La semaine dernière, la Turquie a annoncé une invasion sous le nom de code «Claw-Lock» dans les zones du nord de l’Irak contrôlées par le gouvernement régional du Kurdistan (GRK). Les frappes aériennes et les raids des forces spéciales visaient le parti nationaliste kurde, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Alors que la Turquie a déclaré avoir tué plus de 50 miliciens, le PKK a affirmé avoir tué près de 30 soldats turcs jusqu’à présent.
Cette situation se produit alors que les puissances de l’OTAN dirigées par les États-Unis intensifient leur guerre par procuration contre la Russie en Ukraine. Il en résulte une flambée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires dans le monde entier,qui intensifie la colère de la classe ouvrière dans tous les pays. Le gouvernement turc du président Recep Tayyip Erdoğan fait face à une crise économique et sociale sans précédent et à une classe ouvrière de plus en plus militante au pays.
Lundi dernier, le ministre turc de la Défense Hulusi Akar a déclaré que l’armée de l’air turque avait frappé la région. Ciblant «des abris, des bunkers, des grottes, des tunnels, des dépôts de munitions et de soi-disant quartiers généraux appartenant à l’organisation terroriste», en référence au PKK. Il a ajouté que l’armée turque a utilisé de l’artillerie, des hélicoptères ATAK et des drones armés dans les régions de Metina, Zap et Avasin-Basyan au Kurdistan irakien.
Cette invasion s’inscrit dans une série d’opérations militaires turques contre les positions du PKK dans la province irakienne de Duhok: Opération Claw en 2019; Opération Claw-Tiger en 2020; et Opération Claw-Lightning et Opération Claw-Thunderbolt en 2021. La Turquie a une présence militaire permanente dans la région depuis 2016 avec plus de 35 emplacements militaires, selon une déclaration de la présidence turque en 2020.
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a déclaré: «Bientôt, l’endroit appelé Qandil n’existera plus», en référence au quartier général central du PKK. Murat Karayılan, un dirigeant du PKK, a déclaré que cette attaque ne fait paspartie d’une «opération», mais d’une «guerre majeure». Il a déclaré que la lutte actuelle contre l’armée turque est une question de «survie». Un autre leader du PKK, Duran Kalkan, a menacé de transformer toutes les villes de Turquie «en zone de guerre». Par la suite, deux attentats ont eu lieu à Istanbul et à Bursa. Le ministère turc de l’Intérieur a accusé le PKK et ses alliés.
La chaîne publique turque TRT World a rapporté que la dernière invasion turque se déroule avec le soutien direct des forces peshmergas du gouvernement régional du Kurdistan. Il écrit: «Avec le début de l’opération, et même quelques jours avant, les forces Peshmerga kurdes ont été déployées dans la région pour bloquer les routes. Leur but est d’empêcher le PKK de prendre le maquis dans les villes et villages kurdes».
Il ajoute: «L’offensive a commencé quelques jours après la visite du Premier ministre kurde [irakien] Masrour Barzani à Ankara la semaine dernière.» Le 13 avril, juste avant cette visite, le sous-secrétaire adjoint du département d’État américain, Joey Hood, a rencontré Masrour Barzani et le président du GRK, Nechrivan Barzani, à Erbil.
Cependant, Bagdad a vivement dénoncé l’invasion illégale du territoire irakien par la Turquie. Mardi, le ministère irakien des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur turc, lui remettant une «note de protestation rédigée avec fermeté», exhortant la Turquie à «mettre fin aux actes de provocation et aux violations inacceptables». Les responsables irakiens ont démenti les affirmations d’Erdoğan selon lesquelles l’Irak soutenait l’invasion turque.
L’invasion turque en Irak s’accompagne d’opérations contre les milices des Unités de défense du peuple (YPG) soutenues par les États-Unis, alliées du PKK en Syrie. Le ministère turc de la Défense a affirmé que ses forces avaient tué 50 miliciens des YPG à Mare, un district situé au nord d’Alep. Les combattants kurdes affirment également avoir tué 10 membres des forces spéciales turques dans ce district. L’armée turque occupe des parties du nord de la Syrie depuis 2016 pour empêcher la formation d’une enclave kurde dirigée par les YPG à ses frontières sud.
