Samedi, plus de 500 personnes ont assisté aux funérailles de Chaminda Lakshan, tué par balle par la police sri-lankaise lors d’une manifestation de masse à Rambukkana, à 90 kilomètres au nord-est de Colombo, mardi dernier. Les funérailles ont eu lieu à Naranbedda Hiriwadunna (Rambukkana), près de Karandagasthanne, le village natal de Lakshan.
Lakshan était le seul soutien de sa famille, qui comprend sa femme Priyanganee, sa fille Piyumi Upeksha, son fils Thanusha et sa belle-mère. Des milliers de personnes indignées de la région se sont rendues à son domicile après qu’on y eut transporté son corps depuis l’hôpital de Kegalle, vendredi.
Lakshan, âgé de 40 ans, a été abattu par la police qui a ouvert le feu sur des personnes non armées à Rambukkana. Celles-ci protestaient contre les retards dans les livraison d’essence et la forte hausse du prix de l’essence et du diesel annoncées la veille. La police a réagi avec brutalité lorsque des manifestants ont bloqué les principales routes et une voie ferrée. Elle a d’abord attaqué avec des gaz lacrymogènes, puis soudainement, sans aucun avertissement, a ouvert le feu et tiré à balles réelles.
La manifestation de Rambukkana fait partie des manifestations de masse en cours dans tout le pays, auxquelles participent des centaines de milliers de travailleurs qui exigent la démission du président Gotabhaya Rajapakse et de son gouvernement. Elles se poursuivent depuis trois semaines et ont été déclenchées par la montée en flèche de l’inflation, la pénurie des produits de première nécessité, notamment de la nourriture, des médicaments et du carburant, et les coupures de courant quotidiennes.
Le lendemain de la fusillade, le Président, Gotabhaya Rajapakse et son frère aîné, le Premier ministre Mahinda Rajapakse, ont publié des messages sur Twitter accusant les manifestants d’être responsables de la violence et justifiant l’attaque brutale de la police.
Le Président Rajapakse a ensuite ordonné le déploiement à Rambukkana et dans les zones de police adjacentes, de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air, du 21 au 23 avril. Cela était selon lui nécessaire pour aider la police à «maintenir l’ordre public». Bien qu’ils ne soient pas ouvertement visibles, les militaires sont en attente dans plusieurs endroits proches, prêts à une mobilisation immédiate. Ce déploiement de l’armée par Rajapakse est une tentative scandaleuse d’intimider les habitants de la région et de tout le pays.
Priyanganee, l’épouse de Lakshan, a expliqué au WSWS qu’on lui a dit que son mari avait été blessé par balle et emmené à l’hôpital de Kegalle. Elle s’y est rapidement rendue mais ne l’a pas trouvé et est donc rentrée chez elle. Elle n’apprit que plus tard que son mari était déjà mort.
«La nuit du jour où l’incident s’est produit, environ 20 soldats armés sont venus ici. J’ai demandé pourquoi ils étaient venus [chez nous]. Ils ont dit qu’ils voulaient m’aider et me fournir de la nourriture. Ils ont installé des tentes. Mais plus tard, j’ai compris que je ne voulais pas de leur soutien et que ça pouvait être une sorte de plan visant à fournir certaines choses afin de supprimer cette affaire», a-t-elle déclaré.
«Le lendemain, je leur ai dit de partir et ils sont partis. Ils venaient du camp militaire de Beragala [situé près de Kegalle]. Je ne veux pas que ce [type de meurtre] se reproduise [dans ce pays]», a-t-elle déclaré.
Priyangika a déclaré qu’elle s’était adressée aux tribunaux pour une enquête magistrale le 21 avril et que 107 avocats avaient comparu en son nom.
Karandagasthanne est un village pauvre comptant une cinquantaine de familles. La plupart des maisons n’ont que deux ou trois petites pièces, une véranda et une cuisine. Les villageois ont reçu un quart d’hectare de terrain en 1981 de la part du gouvernement. Les habitants sont principalement de petits agriculteurs, des travailleurs journaliers qui font des petits boulots et quelques travailleurs du secteur public. La plupart des jeunes du village sont au chômage. Les hôpitaux les plus proches sont ceux de Rambukkana et de Kegalle, respectivement à 5 et 10 kilomètres, et l’école primaire la plus proche se trouve à Halpitiya, un village voisin.
Eranda Chinthaka a déclaré au WSWS que la direction de la station-service avait refusé de fournir du carburant aux gens au prix de la veille, alors qu’ils avaient fait la queue toute la nuit. Il avait fait la queue devant la station-service pour essayer d’obtenir du carburant pour sa camionnette le jour où la police a ouvert le feu.
