Perspectives

Le défi du 1er  mai 2022: pour l’unité internationale de la classe ouvrière contre le capitalisme, le chauvinisme national et la guerre!

La guerre qui a éclaté le 24  février 2022 est un événement d’importance historique mondiale. Comme dans tous les conflits majeurs, la question de savoir «qui a tiré le premier coup de feu» est d’une importance tout à fait secondaire. Le caractère irresponsable, incompétent et désespéré de l’invasion russe de l’Ukraine démasque la faillite politique et le caractère réactionnaire du régime de Poutine, mais il n’explique pas les causes profondes de la guerre.

Qu’une guerre éclate en Ukraine était prévu depuis longtemps. L’expansion incessante de l’OTAN au lendemain de la dissolution de l’Union soviétique a toujours été orientée vers une guerre avec la Russie. Le renversement, en février 2014, du gouvernement dirigé par Viktor Ianoukovitch, lors d’un coup d’État organisé et financé par les États-Unis, était une tentative non déguisée d’imposer l’entrée de l’Ukraine dans l’orbite de l’OTAN. En outre, le but était de la convertir en rampe de lancement pour une future guerre contre la Russie. Comme l’a expliqué le Comité international de la Quatrième Internationale lors de son rassemblement du 1er  mai 2014:

Le but de ce coup d’État était de porter au pouvoir un régime qui placerait l’Ukraine sous le contrôle direct des impérialismes américain et allemand. Les comploteurs de Washington et de Berlin comprenaient que ce coup d’État conduirait à une confrontation avec la Russie. En effet, loin de chercher à éviter une confrontation, l’Allemagne et les États-Unis estiment qu’un affrontement avec la Russie est nécessaire à la réalisation de leurs intérêts géopolitiques à grande échelle.

Cette guerre, déclenchée par les forces de l’OTAN et des États-Unis, a maintenant commencé. L’écrasante majorité de ceux qui se sont retrouvés sans abri, blessés ou même tués ne porte aucune responsabilité dans la politique et les décisions qui ont conduit à la guerre. Mais on exploite cyniquement la souffrance des victimes innocentes, pour empêcher que ne soient révélés les intérêts politiques et économiques qui ont conduit à cette guerre, mais aussi pour fomenter la quantité de haine anti-russe nécessaire à l’escalade du conflit.

Selon les organes de propagande des impérialismes américain et européen, l’invasion russe de l’Ukraine a choqué la conscience d’un monde, qui – c’est ce qu’on raconte – vivait dans une paix bienheureuse jusqu’à ce que le Kremlin lance une attaque totalement injustifiée contre un voisin sans reproche.

Quel mensonge colossal et hypocrite! Depuis trente ans, les États-Unis sont continuellement en guerre et sont à l’origine de conflits dans le monde entier. Les États-Unis – souvent avec le soutien direct de leurs sous-fifres de l’OTAN – ont bombardé et/ou envahi des pays en Asie centrale, au Moyen-Orient, en Afrique, dans les Balkans et, bien sûr, dans les Caraïbes.

Même si l’on devait accepter comme vraies toutes les affirmations du gouvernement Biden et des médias américains corrompus qui ne font que régurgiter les points de discussion quotidiens dont les nourris la Central Intelligence Agency, les pertes humaines ukrainiennes, tant civiles que militaires, sont infiniment inférieures au nombre de décès attribuables aux guerres menées par les États-Unis. Selon «Les États-Unis de la guerre» (The United States of War), de David Vine, professeur d’anthropologie à l’American University:

On estime que 755.000 à 786.000  civils et combattants de tous bords sont morts en Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Pakistan et au Yémen depuis que les forces américaines ont commencé à combattre dans ces pays. Ce chiffre est environ cinquante fois supérieur au nombre de morts américains.

Mais cela n’est que le nombre de combattants et de civils morts dans des combats. Beaucoup d’autres sont morts des suites de maladies, de la faim et de la malnutrition causées par les guerres et la destruction des systèmes de santé, de l’emploi, des installations sanitaires et d’autres infrastructures locales. Si les chercheurs sont encore en train de calculer ces décès et d’en débattre, le total pourrait atteindre un minimum de 3  millions – environ deux cents fois le nombre de morts américains. Une estimation de 4  millions de morts serait peut-être un chiffre plus précis, bien que prudent encore.

