Explosion des luttes de la classe ouvrière au Pérou

Les manifestions qui se déroulent depuis des semaines au Pérou se sont étendues la semaine dernière à de nombreux autres secteurs de la classe ouvrière péruvienne à travers tout le pays, tant urbaine que rurale, y compris parmi les travailleurs agricoles et les mineurs.

L’agitation a commencé le 28 mars, lorsque les camionneurs ont entamé une grève nationale, bloquant les routes dans tout le pays pendant deux semaines. Leur principale revendication était l’obtention d’un allègement de la hausse de 37 % du prix du carburant provoquée par la guerre en Ukraine.

Cette grève a entraîné une vague de manifestations contre l’inflation parmi les travailleurs agricoles, les travailleurs des services d’autobus urbains, les chauffeurs de taxi et autres, principalement dans la région de la capitale, Lima.

Le président Pedro Castillo a fait appel à l’armée pour dégager les routes et imposer un couvre-feu. Des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues du centre-ville de Lima pour protester contre cette mesure. Castillo a dû rapidement faire marche arrière pour éviter de déclencher de nouveaux troubles.

Le président Pedro Castillo s’exprimant lors de la cérémonie du 22 avril, marquant le 25eanniversaire de l’assaut contre l’ambassade du Japon par l’armée, au cours duquel 14 guérilleros de gauche ont été massacrés. (Crédit: ANDINA)

La semaine dernière, des manifestations ont éclaté dans tout le pays en raison de la flambée des prix des engrais et de l’essence. «Le Pérou est un baril de poudre sur le point d’exploser», a déclaré le journal de droite Expreso.

Des milliers de personnes ont participé à une grève générale de deux jours dans la région de Cuzco, au sud-est du pays. Les manifestants ont bloqué les routes avec des pierres et des pneus en feu.

Le train touristique menant aux célèbres ruines incas du Machu Picchu – un secteur économique vital dans la région – a cessé de fonctionner, obligeant de nombreux touristes à annuler leur voyage.

Les organisateurs de l’arrêt de travail à Cuzco, la Fédération agraire révolutionnaire Tupac Amaru de Cuzco (Fartac), menaçaient de reprendre la grève le lundi 25 avril. Mais la population de Cuzco s’est remise en grève encore plus tôt, dès le vendredi 23 avril, lorsque Castillo s’est précipité dans la ville pour tenir une réunion improvisée du cabinet visant à calmer l’agitation.

Avec la présence de millions de personnes dans les Andes péruviennes appauvries qui n’ont pas les moyens de nourrir leurs familles, la grève de Cuzco s’est rapidement étendue à d’autres villes.

À Ayacucho, une grève de 24 heures a eu lieu. Des piquets de grève et des barrages routiers ont perturbé le transit dans la ville de Juliaca, un centre de commerce reliant la Bolivie à Cuzco, et à Arequipa, la deuxième plus grande ville et centre industriel du Pérou.

Les agriculteurs ont manifesté à Huancayo, qui a été le centre de violentes manifestations il y a deux semaines et où siège le parti nationaliste de «gauche», Perú Libre, qui a porté Pedro Castillo au pouvoir.

De même, dans la région d’Ancash, dans le nord du Pérou, des agriculteurs ont bloqué le pont de Parco, qui relie la côte au Callejón de Huaylas, une vallée inter-andine du centre-nord du pays.

L’agitation générale s’est également poursuivie parmi les mineurs péruviens et dans les communautés minières.

Le 14 avril, des membres de la communauté de Fuerabamba, située dans le département minier andin de Huancavelica, ont envahi le site du mégaprojet minier Las Bambas, une propriété chinoise qui est le troisième producteur de cuivre du pays. Les comuneros affirment depuis longtemps que la route qui traverse leurs terres et est empruntée par les camions chargés de minerai de cuivre pollue l’air et endommage les cultures et le bétail.

En réponse, Las Bambas a annoncé qu’elle cesserait de produire du cuivre. Le président Castillo s’est alors résolu à envoyer l’armée contre les manifestants.

Les manifestations des communautés environnantes, pour la plupart autochtones et réclamant une compensation financière et une part des bénéfices futurs, qui ont entraîné la fermeture de la mine Cuajone de Southern Copper Corp. depuis fin février, n’ont pris fin qu’après que le gouvernement ait déclaré l’état d’urgence la semaine dernière et envoyé les soldats.

Selon El Comercio, des «comités de lutte» ont été formés dans 15 régions du Pérou, ce qui indique que la lutte des classes et les manifestations vont s’intensifier, tout comme, inévitablement, les affrontements avec la police et l’armée.

Les Péruviens sont au bout du rouleau dans le contexte de la pire crise économique depuis deux décennies. Cette crise fait suite à plus de deux ans de pandémie qui, à ce jour, a coûté la vie à 212.486 personnes, soit le deuxième taux de mortalité par habitant le plus élevé au monde.

La flambée des prix des denrées alimentaires et des carburants risque de dégénérer en une véritable crise de la faim, notamment en raison d’une pénurie d’engrais.

L’industrie agricole péruvienne est confrontée à un déficit de 180.000 tonnes d’urée, un engrais azoté essentiel, et la production de produits de base tels que le riz, les pommes de terre et le maïs devrait chuter de 40% si aucune solution n’est trouvée dans les mois à venir, selon Eduardo Zegarra, économiste agraire et chercheur au groupe de réflexion GRADE.

Les prix mondiaux des engrais ont bondi après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a fait grimper le coût du gaz naturel, principal intrant de la plupart des engrais azotés, obligeant les producteurs européens à réduire leur production. Les sanctions prises à l’encontre de la Russie, qui est l’un des principaux expéditeurs à bas prix de tous les principaux types de nutriments agricoles, perturbent le commerce mondial. L’an dernier, la Russie a fourni 70% des engrais du Pérou.