«Le gouvernement ne se préoccupe pas du peuple», a-t-il dit. «Les gens ont bloqué les routes et donc les officiers de la police ont peut-être planifié des mesures pour casser cette action. On a fait intervenir la police anti-émeute, plus de 500 policiers, mais notre foule n’a rien fait. Soudain, la police a commencé à attaquer avec des gaz lacrymogènes. Cela s’est passé entre 4h30 et 5h du soir. Après avoir vu du sang, notre foule a paniqué, s’est mise en colère et a également jeté des pierres. Puis ils [la police] ont continué à tirer, blessant une vingtaine de personnes».
Chinthaka, qui a 40 ans et vit à Kiriwallapitiya, travaillait auparavant comme guide touristique. Il a perdu son emploi après que la pandémie de COVID-19 eut entraîné l’effondrement de l’industrie touristique du pays. Il gagne maintenant sa vie en conduisant une camionnette de location. Les habitants de son village dépendent de la culture des rizières, dit-il, et ont été gravement touchés par l’interdiction des importations d’engrais par le gouvernement Rajapakse. Le gouvernement a détruit les moyens de subsistance des villageois, a-t-il ajouté.
Indrani Swarnalatha, 57 ans, qui vit dans le village de Gabbala dans la zone de Rambukkana, a été témoin de la répression policière contre les manifestants mardi dernier. Elle est venue dans la ville de Rambukkana ce matin-là après qu’elle eut entendu parler de la manifestation.
«Nous scandions des slogans pour exiger une réduction du prix du carburant et la fourniture de carburant au prix précédent. Dans la soirée, alors que nous manifestions, une lumière vive est soudainement apparue et quelque chose comme un brouillard est arrivé. C’était du gaz lacrymogène. Cela m’a aussi affecté les yeux, et je me suis enfui avec d’autres. C’était vers 5 heures du soir. J’ai lavé mes yeux et je suis revenue», a déclaré Indrani.
«Soudain, des tirs ont commencé, puis on a entendu d’autres bruits de tirs. J’ai vu quatre personnes blessées, amenées et mises dans un véhicule. Il n’y avait pas d’autres véhicules pour transporter d’autres blessés et on l’a donc transporté sur une moto».
«Les gens n’ont rien cassé. Un camion-citerne était là mais les gens ont dit qu’il ne fallait pas l’endommager. Si le camion-citerne avait subi des dégâts, cela aurait touché le conducteur qui est aussi un homme pauvre», a-t-elle déclaré.
Indrani a deux enfants, dont l’un est marié. Son mari est décédé, elle fait des travaux occasionnels pour gagner sa vie. Expliquant ses difficultés, elle dit: «Maintenant, il y a moins de travail et c’est donc difficile de vivre. Je gagne 1.000 roupies par jour, mais ma maison n’est pas en bon état. Je ne reçois pas le fonds Samurdhi [un programme gouvernemental d’aide sociale pour les pauvres]».
Une enquête judiciaire officielle a été ouverte sur les tirs de la police sur les manifestants, et sur la mort de Lakshan. Dans son témoignage, le commissaire principal de police Keerthiratne a déclaré qu’il avait donné l’ordre aux policiers de tirer en l’air si la situation devenait incontrôlable. Il a affirmé que les troubles s’étaient intensifiés et que suite à la tentative des manifestant de mettre le feu au camion d’essence, il avait ordonné aux policiers d’ouvrir le feu mais de viser en-dessous du genou. Il n’a pas expliqué pourquoi toutes les personnes blessées avaient des blessures au-dessus des genoux.
L’Association du barreau du Sri Lanka (SLBA) a écrit à l’inspecteur général de la police (IGP) Chandana Wickremaratne, à la Commission des droits de l’homme et à l’Autorité nationale pour la protection des victimes de crimes et des témoins, se plaignant du fait que les civils blessés dans les hôpitaux de Kegalle, et d’autres témoins, avaient peur d’être intimidés par les policiers. La SLBA a demandé à toutes ces institutions d’intervenir et de défendre les témoins.
Le gouvernement et la police ont nommé plusieurs commissions pour enquêter sur la fusillade de Rambukkana. Le président Rajapakse et son frère, le Premier ministre, ont déjà justifié la violence policière et blâmé les manifestants. Alors que la crise politique et économique s’aggrave, ils vont intensifier les attaques de la police et la répression de l’État.
(Article paru d’abord en anglais le 25 avril 2022)