Dans l’intervalle, on a détruit des quartiers, des villes et des sociétés entières dans les guerres menées par les États-Unis. Le nombre total de blessés et de traumatisés s’élève à des dizaines de millions. En Afghanistan, des enquêtes ont indiqué que deux tiers de la population pourraient avoir des problèmes de santé mentale, la moitié souffrant d’anxiété et un sur cinq de SSPT (syndrome de stress post-traumatique). En 2007, en Irak, 28  pour cent des jeunes souffraient de malnutrition, la moitié des habitants de Bagdad avaient été témoins d’un événement traumatique majeur et près d’un tiers avaient reçu un diagnostic de SSPT. En 2019, probablement plus de 10  millions de personnes avaient été chassés de leurs foyers, devenant des réfugiés à l’extérieur ou déplacés à l’intérieur rien qu’en Afghanistan, en Irak, au Yémen et en Libye.

Outre les dégâts humains, les coûts financiers des guerres menées par les États-Unis après 2001 sont si importants qu’ils sont presque inconcevables. À la fin de l’année  2020, les contribuables américains ont déjà dépensé ou devraient s’attendre à dépenser un minimum de 6,4  billions de dollars pour les guerres de l’après-2001 ; ce qui comprend les futures prestations des anciens combattants et les paiements d’intérêts sur l’argent emprunté pour payer les guerres. Les coûts réels sont susceptibles d’atteindre des centaines de milliards ou des trillions de dollars supplémentaires, selon le moment où ces guerres apparemment sans fin prendront fin. [pp xvii-xix]

En fait, il n’y a pas de fin en vue. L’annonce faite par Biden en avril 2021 de la fin de la «guerre éternelle» en Afghanistan n’était qu’une couverture cynique pour le redéploiement stratégique des forces militaires américaines en vue d’un conflit direct avec la Russie et la Chine.

On a justifié toutes les guerres des trois dernières décennies par des mensonges flagrants – l’affirmation que l’Irak possédait des «armes de destruction massive» n’est là que le plus notoire – et en violation directe du droit international.

Lors du procès pour crimes de guerre de Nuremberg en 1946, on a jugé et condamné les dirigeants nazis pour «crimes contre la paix» ; ceux-ci consistant à faire la guerre en tant qu’instrument de politique d’État, plutôt qu’en réponse à une menace immédiate ou imminente d’attaque militaire. Les guerres de l’impérialisme américain entrent dans la catégorie juridique des crimes contre la paix, c’est-à-dire des guerres lancées et menées dans le but d’atteindre des objectifs politiques.

Le contexte historique et politique global du déchaînement mondial de l’impérialisme américain est profondément pertinent pour comprendre la guerre actuelle.

La dissolution des régimes staliniens en Europe de l’Est et, finalement, de l’URSS entre 1989 et 1991, a supprimé jusqu’aux restrictions limitées à l’exercice de la puissance militaire américaine, établies au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Comme l’a proclamé le président George Herbert Walker Bush en lançant la première guerre contre l’Irak en 1991 – avec le soutien de Mikhaïl Gorbatchev alors que l’Union soviétique entrait dans la phase finale de dissolution et de restauration capitaliste – les États-Unis étaient déterminés à créer un «nouvel ordre mondial».

Ce projet était motivé par de puissants impératifs objectifs, économiques et géostratégiques. Contrairement aux récits de l’après-1991, qui présentent les États-Unis comme l’inévitable et triomphant vainqueur de la guerre froide, les décennies qui ont précédé la dissolution de l’URSS ont été une période de déclin américain accéléré.

La suprématie économique mondiale exercée par les États-Unis en 1945 s’était considérablement détériorée au cours des années  1960, 1970 et 1980. Le fondement de la domination économique mondiale américaine – la convertibilité du dollar en or au taux de 35  dollars l’once qu’on avait établie à la conférence de Bretton Woods de 1944 – était devenu insoutenable à mesure que la balance commerciale américaine se détériorait. Il fut répudié unilatéralement par les États-Unis en août 1971.

