Le président sri-lankais Gotabhaya Rajapakse et son gouvernement justifient le fait que la police ait ouvert le feu cette semaine sur des milliers de personnes non armées qui protestaient contre la hausse du prix des carburants. L’attaque de la police, qui s’est produite mardi à Rambukkana, à 90 km au nord-est de Colombo, a tué un manifestant, K.B. Chaminda Lakshan, et en a blessé deux douzaines d’autres.
Les manifestations de Rambukkana ont éclaté suite à des retards dans les livraisons d’essence et de fortes hausses des prix de l’essence et du diesel, annoncées lundi. Mardi, des manifestants ont bloqué les principales autoroutes et une ligne ferroviaire. La police a commencé à lancer des gaz lacrymogènes sur des milliers de manifestants dans l’après-midi, puis a soudainement, sans avertissement, elle ouvert le feu à balles réelles.
Lakshan, 40 ans, père de deux enfants, originaire de Naranbedda, un village situé près de Rambukkana, a été abattu. Il est mort peu après son admission à l’hôpital de Kegalle. Le couvre-feu imposé par la police mardi soir dans toute la région a été levé mercredi matin.
La manifestation de Rambukkana était l’une des nombreuses manifestations anti-gouvernementales auxquelles ont participé des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes et qui ont déferlé sur l’île ces deux dernières semaines. Ces luttes sont une réaction à l’inflation galopante, à la pénurie de produits de première nécessité, notamment d’aliments, de médicaments et de carburant, et aux longues coupures de courant quotidiennes.
Le gouvernement sri-lankais tente d’imposer le fardeau de la crise économique sans précédent produite par la pandémie et la guerre en Ukraine à la classe ouvrière et aux pauvres des villes et des campagnes. Les manifestations nationales exigent la démission immédiate du président Gotabhaya Rajapakse et de son gouvernement. Environ 10.000 personnes se sont rassemblées dans le Galle Face Green de Colombo, principal centre des protestations.
Les funérailles de Lakshan se sont déroulées hier au milieu d’une énorme mobilisation militaire visant à intimider la population. Usant des pouvoirs que lui confère l’Ordonnance sur la sécurité publique, le président Rajapakse a demandé à l’armée de terre, à la marine et à l’armée de l’air d’assister la police et de se coordonner pour «maintenir l’ordre» à Rambukkana et dans les zones adjacentes au district de Kegalle, jusqu’au 23 avril.
Dans un message Twitter mercredi soir, Rajapakse a cyniquement affirmé qu’il était «profondément attristé» par l’incident de Rambukkana, tout en ajoutant: «J’exhorte tous les citoyens à s’abstenir de toute violence lorsqu’ils manifestent».
Le Premier ministre Mahinda Rajapakse s’est lui aussi dit «profondément bouleversé par la tragédie de Rambukkana» et a déclaré qu’il y aurait «une enquête stricte et impartiale». La police, a-t-il ajouté, a «toujours servi le Sri Lanka avec le plus grand honneur». Dans une menace à peine voilée, il a exigé que les manifestants «exercent leur droit civique avec le même respect et le même honneur».
Ces propos suivaient un discours sinistre prononcé la semaine dernière par le Premier ministre où celui-ci «rappelait» aux Sri Lankais comment Colombo avait écrasé les manifestations anti-gouvernementales des années 1980 et avait déployé une force militaire massive contre les séparatistes des LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul) dans une guerre communautaire de plusieurs décennies.
Le ministre de la Sécurité publique, Prasanna Ranatunga, a directement condamné les manifestants de Rambukkana, déclarant au Parlement que la police avait ouvert le feu en «dernier recours». Il a répété les fausses affirmations de la police que des agitateurs avaient tenté de mettre le feu à un camion d’essence, ce qui, selon lui, aurait pu provoquer une catastrophe plus importante.
Le gouvernement Rajapakse a nommé plusieurs comités pour enquêter sur ce qui s’est passé à Rambukkana. L’inspecteur général de la police (IGP) Chandana Wickremaratne a rapidement déclaré qu’il y aurait une enquête de police dirigée par un haut superintendant. Hier, il a annoncé que le Criminal Investigation Departement mènerait lui aussi une enquête.
Le ministère de la Sécurité publique a également nommé une Commission d’enquête indépendante, tandis qu’une autre enquête sera menée par la Commission des droits de l’homme du Sri Lanka, un organisme juridiquement impuissant.
Comme par le passé, ces enquêtes seront une imposture visant à minimiser et à dissimuler les brutalités policières. Si elles ne parviennent pas à cacher la vérité, elles tenteront de trouver un ou plusieurs boucs émissaires.
Le gouvernement se sert de fausses allégations de manifestations violentes ou de blocages des transports par les manifestants pour justifier la mobilisation de l’armée.
