’ont aucune intention de faire de la lutte pour son abolition un levier pour mobiliser politiquement les masses contre l’establishment capitaliste et pour la réorganisation de l’économie sur des bases socialistes.

Dans la crise capitaliste mondiale actuelle, les travailleurs ne peuvent pas défendre leurs droits ou assurer leurs besoins fondamentaux en faisant pression ou en plaidant auprès du gouvernement et de la classe capitaliste. Ils doivent au contraire mobiliser leur force de classe indépendante dans une lutte pour un programme d’action socialiste afin de s’opposer à l’austérité et au FMI et pour garantir des emplois décents, de la nourriture, du carburant et des médicaments pour tous!

Pour mobiliser sa force de classe, la classe ouvrière doit se libérer du contrôle politique et organisationnel étouffant des syndicats procapitalistes et construire de véritables organisations de lutte de la classe ouvrière.

C’est pourquoi le Parti de l’égalité socialiste (PES) appelle à la formation de comités d’action dans chaque lieu de travail, usine et banlieue ouvrière, élus démocratiquement et indépendants des syndicats et de tous les partis capitalistes.

Ces comités d’action organiseront la lutte pour les mesures essentielles nécessaires pour répondre aux besoins pressants de la population. Ces mesures comprennent l’établissement d’un contrôle démocratique des travailleurs sur la production et la distribution de tous les articles essentiels et autres ressources cruciales pour la vie des gens; on doit annuler les dettes des agriculteurs pauvres et obtenir la nationalisation des banques, des grands domaines, des grandes entreprises et des fortunes des super-riches afin que leurs ressources puissent être redirigées pour offrir des conditions de vie et sociales décentes à tous les travailleurs.

Le réseau émergeant des comités d’action servira de point de ralliement pour les pauvres et les jeunes des zones rurales. Il unira les travailleurs cinghalais, tamouls et musulmans, rejetant la saleté chauvine et communautaire propagée par les capitalistes et leurs représentants politiques.

Au fur et à mesure que l’autorité des comités d’action grandira, ils deviendront des organes du pouvoir politique de la classe ouvrière. Ils fourniront la base de la lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan qui mettra en œuvre le programme de socialisme ci-dessus. Les alliés essentiels des travailleurs sri-lankais dans cette lutte sont leurs frères et sœurs de classe dans le monde entier.

Tous les travailleurs et les jeunes qui sont d’accord avec ce programme devraient rejoindre et construire le PES en tant que direction révolutionnaire de la classe ouvrière et des masses opprimées.

(Article paru d’abord en anglais le 15 avril 2022)

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