Des éruptions militantes de lutte des classes à l’intérieur du pays – dont le mouvement de masse de la classe ouvrière noire pour les droits civils fut une puissante expression — ont largement exacerbé la détérioration de la position économique dans le monde. En même temps, l’effort sanglant de l’impérialisme américain pour réprimer le mouvement anti-colonial des masses dans le monde – le plus brutalement au Vietnam – a conduit à la radicalisation de larges sections de la jeunesse étudiante et à l’émergence d’un immense mouvement anti-guerre.

Aux États-Unis, les années  1960 à 1990 ont été caractérisées par l’instabilité politique et la polarisation sociale. Les émeutes urbaines, les mouvements de protestation de masse, les assassinats politiques et les grèves violentes et prolongées ont été les principales caractéristiques de la réalité américaine entre 1960 et 1990.

La crise de l’impérialisme américain s’est développée parallèlement à celle du régime stalinien en URSS. Il ne fait aucun doute que l’Union soviétique, qui est sortie victorieuse – bien qu’à un coût humain stupéfiant – de l’Allemagne nazie, a fait des progrès substantiels au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais le paradoxe fondamental et inéluctable de l’Union soviétique est que la croissance et la complexité croissante de son économie ont intensifié la crise de l’ensemble du système stalinien qui reposait sur le programme nationaliste du «socialisme dans un seul pays».

Malgré les taux de croissance impressionnants réalisés par l’Union soviétique au cours des deux décennies qui ont suivi la guerre, la conception d’une voie nationale vers le socialisme fut contredite par la réalité objective du marché mondial et de la division internationale du travail. Les déséquilibres et le faible niveau de productivité dont souffrait l’économie soviétique illustraient sous sa forme la plus extrême la contradiction, qui touche tous les pays, entre l’économie mondiale et le système de l’État-nation.

Le développement de l’économie soviétique nécessitait un accès aux ressources de l’économie mondiale. Mais cet accès ne pouvait être obtenu que de deux façons : 1) par l’abandon du principe de planification, la réintroduction du capitalisme, la dissolution de l’URSS et l’intégration de ses composantes dans le système capitaliste mondial ou 2) par la conquête du pouvoir par la classe ouvrière, surtout dans les pays capitalistes avancés et, sur cette base, par l’abolition des frontières nationales et le développement d’une planification économique démocratique guidée scientifiquement à l’échelle mondiale.

Cette dernière alternative était impossible dans le cadre du régime stalinien. La politique nationaliste de l’Union soviétique était inextricablement ancrée dans les intérêts matériels de la bureaucratie du Kremlin. Son abus systématique du pouvoir était le moyen par lequel elle maintenait son accès privilégié aux ressources de l’Union soviétique. Le Kremlin voyait avec horreur l’émergence, en URSS et dans le monde, d’un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière qui menaçait son emprise sur le pouvoir.

La mort de Staline en 1953 a fait naître l’illusion que le régime du Kremlin allait mettre en place des réformes de grande envergure qui permettraient de réaliser le renouveau du socialisme en URSS et son triomphe au plan international. Une telle répudiation de l’insistance de Trotsky sur le caractère contre-révolutionnaire du stalinisme et la nécessité d’une révolution politique était la marque théorique et politique du révisionnisme pabliste.

Mais la réaction soviétique brutale au soulèvement en Allemagne de l’Est en 1953 et à la révolution hongroise de 1956, le massacre des ouvriers à Novocherkassk en 1962 et l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 ont démontré par le sang que la bureaucratie du Kremlin ne tolérerait pas de défi socialiste révolutionnaire à son pouvoir.

Lorsqu’il devint évident – notamment au cours du mouvement de solidarité avec la Pologne en 1980-1981 (qui avait initialement un véritable potentiel révolutionnaire) – que le mouvement contre la bureaucratie ne pouvait être réprimé, le Kremlin a commencé à poursuivre activement la solution contre-révolutionnaire à la crise systémique de l’économie soviétique: c’est-à-dire la dissolution de l’Union soviétique et la restauration du capitalisme.

Le choix de Gorbatchev comme chef du parti en 1985 et l’introduction de la perestroïka ont marqué le début de l’étape finale de la contre-révolution stalinienne contre la révolution d’Octobre.

