Le chef du Parti travailliste britannique appelle les députés conservateurs «décents et honorables» à déloger Boris Johnson

Les députés doivent voter jeudi sur la question de savoir si le premier ministre britannique Boris Johnson doit faire l’objet d’une enquête pour avoir induit le Parlement en erreur lors de la crise du «partygate» [des fêtes dans les bureaux du gouvernement qui violaient les règles du confinement].

Au début du mois, la police métropolitaine a infligé une amende à Boris Johnson, au chancelier Rishi Sunak et à l’épouse de Boris Johnson, Carrie, pour avoir enfreint les restrictions liées au confinement en cas de pandémie en participant à au moins une soirée. La police a jusqu’à présent donné plus de 50 amendes fixes dans le cadre de son enquête sur 12 événements organisés à Downing Street et Whitehall en 2020 et 2021.

Le premier ministre britannique Boris Johnson salue les médias alors qu’il quitte le 10 Downing Street pour se rendre à la Chambre des communes afin de faire une déclaration sur les fêtes organisées à Downing Street pendant les restrictions liées au coronavirus, à Londres, le mardi 19 avril 2022 (AP Photo/Alastair Grant)

Johnson avait déclaré aux députés qu’il n’avait enfreint aucune loi, insistant en décembre dernier sur le fait que «toutes les directives ont été suivies intégralement» concernant les restrictions en période de pandémie.

Mercredi, après avoir discuté avec le chef du Parti travailliste, sir Keir Starmer, et avoir reçu des lettres d’autres députés de l’opposition, le président du Parlement, sir Lindsay Hoyle, a annoncé qu’il avait accédé à leur demande de tenir un vote sur une enquête. Hoyle a déclaré: «J’ai décidé qu’il s’agit d’une question à laquelle je dois accorder la préséance à la question de privilège. Par conséquent, il [Starmer] peut déposer une motion de débat jeudi».

Hoyle a déclaré que ce qui allait se passer ensuite était uniquement déterminé par le livre de règles de procédure du Parlement, l’Erskine May. Les députés voteront uniquement sur la question de savoir si la question de la violation de la loi par Johnson doit être renvoyée à la commission des privilèges des Communes. Cette commission, si le vote est adopté, examinera si Johnson a commis un outrage au Parlement en trompant sciemment les députés. Cette procédure, si elle est déclenchée, devrait prendre des mois et impliquer la convocation de témoins, y compris le premier ministre, et se terminer par un rapport soumis au vote du Parlement. La commission des privilèges dispose d’une majorité du Parti conservateur au pouvoir.

Le vote de jeudi se déroulera en l’absence de Johnson, qui se rendra en Inde dans le cadre d’un voyage programmé pour discuter de la défense et des liens commerciaux.

Tout le monde sait qu’il s’agit essentiellement d’un vote de confiance à l’égard du premier ministre Johnson, raison pour laquelle il n’y a pratiquement aucune chance qu’il le perde.

Malgré l’opposition généralisée de la population, et une pétition demandant la démission de Johnson et de Sunak ayant atteint près d’un demi-million de signatures cette semaine, seuls neuf députés conservateurs sur 359 se sont manifestés ces derniers mois pour annoncer qu’ils n’avaient pas confiance en Johnson. ITV News a estimé qu’en février, au plus fort de la crise du «partygate», mais avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine, tout au plus 20 députés étaient prêts à soutenir un vote de défiance à l’égard de Johnson, «mais ce nombre a diminué car certains députés ont retiré leur proposition».

Les sections du parti conservateur regroupées au sein du COVID Recovery Group, un groupe d’extrême droite, et d’autres qui ont des liens étroits avec l’armée sont satisfaits que Johnson ait écouté et mis en œuvre leurs principales demandes: 1) que toutes les restrictions liées à la COVID soient levées pour faciliter le fonctionnement sans entrave des sociétés – ce que Johnson a fait le 24 février; et 2) qu’il agisse en totale conformité avec les États-Unis, d’abord en provoquant le président russe Poutine pour qu’il envahisse l’Ukraine, puis en soutenant l’Ukraine jusqu’au bout lorsque la guerre a éclaté.

Les députés étant de retour après les vacances de Pâques, Johnson s’est adressé au Parlement mercredi pour la première fois depuis qu’il a reçu une amende. Il a présenté «en toute humilité» des «excuses sincères», les premières d’une douzaine d’autres au cours du débat. Il a nié avoir induit le Parlement en erreur, déclarant qu’il avait fait une «erreur» en pensant qu’une «réunion dans la salle du cabinet, juste avant une réunion vitale sur la stratégie COVID, pouvait constituer une violation des règles».

Il était maintenant temps pour tout le monde de passer à la question fondamentale: faire la guerre. Johnson avait «un sentiment encore plus grand de l’obligation de répondre aux priorités du peuple britannique, et de répondre dans les meilleures traditions de notre pays à l’assaut barbare de Poutine sur l’Ukraine».

