«Life and Death in the Warehouse»: La description macabre d’une exploitation implacable

Le drame «Life and Death in the Warehouse» de la scénariste et auteure Helen Black (disponible sur BBC iPlayer) met en lumière les conditions de travail des ouvriers dans l’industrie des entrepôts au Royaume-Uni (et dans le monde).

L’inspiration du réalisateur Joseph Bullman pour ce drame est venue d’une discussion avec un groupe d’ouvriers au Pays de Galles alors qu’il travaillait sur un autre documentaire. Il s’est rendu compte que les travailleurs attendaient des SMS pour savoir s’ils seraient affectés à l’entrepôt situé en bas de la colline. Certains ne pouvaient pas se rendre à l’entrepôt assez rapidement, perdant ainsi une journée de travail. Leur solution était de dormir à l’abribus local pour répondre plus rapidement à l’appel au travail.

Life and Death in the Warehouse (2022)

Le drame est basé sur des événements réels et des expériences de travailleurs tout aussi réels. L’équipe lauréate des BAFTA a déjà créé «Killed by My Debt» (2018) et «Murdered by My Father» (2016). Black a grandi dans le Yorkshire dans une famille de la classe ouvrière. Son père était mineur et sa mère travaillait dans des magasins locaux. Dans une interview à la BBC, elle a commenté: «Il n’y a pas beaucoup d’écrivains de la classe ouvrière, il n’y a pas beaucoup de réalisateurs de la classe ouvrière, il n’y a pas beaucoup de producteurs de la classe ouvrière. Il est donc rare de réunir une équipe qui souhaite raconter des histoires de la classe ouvrière.»

Après des recherches approfondies auprès d’ouvriers d’entrepôts britanniques, la fiction réussit en grande partie à donner vie à ces expériences.

L’histoire est racontée principalement du point de vue d’un jeune cadre plutôt que d’un préparateur de commandes. Cette décision permet de voir l’acharnement de l’entreprise à faire des profits au détriment d’une forte rotation des travailleurs et des dommages physiques qu’ils subissent. Cette perspective révèle également la brutalité idéologique du capitalisme sur ceux qu’il élève et déploie pour administrer son exploitation. Cette brutalité est parfaitement illustrée par l’échange sur le débriefing post-incident de l’équipe de direction junior: «Nous devons être désespérés pour satisfaire nos clients» – «Je suis désespéré à 100 %...»

Alys (Poppy Lee Friar) et Megan (Aimee-Ffion Edwards) ont vécu dans la même rue au Pays de Galles dans leurs jeunes années. Elles se retrouvent alors qu’elles attendent d’entrer dans le monde du travail. Alys est une préparatrice de commande permanente qui a toute une réputation et Megan commence le programme de formation en gestion. Les deux actrices parviennent à susciter la compassion pour leurs situations individuelles, malgré le conflit entre travailleurs et cadres qui les oppose.

Les premières scènes montrent l’horreur de la fausse couche d’Alys dans les toilettes de l’entrepôt, sous le regard de Megan, en état de choc. On revient rapidement au début de l’histoire, alors que le personnel fait la queue pour entrer dans l’entrepôt en passant par les différents protocoles de sécurité, ce qui ressemble plus à l’entrée dans une prison sécurisée que dans un lieu de travail. Le «bureau du travail temporaire» s’occupe des travailleurs désespérés qui cherchent un emploi quotidien, refusant d’offrir des quarts de travail si les travailleurs n’ont pas atteint les objectifs de préparation des commandes.

Megan apprend rapidement que le mantra orwellien de l’entreprise, «axé sur le client», signifie que la direction est prête à tout pour déshumaniser les préparateurs de commandes afin d’atteindre des objectifs toujours plus exigeants. La taille, l’âge ou l’état de santé d’un préparateur de commandes, y compris la grossesse, ne sont pas pris en compte. Si les objectifs ne sont pas atteints, l’employé perd son emploi.