Un élément essentiel de la politique de Gorbatchev était la répudiation explicite de l’identification même formelle de l’Union soviétique avec la lutte des classes et l’opposition à l’impérialisme. En 1989, dans un livre intitulé ‘Perestroika contre Socialisme’, le Comité international expliquait:

Les traits distinctifs de la nouvelle politique étrangère soviétique sont: la répudiation inconditionnelle du socialisme international comme objectif à long terme de la politique soviétique; le renoncement à toute solidarité politique entre l’Union soviétique et les luttes anti-impérialistes dans le monde entier; et le rejet explicite de la lutte des classes comme facteur pertinent dans la formulation de la politique étrangère. Les changements dans la politique étrangère soviétique sont inséparablement liés à l’intégration continue de l’économie dans la structure du capitalisme mondial. Les objectifs économiques du Kremlin exigent que l’Union soviétique renonce catégoriquement et inconditionnellement à toute association persistante entre sa politique étrangère et la lutte des classes et l’anti-impérialisme sous quelque forme que ce soit. C’est pour cette raison que Gorbatchev a choisi les Nations unies comme forum pour sa déclaration en décembre 1988. Là, il a expliqué que la révolution d’Octobre 1917, comme la Révolution française de 1789, appartient à une autre époque historique et n’a pas sa place dans le monde moderne.

Des articles paraissent régulièrement dans la presse soviétique pour dénoncer la politique étrangère des précédents dirigeants du Kremlin, non pas pour leur trahison des intérêts du prolétariat international, mais pour avoir été beaucoup trop hostile aux États-Unis. Dans la mesure où la politique étrangère soviétique reflétait un quelconque antagonisme envers l’impérialisme, elle est ridiculisée comme une forme d’irrationalisme politique. Le déclenchement de la guerre froide est désormais attribué non pas à une agression impérialiste, mais à l’adhésion de l’URSS à une idéologie anticapitaliste dogmatique.

La révision contre-révolutionnaire stalinienne fondamentale du marxisme – l’affirmation que le socialisme pouvait être construit dans un cadre national – a été remplacée par le régime de Gorbatchev par l’argument non moins frauduleux et ignorant que la Russie, une fois qu’elle aurait abandonné ses prétentions socialistes, serait comblée de richesses et intégrée pacifiquement dans les structures du système capitaliste mondial. La Russie n’avait rien à craindre de l’impérialisme, qu’on rejetait comme une concoction idéologique du marxisme. Un jeune apparatchik de la bureaucratie soviétique, Andrei Kozyrev, était l’un de ceux qui défendaient avec le plus de véhémence ces idées. Il a écrit en 1989:

Si l’on considère la bourgeoisie monopoliste des États-Unis dans son ensemble, très peu de ses groupes, et aucun des principaux groupes, sont liés au militarisme. Il n’est plus nécessaire de parler, par exemple, d’une lutte militaire pour les marchés ou les matières premières, ou pour la division et la redivision du monde.

En relisant ces mots aujourd’hui, en pleine catastrophe de la guerre des USA et de l’OTAN contre la Russie, on ne peut que s’étonner du niveau de tromperie et d’auto-illusion qui régnait au sein de la bureaucratie et de la nomenklatura soviétiques alors qu’elles détruisaient l’URSS de façon irresponsable. Mais la tromperie et l’auto-illusion découlaient des intérêts matériels de la bureaucratie cherchant à se transformer d’une caste de privilégiés en une classe dirigeante. Quant à Kozyrev, il est devenu ministre des Affaires étrangères sous Eltsine et a fonctionné comme agent d’officede l’impérialisme américain.

Les États-Unis considéraient la dissolution de l’Union soviétique comme une occasion historique d’exploiter sa suprématie militaire incontestable pour compenser leur déclin économique prolongé. Ils allaient profiter du «moment unipolaire» – l’absence de tout concurrent militaire crédible – pour établir l’hégémonie mondiale incontestable des États-Unis.

Mais ce projet s’est avéré plus difficile que ne le prévoyaient les stratèges de la Maison-Blanche et du Pentagone. Les guerres déclenchées par les États-Unis se sont soldées par un échec humiliant. Les États-Unis n’ont atteint aucun de leurs objectifs stratégiques par les conflits sanglants au Moyen-Orient et en Asie centrale. En outre, alors que les États-Unis s’enlisaient dans leurs «guerres éternelles», la Chine est apparue comme un concurrent économique et potentiellement militaire majeur des États-Unis.

