La grande entreprise sri-lankaise exige un «gouvernement national bipartisan»

La crise du gouvernement sri-lankais s’est aggravée, les grandes entreprises ayant exigé cette semaine des mesures immédiates pour mettre fin aux troubles économiques, sociaux et politiques du pays, notamment la formation d’un gouvernement d’unité nationale.

Des travailleurs du secteur public manifestent à Colombo, le 20 avril 2022 (Photo: WSWS Media)

Le patronat et l’élite financière craignent les implications révolutionnaires du mouvement de protestation de masse qui secoue le pays tandis que des sections importantes de la classe ouvrière se rallient au mouvement exigeant la démission du président Gotabhaya Rajapakse et de son gouvernement. La brutalité avec laquelle la police a tiré sur des manifestants non armés à Rambukkana mardi, tuant un ouvrier pauvre et en en blessant 27 autres, ont enragé les masses davantage.

Mercredi, tous les lobbies des grandes entreprises, dont la Chambre de commerce de Ceylan et la Fédération des chambres de commerce et d’industrie du Sri Lanka, ont écrit au président pour lui demander d’entreprendre immédiatement une action législative qui vise à abroger le 20e amendement de la Constitution, affirmant qu’il «a contribué à la situation actuelle».

Le 20e amendement, promulgué en octobre 2020, a rétabli tous les pouvoirs draconiens de la présidence exécutive et, entre autres, a transformé le Parlement en une simple chambre où les décisions sont approuvées sans discussion.

Les chambres des grandes entreprises ont exprimé la crainte «que l’impasse politique actuelle, associée à une agitation publique croissante, ne fasse dérailler les actions entreprises pour résoudre la grave crise économique» du pays. L’abrogation du 20e amendement devait être associée à une «approche consensuelle».

La lettre indique: «Nous recommandons la mise en place d’un gouvernement national bipartite… pour sortir de la crise économique actuelle» et «résoudre les problèmes liés au carburant, à l’électricité, au gaz et aux autres éléments cruciaux de la chaîne d’approvisionnement».

Les grands conglomérats sri-lankais Brandix, MAS, Hemas, Dialog, Dilmah, John Keels ont écrit vendredi séparément au président pour lui demander «des changements rapides pour [établir] un bon système de gouvernement».

L’intervention directe et sans précédent des grandes entreprises n’est pas due au fait qu’elles se soucient un tant soit peu du sort des travailleurs. L’élite patronale et financière a amassé d’énormes profits pendant la pandémie de COVID-19 tout en insistant sur une politique d’immunité collective qui a permis au virus de ravager l’île.

Des travailleurs portuaires défilent dans le Fort de Colombo, le 20 avril 2022 (Photo: WSWS Media)

La classe dirigeante craint que, si les manifestations ne prennent pas fin rapidement, un mouvement politique beaucoup plus large n’éclate une fois que les pourparlers en cours avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un plan de sauvetage seront terminés et révéleront l’ampleur des mesures d’austérité requises.

Dans ses discussions avec le Sri Lanka, le FMI a exigé des «garanties adéquates» que les dettes du pays peuvent être remises sur une trajectoire durable. Cela implique, entre autres, des réductions importantes des dépenses publiques, une augmentation des impôts et une vaste restructuration des entreprises d’État.

Rajapakse sait que de telles mesures ne peuvent être mises en œuvre de manière pacifique. Tant le président que son frère, le premier ministre Mahinda Rajapakse, ont imputé aux manifestants la responsabilité de la fusillade policière mardi à Rambukkana. Vendredi, le président a renouvelé son ordre aux militaires de maintenir l’ordre public dans 25 districts du pays.

Cependant, les manifestations de masse contre le régime Rajapakse se poursuivent depuis plus de deux semaines, motivées par l’inflation galopante, les pénuries de nourriture, de médicaments et d’autres produits essentiels, tels que le carburant et l’électricité, et elles s’amplifient.

Les travailleurs participent aux protestations à titre individuel. Cependant, ils font maintenant pression pour une action industrielle en vue d’une augmentation des salaires et d’autres mesures qui visent à atténuer la catastrophe sociale à laquelle ils font face.

Manifestation des employés de banque, le 20 avril 2022 (Photo: WSWS Media)

Pour détourner la vague de fond de l’opposition, les syndicats ont été contraints d’appeler à des manifestations et des grèves limitées.

Mardi, des dizaines de milliers de travailleurs ont pris part à des manifestations de protestation à Colombo et dans d’autres grandes villes. Ils ont exigé une augmentation immédiate des salaires, la fin des pénuries et une réduction des prix, et ont qualifié les négociations avec le FMI de piège.

Environ 1.500 travailleurs, y compris des enseignants, des employés de la santé, des dockers, des travailleurs de l’électricité, des télécommunications et de la poste, ont manifesté devant la gare ferroviaire de Fort. Le même jour, les enseignants de toutes les universités se sont mis en grève et des milliers de personnes ont défilé à Colombo pour s’opposer au gouvernement.