Bien qu’Alys ait informé l’entreprise de sa grossesse, sa demande d’allègement des tâches est rejetée et elle est placée en «plan d’amélioration personnelle» lorsqu’elle ne peut pas atteindre son taux de commandes quotidien. Il s’agit d’un euphémisme pour dire qu’elle est «mise à l’écart» de l’entreprise.

Soumise à des pressions pour être performante et conserver son emploi, Alys continue de travailler malgré son hypertension (due à sa grossesse) et s’évanouit à un moment donné. Megan, inquiète pour son bien-être, appelle une ambulance. Elle est réprimandée par ses collègues-cadres et ses supérieurs pour avoir «choisi la solution de facilité, et non ce qui est le mieux pour l’équipe». Danny (Craig Parkinson), le cadre supérieur, et son acolyte junior Donna (Kimberly Nixon) sont des personnages droïdes, qui semblent manquer toute empathie pour les travailleurs. Ils sont les assassins souriants dans la vie professionnelle de Megan. Malgré tous ses efforts pour rester «humaine», elle doit répondre aux exigences de l’entreprise. Son évolution en une réplique de Danny et Donna est évidente à la fin du film.

Aimee-Ffion Edwards

Megan, issue d’un milieu ouvrier et apportant le seul revenu de sa famille, tient autant qu’Alys à conserver son emploi et continue donc à pousser Alys à améliorer ses performances. De la même manière que dans les centres d’appels, chaque seconde de la journée des préparateurs de commande est contrôlée. Les temps morts, qui incluent les pauses toilettes, doivent être réduits au minimum, ce qui amène les employés masculins à uriner dans des bouteilles et à les laisser traîner dans l’entrepôt plutôt que de perdre du temps à utiliser les toilettes. Les travailleuses, incapables de faire de même et devant gérer des menstruations et des grossesses, doivent faire la course pour utiliser les toilettes le plus rapidement possible et sont ensuite humiliées publiquement devant toute l’équipe lorsqu’elles prennent plus de 10 minutes.

Ces vastes centres de distribution ont souvent vu le jour dans des zones défavorisées telles que d’anciens villages miniers. Cela crée les conditions d’une super-exploitation, avec un faible nombre d’emplois et de grandes réserves de main-d’œuvre. Les travailleurs temporaires désespérés sont impatients de gagner le «gilet vert» d’un emploi permanent, se poussant jusqu’à l’épuisement pour prouver leur «valeur». Un travailleur temporaire est vu consommant des niveaux dangereusement élevés de boissons énergisantes remplies de sucre et de caféine, ainsi que des compléments énergétiques.

La COVID-19 est brièvement évoquée lors d’une réunion d’équipe. Bien que les auteurs aient choisi la question des droits de la grossesse comme récit principal, il est regrettable qu’une plus grande attention n’ait pas été accordée à cette question. Le personnel de l’entrepôt a été en première ligne de la pandémie. Désignés comme «travailleurs essentiels», ils ont continué à travailler dans des espaces clos où la COVID sévissait dans les centres de distribution. Il s’agit d’une expérience fondamentale de la classe ouvrière au sens large dans des rôles de «travailleurs essentiels» et on aurait pu en faire davantage état.

Le scénario souligne l’hostilité de l’entreprise à l’égard de l’activité syndicale. Il s’agit de la résistance de la direction à toute auto-organisation de la part des travailleurs et du maintien d’une main-d’œuvre composée d’individus plutôt que d’une force collective. Cependant, la récente campagne de syndicalisation des travailleurs d’Amazon, soutenue par le président américain Joe Biden, montre le tournant pris par la classe dirigeante pour utiliser les syndicats pro-patronat afin de contrôler cette section de plus en plus critique de la classe ouvrière.

Une fois les syndicats en place, comme le montre l’expérience plus large des travailleurs de la distribution et des entrepôts des supermarchés au Royaume-Uni, les bas salaires, les terribles conditions de travail et l’exploitation restent la norme.

(Article paru en anglais le 18 avril 2022)

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