La lutte pour l’hégémonie fut plus encore mise à mal par une série de crises économiques dévastatrices. Le krach de Wall Street en 2008 a amené l’ensemble du système capitaliste mondial au bord de l’effondrement, ce qui ne fut empêché que par un sauvetage désespéré nécessitant l’injection de milliers de milliards de dollars dans le système financier. Mais sans résolution des problèmes sous-jacents qui ont conduit au krach de 2008, un renflouement encore plus important a été nécessaire en 2020 pour arrêter un nouveau krach boursier, déclenché par l’apparition de la pandémie de COVID-19.

Cette pandémie a fait un million de morts aux États-Unis et environ 20  millions dans le monde. Elle a mis à nu le dysfonctionnement du système capitaliste, qui est incapable de répondre de manière progressive à une crise sociale majeure. À cet égard, il n’y a aucune différence fondamentale entre les régimes de Washington et de Moscou. Les ulcères gangreneux de la société américaine – la plus inégalitaire du monde – ont conduit l’ensemble du système politique au point de rupture. Le 6  janvier 2021, la structure constitutionnelle existante des États-Unis a failli être renversée par un putsch fasciste organisé par Trump, alors président des États-Unis. Alors que ceux-ci s’affichent avec arrogance comme leader du «monde libre», la survie ne serait-ce que d’une prétention à la démocratie aux États-Unis est, comme Biden lui-même l’a récemment admis, remise en question.

Loin de battre en retraite de leur campagne d’hégémonie mondiale, vu leurs échecs passés, les États-Unis sont poussés à des actions toujours plus extrêmes et plus dangereuses. En fait, la gravité de leurs maladies internes est devenue un facteur majeur qui pousse les États-Unis à prendre des mesures auparavant considérées comme impensables, y compris l’utilisation d’armes nucléaires.

Pourquoi les États-Unis, se servant de l’Ukraine comme mandataire, ont-ils déclenché cette guerre contre la Russie? Lénine a analysé la Première Guerre mondiale comme une tentative des puissances impérialistes de rediviser le monde. Cette définition est un point de départ fondamental pour comprendre pourquoi les États-Unis, à la tête d’une alliance de puissances impérialistes de l’OTAN, mènent une guerre contre la Russie. Dans le contexte actuel, le redécoupage du monde signifie placer la vaste étendue de la Russie, le plus grand pays, sous le contrôle direct des impérialistes.

Dans la mesure où l’Union soviétique avait conservé une association toute formelle avec le socialisme et l’opposition à l’impérialisme, sa dissolution a supprimé ce qui était considéré comme un défi à la légitimité idéologique et économique du système capitaliste mondial dominé par les États-Unis. Le régime de l’après-1991 a ouvert l’économie russe aux investissements capitalistes étrangers. Mais l’État russe s’étendait toujours sur le vaste espace d’une Eurasie stratégique sur le plan mondial. En outre, les oligarques russes qui ont pris le contrôle de l’économie nationale ont pu limiter l’accès des impérialismes américain et européen aux ressources de la Russie.

Pour que le projet d’hégémonie américaine se réalise, l’accès illimité aux ressources stratégiques de la Russie et le contrôle de son territoire sont des objectifs cruciaux à deux égards.

Premièrement, la richesse réelle des ressources de la Russie est estimée à des dizaines de milliers de milliards de dollars. Outre la valeur monétaire de ces métaux et minéraux, nombre de ces ressources sont classées comme matériaux stratégiques, essentiels aux économies industrielles avancées du XXIe  siècle.

La Russie est un trésor virtuel de précieuses ressources naturelles, avec de vastes – et dans certains cas les plus grandes – réserves de pétrole, de gaz naturel, de bois, de cuivre, de diamants, d’or, d’argent, de platine, de zinc, de bauxite, de nickel, d’étain, de mercure, de manganèse, de chrome, de tungstène, de titane et de phosphates. Environ un sixième des gisements de minerai de fer du monde se trouvent dans l’‘Anomalie magnétique de Kursk’, près de la frontière ukrainienne. Les autres métaux rares qui existent en quantités considérables en Russie sont le cobalt, le molybdène, le palladium, le rhodium, le ruthénium, l’iridium et l’osmium. La Russie est également une source importante d’uranium et de terres rares. Ces dernières sont devenues une source majeure de concurrence géopolitique mondiale.

