Mercredi dernier, Susanne Hennig-Wellsow a renoncé à son rôle à la tête du parti Die Linke (Parti de gauche) avec effet immédiat. Cela ne faisait que 14 mois qu'elle et Janine Wissler, avaient été élues à la tête du parti. Wissler doit maintenant assumer seule la direction de l’organisation jusqu'à ce qu'une nouvelle direction soit élue en juin.
La démission de Hennig-Wellsow n'est que le dernier chapitre de la rapide désintégration du Parti de gauche. Aux élections fédérales de septembre dernier, il a perdu près de la moitié de son pourcentage de voix précédent et a raté la barre des 5 pour cent requise pour être représenté au Bundestag (parlement). Qu’il y soit quand même présent avec trois députés est uniquement du au fait que ceux-ci ont été élus par mandats directs [chaque électeur ayant deux voix]. À présent, les sondages situent le parti à 4 pour cent à l'échelle nationale.
Fin mars, le Parti de gauche a chuté de 12,8 à 2,6 pour cent aux élections régionales de la Sarre. Oskar Lafontaine, qui avait co-fondé le parti en 2007 et avait dernièrement dirigé le groupe parlementaire du Land de la Sarre, avait quitté le parti peu de temps avant.
Comme c'est toujours le cas avec les partis qui pourrissent de l’interieur, les problèmes politiques qui sous-tendent leur déclin ne sont pas discutés ouvertement. Au lieu de cela, les tensions et les guerres de factions qui accompagnent inévitablement la décadence sont réglées à travers des événements mineurs – scandales, affaires et accusations personnelles.
C’est aussi le cas avec la démission de Hennig-Wellsow. Elle commence sa déclaration de démission par une longue lamentation sur la crise du parti, sans être une seule fois concrète, puis décoche à ses rivaux une volée de flèches empoisonnées.
« Nous n'avons pas pu tenir la promesse de faire partie d'un changement de politique en raison de notre propre faiblesse », déclare-t-elle. « Nous avons réalisé trop peu de ce que nous avions promis. Aucun véritable nouveau départ ne s'est concrétisé. Des excuses sont dues, des excuses à nos électeurs dont nous avons déçu les espoirs et les attentes. »
Et d’ajouter: « Un renouveau programmatique, stratégique et culturel de la gauche est nécessaire, comme nous le savons depuis des années. J'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour y contribuer. Mais nous n’avons pas encore autant progressé dans cette voie qu’il aurait été nécessaire à mon avis. Nous avons trahi la confiance placée en nous... »
Hennig-Wellsow cite trois raisons à sa démission : sa situation dans la vie privée, les difficultés politiques de ces derniers mois – « le renouveau a besoin de nouveaux visages pour être crédible » – et la « gestion du sexisme dans nos propres rangs ».
Les deuxième et troisième motifs visent les rivaux internes du parti, en particulier la coprésidente Janine Wissler. L'hebdomadaire influent Der Spiegel a publié vendredi dernier un long article sur les allégations d'agressions sexuelles dans le parti du Land de Hesse, où Wissler a joué un rôle de premier plan pendant des années. Dans ce document, le compagnon d’alors de Wissler est accusé d'agression sexuelle et Wissler elle-même de l'avoir dissimulé.
Bien qu'une déclaration du parti ait assuré à Wissler qu'elle s'était comportée de manière politiquement correcte, les accusations de sexisme ont depuis été amplifiées – en particulier au sein de l'organisation de jeunesse Solid, associée au Parti de gauche – dans une campagne interne style #MeToo. Seule une enquête indépendante peut jeter de la lumière sur ces accusations. Dans tous les cas, les accusations de sexisme ne sont pas la cause, mais seulement un moyen de lutte dans cette foire d’empoigne au sein du parti.
La véritable cause de la crise et du déclin du Parti de gauche est sa politique de droite. L'aggravation de la crise sociale à la suite de la pandémie et de l'inflation, ainsi que la guerre en Ukraine, ont rendu impossible de dissimuler sa politique de droite avec des phrases de gauche. Quiconque a voté pour le Parti de gauche croyant à tort qu'il s'agissait d'une alternative de gauche se détourne de lui.
L'affirmation que le Parti de gauche et son prédécesseur, le PDS, sont de gauche, anti-capitalistes ou socialistes a toujours été une fraude. Issu du parti d'État stalinien d'Allemagne de l'Est, le PDS a d'abord servi de mur des lamentations à tous ceux qui s’étaient vus lésés dans la réunification allemande, que le PDS lui-même avait soutenue. Mais plus il était nécessaire pour apaiser les tensions sociales à l'Est, plus il professait ouvertement son soutien aux coupes sociales et à l’État policier.
En 2007, des sociaux-démocrates renégats et des bureaucrates syndicaux de l'Ouest, qui craignaient que le Parti social-démocrate (SPD) ne puisse plus contrôler la lutte des classes en raison de son Agenda 2010 d’appauvrissement de masse, se sont unis au PDS pour former le Parti de gauche. Plusieurs groupes de la pseudo-gauche qui menaient auparavant une maigre existence dans la mouvance du SPD et des syndicats ont également rejoint le nouveau parti, ce qui leur a offert des carrières politiques lucratives. Parmi eux se trouvait Janine Wissler, qui avait été membre du groupe Marx21, proche de la Tendance socialiste internationale, et de ses prédécesseurs pendant deux décennies.