Jeudi, environ 150 travailleurs des plantations du domaine de Gartmore ont organisé une manifestation et ont marché jusqu’à la ville voisine de Maskeliya. Ils ont scandé des slogans contre les tirs de la police à Rambukkana et les hausses de prix considérables. La veille, les travailleurs de Maskeliya Alton Estate ont organisé une manifestation similaire, tandis que vendredi, les travailleurs d’Agarapatana ont mené une action de protestation.

Le 25 avril, les enseignants des écoles publiques s’engageront dans un débrayage-maladie d’une journée afin de s’opposer à la flambée insupportable du prix du carburant et aux pénuries. Les mêmes syndicats qui ont organisé les grandes manifestations de mardi ont annoncé la tenue d’une grève générale d’une journée le 28 avril, à laquelle participeront jusqu’à un million de travailleurs.

Loin de chercher à construire le mouvement d’opposition au gouvernement, les syndicats cherchent à contenir la colère des travailleurs. Les syndicats qui ont appelé aux dernières manifestations ont trahi toutes les luttes qui ont éclaté au cours de l’année écoulée, permettant au gouvernement d’imposer le fardeau de l’aggravation de la crise économique aux travailleurs et aux pauvres.

Des travailleurs de Gartmore Estate défilent, le 20 avril 2022 (Photo: WSWS Media)

Ayant perdu la confiance des grandes entreprises, la coalition au pouvoir est en train de sombrer davantage dans le désarroi. Vendredi, le ministre des médias nouvellement nommé, Nalaka Godahewa, a présenté sa démission et a demandé un gouvernement provisoire. Le président Rajapakse a refusé d’accepter cette démission.

Treize parlementaires du parti au pouvoir ont rencontré cette semaine le président et ont demandé la mise en place d’un gouvernement intérimaire dirigé par un nouveau premier ministre. Lors d’une réunion des députés du gouvernement, le premier ministre Mahinda Rajapakse, frère du président, a insisté sur le fait que le gouvernement actuel allait se poursuivre et tenter de trouver des solutions à la crise économique.

Les partis d’opposition – le Samagi Jana Balavegaya (SJB) et le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) – cherchent aussi désespérément à maîtriser le mouvement de protestation de masse. Dans une tentative d’exploiter l’opposition populaire, le chef du SJB, Sajith Premadasa, a soumis jeudi au président du Parlement des propositions qui visent à abolir la présidence exécutive. Cependant, son adjoint, l’ancien commandant de l’armée, Sarath Fonseka, a déclaré aux médias que l’abolition de la présidence exécutive ne résoudrait rien.

Le JVP a terminé sa marche de trois jours à Colombo, à laquelle ont participé des milliers de personnes. Les intervenants du JVP se sont adressés à la foule, demandant le départ du gouvernement Rajapakse, mais n’ont pas expliqué ce que le parti proposait ensuite. Au cours du mois dernier, le JVP a fait campagne pour un «gouvernement intérimaire» et de nouvelles élections. Tout gouvernement qui implique le SJB et le JVP imposerait, comme le gouvernement actuel, le programme d’austérité du FMI aux travailleurs.

Le Parti de l’égalité socialiste (PES) prévient que le régime Rajapakse, bien qu’affaibli, ne reculera devant rien, y compris devant des mesures brutales d’État policier, pour imposer les diktats du FMI. C’est pourquoi le PES exige l’abolition immédiate et complète de la présidence exécutive et de toutes les lois antidémocratiques qui ont été utilisées à maintes reprises contre les travailleurs.

La classe ouvrière a besoin de ses propres organisations pour lutter et défendre ses droits démocratiques et sociaux fondamentaux. Non seulement les syndicats limitent la lutte des travailleurs, mais ils tentent de les lier à l’appel du SJB et du JVP en faveur d’un «gouvernement provisoire», conformément à ce que les grandes entreprises exigent.

Le PES appelle à la création de comités d’action par les travailleurs sur chaque lieu de travail, dans chaque usine et dans chaque quartier, élus démocratiquement et indépendants des syndicats et de tous les partis capitalistes.

Ces comités d’action peuvent rallier d’autres opprimés et pauvres qui entrent en lutte et cherchent une solution à la calamité sociale à laquelle ils font face. Dans cette lutte, les travailleurs peuvent se tourner vers leurs frères et sœurs de classe dans tous les pays qui font face à un désastre social similaire.

Le PES propose une solution socialiste à la crise. Cela implique la nationalisation de tous les grands domaines, des grandes entreprises et des banques sous le contrôle des travailleurs et la réorganisation de l’économie au profit de la majorité de la société et non de quelques riches. La création de comités d’action jette les bases d’une lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan qui mettra en œuvre ce programme socialiste.

Nous invitons les travailleurs et les jeunes à rejoindre le PES et à lutter pour ce programme d’action socialiste.

(Article paru en anglais le 23 avril 2022)

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