Les experts en géostratégie mondiale sont bien au courant du conflit intense qui existe pour l’accès à ces ressources cruciales. Mais les discussions sur les matières premières et le contrôle des richesses de la Russie ne figurent pas dans les médias de masse qu’ils soient radiodiffusés, en ligne ou imprimés et qui préfèrent faire croire au public que l’impérialisme américain et européen mène une lutte noble et désintéressée au nom de la démocratie ukrainienne, même si cela nécessite, de manière regrettable, d’armer les fascistes du régiment d’Azov.

Deuxièmement, le contrôle physique du territoire russe est vital pour ce que Washington considère comme l’épreuve de force inévitable avec la Chine. Lorsque l’heure de la guerre ouverte sonnera, la défense des Ouïgours contre les persécutions «génocidaires» de la Chine sera invoquée comme on invoque aujourd’hui l’allégation de génocide des Ukrainiens par la Russie.

Il ne fait aucun doute que l’accent mis sur l’importance des matières premières comme facteur majeur dans l’incitation à la guerre contre la Russie sera tourné en dérision comme un exemple de «marxisme vulgaire». Quoi qu’il en soit, dans son étude de l’impérialisme, Lénine a mis l’accent sur la lutte des puissances impérialistes pour s’assurer le contrôle des sources de matières premières. Il écrit: «Plus le capitalisme se développe, plus la pénurie de matières premières se fait sentir, plus la concurrence et la chasse aux sources de matières premières sont intenses dans le monde entier, plus la lutte pour l’acquisition de colonies est désespérée».

Lénine a relié la volonté d’obtenir l’accès et le contrôle des matières premières à la prise de territoires et a souligné, comme élément essentiel de l’impérialisme, l’importance des annexions.

Bien sûr, il y a de nombreuses formes de contrôle territorial, autres que l’annexion pure et simple, pouvant permettre aux impérialistes d’entretenir le mirage d’une indépendance du pays soumis. Mais le mirage ne sera pas la réalité. L’impérialisme américain et ses alliés de l’OTAN attendent que l’ultime issue du conflit – quelle que soit sa durée – soit la destruction de la Russie sous sa forme actuelle.

Le 16  avril, le Washington Posta rapporté le passage à une politique hautement agressive:

Près de deux mois après l’assaut brutal de Vladimir Poutine en Ukraine, le gouvernement Biden et ses alliés européens ont commencé à planifier un monde bien différent. Dans ce monde, ils n’essaient plus de coexister et de coopérer avec la Russie, mais ils cherchent activement à l’isoler et à l’affaiblir dans le cadre d’une stratégie à long terme.

Au sein de l’OTAN et de l’Union européenne, ainsi qu’au département d’État, au Pentagone et dans les ministères alliés, des plans sont en cours d’élaboration pour inscrire une nouvelle politique dans pratiquement tous les aspects de la position de l’Occident vis-à-vis de Moscou, de la défense et des finances au commerce et à la diplomatie internationale («Les États-Unis et leurs alliés prévoient un isolement à long terme de la Russie»).

Quelles sont les implications stratégiques de l’abandon des efforts «pour coexister et coopérer avec la Russie»? Si les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN estiment qu’il n’est pas possible de «coexister» avec la Russie, la conclusion qui s’impose est qu’ils sont déterminés à la détruire. Le «monde différent» que les puissances impérialistes envisagent – et pour lequel elles sont prêtes à risquer la guerre nucléaire et la vie de centaines de millions de personnes – est un monde dans lequel la Russie n’existe plus sous sa forme actuelle.