Dans les Länder fédéraux où il était au pouvoir, le Parti de gauche a réduit les dépenses sociales aussi brutalement que n'importe quel autre parti, a expulsé des réfugiés et renforcé la police. Dans le Land de Thuringe, le parti occupe le poste de Ministre-président depuis sept ans.
Avec la guerre en Ukraine, le Parti de gauche laisse tomber sa dernière feuille de vigne: son renoncement nominal au militarisme et à l'OTAN, qui n'a jamais été qu'un discours pour la forme sans conséquences pratiques.
Gregor Gysi, membre fondateur et dirigeant de longue date du PDS et du Parti de gauche, a tenté dès février de gagner du soutien pour le programme de réarmement de 100 milliards d'euros du gouvernement fédéral allemand. Gysi a accusé les députés de Die Linke qui s'y opposaient : « Vous n'êtes intéressé qu'à sauver votre ancienne idéologie sous tous les rapports. L'OTAN est le mal, les États-Unis sont le mal, le gouvernement fédéral est le mal, et c'est tout ce qui compte pour vous. »
Hennig-Wellsow a immédiatement soutenu Gysi. Dans une contribution écrite, elle a appelé à « l'autocritique ». L'attaque russe contre l'Ukraine avait montré « à quel point nos propres illusions étaient grandes » qui avaient conduit à des « erreurs de jugement dévastatrices ». On ne peut pas « s'accrocher à des 'vérités' qui ont été écrasées par des chars et des missiles ».
Même s'il n'était pas facile de « réconcilier le désir de paix et la volonté de défendre », a déclaré Hennig-Wellsow, le parti devait renforcer sa « propre conception de 'potentiels défensifs' ». L'appel à la « dissolution de l'OTAN et son remplacement par un système de sécurité collective avec la participation de la Russie », qui est toujours au programme actuel du parti, devait également être remis en question, a-t-elle dit.
Hennig-Wellsow, fille d'un policier est-allemand repris par la police ouest-allemande après la réunification, était le bras droit du Premier ministre Bodo Ramelow comme cheffe du parti et du groupe parlementaire de Thuringe avant de déménager à Berlin l'année dernière. Elle fait partie de ces représentants du Parti de gauche particulièrement soucieux de prouver leur « capacité à gouverner », c'est-à-dire leur loyauté sans réserve à l'ordre capitaliste.
Elle a à présent démissionné, exaspérée, mais sa politique de guerre est devenue la politique officielle du Parti de gauche, s'inscrivant parfaitement dans la propagande de guerre d’une OTAN qui inonde l'Ukraine d'armes, mène une guerre par procuration contre la Russie et risque une troisième guerre mondiale nucléaire.
Le 6 mars, lors d'un récent débat général au Bundestag, le chef du groupe parlementaire de Die Linke, Dietmar Bartsch, a explicitement soutenu le gouvernement allemand, qui fournit en grande quantité des armes à l'Ukraine, et a appelé à l'unité de «l'Occident», c'est-à-dire de l'OTAN.
« Je veux le dire clairement : la responsabilité de la guerre et des crimes incombe à la Russie, à personne en Allemagne », a-t-il déclaré, appelant tous les autres partis à s'unir: « Ceux qui essaient d'instrumentaliser la guerre en Ukraine pour les raisons politiques partisanes ne contribuent pas à mettre fin à la guerre, mais font le jeu de la propagande russe, d'un Occident divisé. »
Dans la mesure où Bartsch a critiqué le gouvernement allemand, il l’a fait par la droite. « Pourquoi l'Allemagne n'applique-t-elle pas les sanctions contre les oligarques russes ? » a-t-il demandé ; la Belgique, la France et l'Italie avaient réussi à geler des sommes d’argent bien plus élevées.
Dans une vidéo publiée par Die Welt, Bartsch a préconisé l'arrêt des importations d'énergie en provenance de Russie, ce que même le gouvernement au pouvoir a jusqu'à présent rejeté par crainte de conséquences économiques dévastatrices. C'est une « situation insensée », a-t-il dit. « Nous finançons cette guerre. Nous transférons chaque jour des centaines de millions dans le trésor de guerre de Poutine. »
Il n'y a pas d'opposition sérieuse à cette politique de guerre au sein du Parti de gauche. Janine Wissler soutient fidèlement le trajectoire de Gysi, Bartsch et Hennig-Wellsow.
La politicienne du Parti de gauche Sahra Wagenknecht et ses partisans, qui se distancient le plus clairement de l'OTAN, le font d'un point de vue nationaliste allemand plutôt que d'une position de principe contre le militarisme allemand. Ils croient que l'impérialisme allemand pourrait mieux faire avancer ses intérêts nationaux en rompant avec la domination américaine.
L'opposition socialiste à la guerre est elle, basée sur la lutte des classes. Elle s'efforce d'unir les travailleurs de toutes les nations et défend le principe de Karl Liebknecht: « L'ennemi principal est dans notre propre pays. » Aujourd'hui, seul le Parti de l'égalité socialiste incarne cette tradition. Il lutte sur une base socialiste contre l'agression de l'OTAN, la politique pandémique du « profit avant la vie » et les inégalités sociales criantes.
(Article paru en anglais 26 avril 2022)