Les députés conservateurs ont répondu avec ferveur en soutenant Johnson. Un seul, Mark Harper, était prêt à lui déclarer sa défiance. L’ambiance a été résumée par sir Edward Leigh, qui a déclaré que le seul dirigeant qui devait être écarté était Vladimir Poutine. David Morris a déclaré: «Ce premier ministre mène le monde contre Poutine».

Le premier ministre Boris Johnson (à gauche), accompagné du chef de l’opposition sir Keir Starmer (deuxième à gauche), de la ministre de l’Intérieur Priti Patel et du président de la Chambre des communes Sir Lindsay Hoyle (à droite) rendent hommage au député conservateur sir David Amess, qui a été poignardé à mort à l’Église méthodiste de Belfairs, à Leigh-on-Sea, dans l’Essex, le 15 octobre 2021 (Photo Andrew Parsons / No 10 Downing Street / FlickR)

La réaction de Starmer a montré comment Johnson et les conservateurs ont réussi à rester au pouvoir, bien qu’ils aient supervisé la mort de plus de 190.000 Britanniques au cours des deux dernières années. Il a qualifié Johnson de «malhonnête» et a demandé qu’il démissionne. Mais sa principale préoccupation était de prodiguer des éloges aux adversaires de Johnson, réels ou imaginaires, au sein du Parti conservateur et d’exiger que cette vieille institution de l’impérialisme britannique gouverne dans «l’intérêt national».

Starmer a déclaré: «Comme toujours avec ce premier ministre, les proches sont ruinés et les institutions qu’il a juré de protéger, endommagées. De bons ministres sont contraints de quitter le service public. La carrière du chancelier est ruinée. Et le chef des conservateurs écossais, rendu pathétique».

Le crime de Johnson pour Starmer était de jeter le discrédit sur le Parlement. Il a averti les députés conservateurs: «Plus les gens s’avilissent en répétant ses défenses absurdes, plus le public croira que tous les politiciens sont les mêmes.Tous aussi mauvais les uns que les autres».

Il a ensuite formulé sa demande principale: «beaucoup de députés sont décents et honorables sur les bancs d’en face… Ils savent les dégâts que fait le premier ministre. Ils savent que les choses ne peuvent pas continuer comme cela. Et ils savent qu’il est de leur responsabilité de mettre un terme à ce chapitre honteux».

Les députés conservateurs devaient «faire passer leur conscience en premier, faire passer leur pays en premier… et démettre le premier ministre de ses fonctions. Ramener la décence, l’honnêteté et l’intégrité dans notre politique. Et arrêter le dénigrement de toutes les choses que ce pays représente».

Si Starmer insiste sur le fait que le sort de Johnson ne peut être décidé que par les députés conservateurs, c’est parce qu’il est résolument opposé à toute action entreprise en dehors des canaux sécurisés du parlement. En aucun cas, la classe ouvrière ne doit être autorisée à intervenir pour sceller le sort de Johnson et celui d’un gouvernement responsable d’un meurtre social à grande échelle, un gouvernement qui fait partie de ceux qui entraînent tout le monde dans l’abîme d’une guerre mondiale en Ukraine.

Il ne peut y avoir qu’une seule issue à la destitution de Johnson par son propre parti, s’il décide de suivre cette voie afin de préserver ses chances électorales: son remplaçant sera une personnalité encore plus à droite telle que la ministre des Affaires étrangères Liz Truss, ou les candidats à la direction les plus proches de l’armée, notamment Tom Tugendhat, Tobias Ellwood ou le ministre de la Défense, Ben Wallace. Une telle personnalité n’aurait qu’une seule mission: intensifier le rôle de la Grande-Bretagne dans le soutien à l’offensive de guerre américaine contre la Russie et la Chine et intensifier la guerre des classes dans le pays.

L’appel lancé mercredi par Starmer en faveur d’un changement méthodique de direction confirme que les conservateurs et les travaillistes fonctionnent dans les faits comme un seul et même parti d’austérité, d’immunité collective et de guerre. C’est aussi pourquoi il bénéficie du soutien des libéraux bellicistes de la rédaction du Guardian.

Dimanche, l’édition en ligne du Guardiana publié un article de John Harris intitulé «Conservateurs dédiés au bien de la nation: sauvez votre parti de ce vide moral». Selon Harris, «pour tous les conservateurs qui restent véritablement conservateurs, ce devrait être une raison urgente de se débarrasser de leur chef et d’essayer au moins de reconnecter leur parti avec la cohérence, le sens des responsabilités fondamentales qui accompagnent le pouvoir… Si les consciences s’éveillent à nouveau et que quelques députés conservateurs commencent à bouger, le reste d’entre nous devrait les encourager calmement».

Un autre chroniqueur du Guardian, Jonathan Freedland, a prévenu que Johnson devrait partir parce que son poste de premier ministre menaçait la poursuite fructueuse de la guerre. «Les défenseurs de Johnson disent qu’il doit rester en poste à cause de l’Ukraine. En fait, la guerre pour ce pays, et la lutte plus large qu’il en est venu à représenter, rendent d’autant plus urgent son départ».

(Article paru en anglais le 20 avril 2022)

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