La Banque du Canada augmente ses taux d’intérêt alors que l’inflation galopante comprime les revenus des travailleurs

La Banque du Canada a augmenté son taux d’intérêt de référence de 0,5% mercredi dernier, en raison des craintes croissantes au sein de la classe dirigeante que la montée de l’inflation n’alimente la lutte des classes, les travailleurs réclamant des augmentations de salaire compensatoires et le rétablissement des clauses d’indexation sur le coût de la vie.

La hausse des taux, la première depuis 2000, a doublé le taux directeur de la banque pour le porter à 1%. La banque a indiqué dans ses orientations stratégiques que d’autres hausses de taux seront nécessaires pour ramener l’inflation dans sa fourchette cible officielle de 2 à 3%. Les analystes suggèrent que cela signifiera presque certainement une nouvelle augmentation lors de la prochaine réunion du conseil d’administration de la banque au début du mois de juin, peut-être même de 0,5%.

Ligne de piquetage des travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick lors de leur grève de 2021 (CUPE Facebook) [Photo: CUPE Facebook]

La hausse des taux a été applaudie par les grandes banques canadiennes et les groupes de réflexion des grandes entreprises. Cependant, ces cercles s’inquiètent de plus en plus de l’état général de l’économie. De nombreux commentateurs économiques craignent que les efforts de la Banque du Canada pour juguler l’inflation ne poussent l’économie vers la récession, ce qui entraînerait une vague de faillites parmi les entreprises à fort levier financier, ou n’aboutissent à la stagflation, les prix continuant à augmenter rapidement alors que la croissance stagne.

Les travailleurs, qui ont déjà fait les frais de la pandémie, doivent entre-temps faire face à la hausse des prix la plus rapide depuis 30 ans.

Selon Statistique Canada, le taux d’inflation annuel a atteint 5,1 et 5,7%, respectivement, en janvier et février, soit la première fois qu’il dépasse 5% depuis 1991. Un rapide coup d’œil aux chiffres de février révèle que les automobilistes canadiens ont payé 32,3% de plus à la pompe, tandis que les prix des aliments ont augmenté de 7,4% et ceux du logement de 6,6% d’une année sur l’autre, soit le rythme le plus rapide depuis août 1983.

L’un des principaux facteurs d’inflation est l’énorme quantité de liquidités injectées sur les marchés financiers par les gouvernements du Canada et du monde entier au début de la pandémie de COVID-19, afin de protéger les investissements des riches et des super-riches. La perturbation des chaînes d’approvisionnement, notamment pour les produits de première nécessité et les produits de base essentiels, a également fait grimper les prix. Ces développements avaient déjà alimenté une flambée de l’inflation avant le déclenchement de la guerre par procuration entre les États-Unis et l’OTAN et la Russie au sujet de l’Ukraine, déjouant les prédictions de certains économistes selon lesquelles l’inflation serait de courte durée, les restrictions liées à la pandémie étant levées et la politique monétaire resserrée. La guerre économique que les puissances impérialistes mènent contre la Russie en sanctionnant ses exportations et en saisissant les avoirs de sa banque centrale a exacerbé la spirale inflationniste. Les travailleurs du monde entier paient plus cher l’essence, la nourriture, l’énergie et d’autres produits de première nécessité, ce qui entraîne la stagnation ou, plus souvent, la chute de leurs revenus réels.

Selon un reportage publié cette semaine par le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), deux tiers des travailleurs canadiens ont subi une baisse de salaire en termes réels au cours des deux années précédant la fin février 2022. La croissance annuelle des salaires pendant cette période s’est élevée à 2,7%, contre une inflation annuelle moyenne de 3,4%. Des baisses de salaire particulièrement importantes ont été enregistrées dans les secteurs de l’éducation et des soins de santé, où les travailleurs ont été soumis à divers programmes de «modération salariale», notamment dans le cadre du projet de loi 124 de l’Ontario.

«Nous ne constatons tout simplement pas d’augmentations salariales proches du taux d’inflation», a remarqué David Macdonald, du CCPA. «Il se peut que les travailleurs n’aient pas encore compris que l’inflation est élevée et qu’ils devraient commencer à demander des augmentations de salaire plus importantes d’une année sur l’autre.»

Cette remarque complaisante ne fait que montrer que si des instituts comme le CCPA, alignés sur les syndicats et le Nouveau Parti démocratique, peuvent fournir des statistiques et des informations utiles documentant la crise sociale, leurs conclusions politiques sont une faillite totale. Les sections privilégiées de la classe moyenne comme Macdonald et les bureaucrates syndicaux bien nantis peuvent traiter l’inflation comme une réflexion après coup que l’on peut ignorer ou à laquelle on peut prêter attention à sa guise. Mais les travailleurs y sont confrontés quotidiennement, alors qu’ils doivent faire face à la réalité brutale de mettre de la nourriture sur la table, tandis que le prix des autres produits essentiels, du chauffage et de l’essence aux loyers, augmente fortement.

Une série de luttes militantes menées au cours de la dernière année par des travailleurs de tous les secteurs de l’économie, des mineurs aux travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick, en passant par les employés d’épicerie et les travailleurs du rail, démontre que les travailleurs sont plus que prêts à se battre pour obtenir des augmentations de salaire et récupérer les concessions que les syndicats ont accordées au cours des quatre dernières décennies. Le problème est que chaque lutte des travailleurs est sabotée et trahie par les syndicats, ce qui se traduit par des contrats qui imposent des réductions de salaire en termes réels.