La guerre en Ukraine révèle à présent pleinement les conséquences catastrophiques de la trahison stalinienne de la révolution d’Octobre. Cette trahison a commencé par la répudiation du programme de l’internationalisme socialiste sur lequel Lénine et Trotsky ont fondé la conquête du pouvoir par la classe ouvrière en octobre 1917 et la création ultérieure de l’Union des républiques socialistes soviétiques en 1922. Le programme anti-marxiste du «socialisme dans un seul pays», dévoilé par Staline en 1924, a fomenté la résurgence du chauvinisme grand-russe qui a miné l’unité des Républiques socialistes et renforcé les éléments réactionnaires, anti-soviétiques et ouvertement fascistes, en particulier en Ukraine, une nation brutalement opprimée sous le tsarisme, d’où étaient issus nombre des plus grands dirigeants du mouvement ouvrier révolutionnaire, dont Léon Trotsky.

La dissolution de l’Union soviétique en décembre 1991 a été le point culminant de la contre-révolution stalinienne. La classe ouvrière russe, ukrainienne et internationale, confrontée maintenant à ses conséquences, doit tirer de cette immense expérience historique les leçons politiques nécessaires.

Dans une lettre à un socialiste russe postée sur le World Socialist Web Site le 2  avril, le Comité international a expliqué la base de principe de son opposition à l’invasion russe de l’Ukraine, nonobstant l’instigation du conflit par les États-Unis. Le mouvement trotskyste, déclarait la lettre, «ne fonde pas sa stratégie sur le type de conceptions pragmatiques à base nationale qui déterminent la politique du régime capitaliste en Russie». La lettre poursuit:

On ne peut entreprendre la défense des masses russes contre l’impérialisme sur la base de la géopolitique bourgeoise des États-nations. Au contraire, la lutte contre l’impérialisme exige la renaissance de la stratégie prolétarienne de la révolution socialiste mondiale. La classe ouvrière russe doit répudier toute l’entreprise criminelle de restauration capitaliste, qui a conduit au désastre, et rétablir son lien politique, social et intellectuel avec son grand héritage révolutionnaire léniniste-trotskyste.

Le programme de l’internationalisme socialiste s’applique à la classe ouvrière de tous les pays impérialistes et capitalistes.

La guerre en Ukraine n’est pas un épisode qui sera bientôt résolu et suivi d’un retour à la «normalité». C’est le début de la violente éruption d’une crise mondiale qui ne peut être résolue que de deux façons. La solution capitaliste conduit à la guerre nucléaire, bien que le mot «solution» puisse difficilement être appliqué rationnellement à ce qui équivaudrait à un suicide planétaire. Ainsi, la seule réaction viable, du point de vue de la garantie de l’avenir de l’humanité, est la révolution socialiste mondiale.

Inévitablement, la question se pose: cette dernière alternative est-elle possible?

La réponse se trouve dans une compréhension des contradictions du capitalisme mondial moderne. La grande intuition de Lénine, qu’il a développée entre 1914 et 1916, était que les contradictions socio-économiques qui avaient donné lieu à la guerre mondiale donnaient également l’impulsion à la révolution socialiste mondiale. Cette idée fut confirmée par le déclenchement de la Révolution russe en 1917.

Dans la crise actuelle, la conception de Lénine – développée par Trotsky et la Quatrième Internationale – se trouve confirmée par l’escalade rapide de la lutte des classes dans le monde entier. Les mesures irresponsables prises par les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN pour isoler la Russie ont considérablement exacerbé la crise économique et sociale déjà très avancée et touchant tous les régimes capitalistes. Des manifestations et des grèves de masse se développent dans le monde entier. La classe ouvrière et les masses opprimées n’accepteront pas l’appauvrissement et la famine dans l’intérêt d’une poursuite criminellement insensée de la domination mondiale par les élites impérialistes au pouvoir.

Comme Trotsky l’a expliqué, la stratégie de la Quatrième Internationale se fonde non pas sur la carte de la guerre, mais sur la carte de la lutte mondiale des classes.

La célébration du 1er  mai 2022 doit être consacrée à l’unification de la classe ouvrière internationale dans une lutte globale contre la guerre impérialiste et sa cause première, le système capitaliste.

La stratégie et le programme sur lesquels le Comité international de la Quatrième Internationale développera ce mouvement historique seront le sujet du rassemblement en ligne qui aura lieu le dimanche 1er  mai.

Pour vous inscrire au rallye international en ligne du 1er  Mai, remplissez le formulaire ci-dessous ou visitez wsws.org/maydaypour plus d’informations.

(Article paru d’abord en anglais le 19 avril 2022)

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