L’économie péruvienne continuera de se contracter au cours des prochains mois. Selon l’Institut péruvien d’économie (IPE), les investissements privés vont chuter de 6 à 8%. Et 61% des citoyens auront des difficultés à payer leurs intérêts.

L’exonération de l’ISC (impôt sélectif sur la consommation) par le gouvernement sur le carburant et de l’IGV (impôt général sur les ventes) sur le «panier familial» et autres denrées alimentaires profite principalement aux ménages des deux quintiles de revenus les plus élevés, plutôt qu’à la masse des travailleurs et des paysans.

En ce qui concerne les familles péruviennes les plus pauvres, le quotidien La Repúblicarapporte que «les pots communs [organisations de groupes de survie parmi les Péruviens les plus pauvres] luttent contre la hausse des prix des aliments. Se procurer du sucre, de l’huile, des légumes et de la viande est devenu une odyssée pour les dirigeants de ces organisations.»

Pour compenser la perte de revenus, depuis les premiers mois de la pandémie, les familles ont épuisé les économies de leurs fonds de pension pour payer le loyer, l’école, la nourriture, le transport et d’autres biens et services essentiels. En conséquence, les actifs des fonds de pension du pays ont chuté d’environ un tiers.

L’impact de l’inflation ne devrait que s’aggraver. Au cours des 12 derniers mois, elle a atteint 7,45%. Pour juguler l’inflation, la Banque du Pérou a augmenté le taux d’intérêt de référence de 50 points de base (0,5%), ce qui a pour effet d’augmenter le coût des emprunts. Cette mesure affectera particulièrement les micros et petites entreprises (mypes), qui sont les principaux générateurs d’emplois dans un pays où le travail informel atteint 76%.

La réponse populaire aux scandales de corruption, à l’incapacité évidente du gouvernement bourgeois de Pedro Castillo à faire face à la crise et à ses récents contacts avec des éléments d’extrême droite s’exprime dans les sondages les plus récents. Selon l’institut de sondage Ipsos, le taux d’approbation de Castillo est tombé à 19%, et celui de la présidente du Congrès, Maria del Carmen Alva, du parti de centre-droit Acción Popular, à 15%. De plus, 63% des personnes interrogées ont déclaré que Castillo devait démissionner. Le principal journal de la bourgeoisie, El Comercio, a claironné: «Rejet massif de Pedro Castillo».

Mais le slogan populaire «Mettons-lestous dehors!» reflète le rejet de l’ensemble des structures gouvernementales bourgeoises.

En fait, les appels à la démission de Castillo sont très répandus. Selon le Financial Times, beaucoup de gens «souhaitent qu’il tienne ses promesses de campagne, à savoir l’élection d’une assemblée constituante chargée d’élaborer une nouvelle constitution, la nationalisation de l’industrie gazière et la mise en œuvre d’une réforme agraire», une plate-forme que la droite péruvienne a qualifiée l’année dernière de «communiste».

Désespéré par la désapprobation massive à laquelle il fait face, Castillo a déclaré, lors de la réunion du cabinet vendredi à Cuzco, qu’il déposerait un projet de loi au Congrès afin de placer un référendum sur le bulletin de vote des élections régionales en octobre pour rédiger une nouvelle constitution. Castillo sait pertinemment que le Congrès ne sera pas d’accord et cette mesure n’est qu’un coup monté pour apaiser l’inquiétude populaire. Lors de la réunion, le ministre des Mines, Carlos Palacios, a parlé d’une baisse des prix contractuels dans les gisements géants de gaz naturel de Camisea au Pérou, ce qui n’était rien d’autre que du blabla.

La réalité est que l’ensemble de la classe capitaliste péruvienne est confronté à une crise du pouvoir. Elle est incapable de proposer des réformes significatives.

L’année dernière, la pseudo-gauche, notamment des publications comme Jacobinet Counterpunch, présentait Castillo comme le candidat d’un parti «marxiste», le chevalier revêtu d’une armure brillante du renouveau de la gauche. Mais après neuf mois au pouvoir, il n’a toujours rien fait pour défier les intérêts de la bourgeoisie nationale et du capital international. Le désastre était si évident qu’à la fin de l’année, la pseudo-gauche ne prenait même plus la peine d’écrire sur lui.

D’autres groupes dits de «gauche» au Pérou sont tellement décrépits et en faillite politiquement parlant qu’ils n’offrent qu’une impasse aux masses péruviennes. Les appels à la mobilisation du 7 avril lancés par la Confédération générale des travailleurs (CGTP), contrôlée par le Parti communiste stalinien, et par le Syndicat unique des travailleurs de l’éducation du Pérou (SUTEP), de tendance maoïste, sont passés inaperçus.

Il en va de même des collectifs et organisations qui mènent diverses luttes ouvrières – comme Fartac à Cuzco. Ceux-ci ne cherchent qu’à trouver un arrangement avec le gouvernement. Nombre de ces groupes ont l’habitude de travailler avec des entreprises transnationales et de s’en mettre plein les poches.

Ce qu’il faut, c’est avancer un programme d’action socialiste pour que la classe ouvrière défende ses droits sociaux et démocratiques, unifie tous les secteurs de la classe ouvrière urbaine et rurale et démantèle l’État bourgeois pourri pour le remplacer par un nouvel État ouvrier.

Pour mener une révolution socialiste, il faut une direction révolutionnaire. La classe ouvrière doit construire son propre parti révolutionnaire sur la base des leçons de l’histoire de ses luttes révolutionnaires. Cela signifie construire une section du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 25 avril 2022)

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