Les prix de l’énergie et des produits de base – y compris le blé et les autres céréales – sont en hausse. L’indice de base des produits de première nécessité compilé par Thomson Reuters a augmenté davantage sur une base de trois mois que sur toute autre période depuis 1973. Les prix mondiaux des denrées alimentaires ont augmenté de 9% en 2020 et de 11% en 2021, en raison de la frénésie d’achat pendant la pandémie, de l’augmentation des coûts de transport et des engrais, et d’un certain nombre de mauvaises récoltes liées au temps erratique causé par les changements climatiques. Stuart Smyth, professeur d’agriculture à l’université de Saskatchewan, a déclaré que si les terres agricoles ukrainiennes ne sont pas ensemencées ce printemps et que les agriculteurs russes ne parviennent pas à commercialiser leurs récoltes, il pourrait en résulter une pénurie mondiale de blé, ce qui déclencherait une nouvelle spirale des prix.

Selon un sondage réalisé par l’Institut Angus Reid avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, sept Canadiens sur dix ont déclaré être stressés par leurs finances et plus de la moitié des Canadiens ont dit ne pas pouvoir suivre le coût de la vie.

«Le budget des ménages canadiens est comprimé de toutes parts à mesure que le prix des biens augmente», note le rapport d’Angus Reid. «Les coûts de la nourriture, de l’essence et de l’énergie, en particulier, alourdissent les factures des ménages.»

Le sondage indique également que deux Canadiens sur cinq (39%) déclarent que leur situation financière est moins bonne que l’année dernière, ce qui représente le taux le plus élevé en 13 ans de suivi. Vingt-neuf pour cent des Canadiens s’attendent à ce que leur situation financière se détériore au cours des 12 prochains mois.

Soulignant l’impact dévastateur de la réponse de l’élite dirigeante à la pandémie sur de larges pans de la population, un nombre stupéfiant de trois Canadiens sur cinq (57 pour cent) ont déclaré avoir des difficultés à mettre de la nourriture sur la table, ce qui représente une hausse substantielle par rapport aux 36 pour cent enregistrés en 2019.

Le rapport Bilan-Faim 2021 de Banques alimentaires Canada montre que les visites aux banques alimentaires ont grimpé de 20 pour cent à l’échelle nationale. Un quart de tous les emplacements ont connu une augmentation de 50 pour cent de la demande.

Le Rapport sur les prix des aliments au Canada pour 2022 prévoit que le coût des aliments augmentera de 5 à 7% cette année, ce qui signifie qu’une famille de quatre personnes dépensera environ 960 $ de plus en nourriture qu’en 2021. Kendra Sozinho, gérante de l’épicerie Fiesta Farms à Toronto, a déclaré à la CBC: «Nous voyons presque tous les fournisseurs augmenter leurs prix, ce qui entraîne une augmentation des nôtres. Je suis ici depuis 20 ans, et je n’ai jamais vu une telle hausse.»

Autre rapport alarmant, l’indice des prix des produits agricoles (IPPA), qui mesure la variation des prix que les agriculteurs canadiens reçoivent pour leurs produits, a augmenté de 25,9% en décembre 2021. L’indice a ainsi atteint son plus haut niveau en 40 ans.

En partenariat avec l’application Caddle, le laboratoire d’analyse agroalimentaire de l’Université Dalhousie a récemment interrogé 10.000 Canadiens pour déterminer comment les consommateurs réagissent à la hausse de la facture d’épicerie. Près de la moitié des Canadiens (49%) ont déclaré avoir réduit leurs achats de produits carnés au cours des six derniers mois en raison de la hausse des prix. En Alberta, le plus grand fournisseur de viande bovine du Canada, une majorité de consommateurs (57%) ont reconnu avoir réduit leurs achats de viande depuis le début de l’année.

L’enquête a révélé que 42% des répondants lisaient plus souvent la circulaire hebdomadaire de leur épicerie et presque autant (40%) ont dit qu’ils achetaient des produits à prix réduit dont la date d’expiration ou de péremption était inférieure à quelques jours après l’achat. Un Canadien sur quatre (26,9%) a déclaré qu’il achetait des produits portant l’étiquette «à savourer ce soir» plus souvent cette année qu’en 2020.

L’étude a également identifié l’utilisation accrue d’une stratégie connue sous le nom de «shrinkflation», par laquelle les producteurs alimentaires vendent des produits dans des emballages contenant moins d’articles, un poids réduit ou un volume plus petit sans réduire le prix. Près des trois quarts des personnes interrogées (73,5%) ont déclaré avoir connaissance de certains produits alimentaires qui ont rétréci, alors que les prix sont restés les mêmes ou ont augmenté.

En ce qui concerne les facteurs à l’origine de la tendance à la hausse des prix des denrées alimentaires, l’étude cite «les conditions météorologiques défavorables dans l’hémisphère nord et les défis logistiques dus à la pandémie mondiale.» Cette étude a été réalisée à la fin de l’année dernière et n’enregistre donc pas l’impact désastreux de la guerre entre la Russie et l’Ukraine et des sanctions radicales imposées par les puissances occidentales. Elles ne feront qu’aggraver la misère d’un nombre croissant de travailleurs qui s’efforcent de mettre de la nourriture sur la table.

(Article paru en anglais le 17 avril 2022)

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