Le chef d'état-major des armées, le général Shavendra Silva, a publié une déclaration selon laquelle l'armée et d'autres forces militaires ont été déployées depuis le 20 avril pour « aider à la circulation sans entrave des mouvements de transport », suite à une demande de l'inspecteur général de la police. L'armée assure actuellement la 'protection' des camions-citernes transportant l’essence.
Silva a déclaré que l’armée n’avait «jusqu’à ce jour, causé aucune entrave» aux manifestations anti-gouvernementales. Il a cependant ajouté à tort que «quelques éléments, qui se sont présentés à ces endroits ont été vus ces derniers jours en train de bloquer en particulier les mouvements routiers, causant des désagréments au public, au transport de carburant et à celui des denrées de première nécessité dans diverses zones de l’île».
Dans une déclaration aux médias, Wickremaratne a affirmé que la police avait dû faire usage d’une «force minimale» pour arrêter un groupe qui tentait de mettre le feu à un camion-citerne contenant 30.000 litres de carburant lors de la manifestation de Rambukkana, et éviter des dégâts importants.
À Rambukkana, de nombreux témoins oculaires ont rejeté l’affirmation de Wickremaratne que les manifestants avaient tenté de mettre le feu au camion-citerne et qu’on avaitemployé une «force minimale». Le responsable de la police n’a pas expliqué en quoi l’utilisation de balles réelles constituait une «force minimale». Des informations émergent à présent sur l’attaque brutale de la police contre des personnes non armées.
Le Dr Shenal Fernando, secrétaire de l’Association des médecins gouvernementaux, a déclaré aux médias que des membres de son syndicat avaient révélé que quinze personnes avaient été admises dans les services chirurgicaux de l’hôpital de Kegalle pour des blessures causées par des balles réelles. Trois personnes étaient soignées dans l’unité de soins intensifs (ICU) de l’hôpital, dont un patient dans un état critique.
Parmi les patients en unité de soins intensifs il y avait un homme de 37 ans avec des blessures à l’abdomen, un homme de 40 ans avec des blessures à la poitrine et à l’abdomen et un garçon de 18 ans avec des blessures à l’abdomen.
Un médecin de l’hôpital de Kegalle a déclaré au World Socialist Web Site que tous les patients blessés avaient reçu des balles dans le dos, au-dessus du genou et pendant qu’ils couraient. Lakshan a été admis en situation de réanimation cardio-pulmonaire, c’est-à-dire qu’il était en train de mourir. Il avait travaillé comme cuisinier et gagnait un revenu supplémentaire en livrant du fourrage pour les éléphants domestiques.
Un témoin oculaire de la manifestation de Rambukkana a déclaré que des conducteurs s’étaient rassemblés au centre de distribution de carburant le lundi soir parce que son directeur leur avait dit qu’un camion-citerne arriverait à minuit et que le carburant serait distribué le lendemain matin.
«Il y avait environ 500 véhicules garés des deux côtés de la route à l’extérieur de la station-service», a déclaré ce témoin. Ils avaient commencé à protester en voyant que le camion-citerne n’arrivait pas et le lendemain matin ils avaient bloqué la route principale menant à Kegalle, puis la ligne de chemin de fer.
«Un camion-citerne est arrivé à la station-service vers 10 heures mardi, mais les gens ont découvert qu’il n’y avait pas assez de carburant. Ils ont continué à protester, mais ce n’était pas violent. Dans l’après-midi, la police a commencé à lancer des gaz lacrymogènes, puis elle a commencé à tirer», a-t-il déclaré.
Un autre témoin oculaire a déclaré dans un reportage de la télévision de Colombo que les porte-parole de la police mentaient. Les gens «n’avaient pas d’armes, pas même une lame de rasoir, sans parler de l’attaque du camion-citerne», a-t-il déclaré. La police avait attaqué des manifestants innocents et non armés qui avaient même fourni le déjeuner aux policier, a-t-il ajouté.
«Jour après jour, le gouvernement terrorise les gens», a-t-il déclaré. «Il accuse des personnes innocentes qui sont angoissées et ont fait la queue pendant des jours pour acheter de l’essence ou du diesel».
La violente attaque montée par la police à Rambukkana, une décision prise aux plus hauts échelons du gouvernement Rajapakse, est une claire indication que la répression étatique se prépare à un degré bien plus étendu et bien plus violent.
Afin de défendre ses droits démocratiques et sociaux fondamentaux, dont le droit de manifester, la classe ouvrière a besoin de ses propres organisations démocratiques. C’est pourquoi le PES appelle à la formation de comités d’action, élus démocratiquement et indépendants de tous les partis capitalistes, sur chaque lieu de travail, dans chaque usine et dans chaque quartier ouvrier,.
(Article paru d’abord en anglais le 22 avril 2022)