L’invasion de l’Irak par la Turquie intervient au milieu de multiples manœuvres soutenues par les États-Unis qui visent à réduire la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie. Parmi celles-ci figure la vente de gaz naturel du Kurdistan irakien à l’Europe via la Turquie, apparemment avec le soutien d’Israël.
Le Premier ministre kurde Barzani a rencontré Boris Johnson mardi dernier à Londres. Selon une déclaration du bureau de Johnson: «le Premier ministre Barzani a parlé de son aspiration à exporter de l’énergie vers l’Europe, et le Premier ministre a salué ses efforts pour aider à réduire la dépendance occidentale au pétrole et au gaz russes».
Actuellement, il n’existe pas de gazoduc entre la Turquie et l’Irak. Selon l’agence publique turque Anadolu (AA), les travaux de construction d’un gazoduc se sont arrêtés après la crise du référendum d’indépendance du Kurdistan de 2017. En février, AA a cité un responsable irakien affirmant que «le GRK commencera à vendre du gaz naturel à la Turquie en 2025».
Cependant, la Cour suprême fédérale irakienne a statué en février dernier que l’administration d’Erbil ne peut pas exporter du pétrole et du gaz indépendamment de Bagdad, de sorte que Bagdad doit être inclus dans les plans futurs.
Selon Rudaw, au Kurdistan irakien, «le ministère de l’Énergie de la région du Kurdistan a signé un contrat d’ingénierie d’approvisionnement et de construction avec le groupe KAR en décembre 2021. Le contrat prévoyait l’expansion du réseau de gazoducs vers la frontière turque». Le gazoduc du Kurdistan arriverait ainsi jusqu’à 35 kilomètres de la frontière turque.
La région dont Ankara cherche à expulser les milices du PKK en Irak revêt apparemment une importance cruciale pour le projet de gazoduc.
Cependant, l’objectif de l’OTAN d’intensifier sa guerre par procuration contre la Russie en Ukraine tout en paralysant l’économie russe fait pression sur l’Europe pour qu’elle mette fin au plus tôt à ses importations de pétrole et de gaz en provenance de Russie. C’était un sujet majeur en Turquie, en Grèce et à Chypre lors des visites de la sous-secrétaire d’État américaine Victoria Nuland début avril.
Au cours de sa visite, elle a réaffirmé que Washington avait retiré son soutien au projet de gazoduc EastMed entre la Grèce, Chypre et Israël, qui exclut la Turquie. S’adressant au quotidien grec Kathimerini, elle a déclaré qu’il serait «très coûteux et que sa construction prendrait dix ans. Tout le monde a besoin d’énergie maintenant, de gaz, d’électricité. C’est pourquoi nous nous tournons maintenant vers le GNL». Elle a ajouté que «cette partie du monde peut également être un moteur énergétique pour l’Europe du Nord».
Nuland a également évoqué «le terminal GNL flottant d’Alexandroúpoli. Cela permet à la Grèce d’être une plaque tournante de l’énergie, non seulement pour ses propres besoins, mais pour toute l’Europe du Sud-Est au moment clé». Le terminal serait opérationnel d’ici la fin de 2023, selon la société Gastrade, propriétaire grecque.
Lors de sa visite en Turquie, Nuland a activé le mécanisme stratégique, un nouvel instrument qui vise à améliorer les liens bilatéraux et à résoudre les problèmes entre Washington et Ankara. S’adressant au Hürriyet Daily Newsen Turquie, elle a fait référence à la normalisation en cours des relations turco-israéliennes, basée sur des projets potentiels d’approvisionnement en énergie depuis la Méditerranée orientale.
Elle a déclaré: «Tout d’abord, il est fortement dans notre intérêt, nous pensons qu’il est dans l’intérêt d’Israël et de la Turquie d’avoir de bonnes relations fortes, des relations commerciales, des relations énergétiques». Elle a ajouté: «Parmi les choses que cette guerre met en évidence, il y a la nécessité pour tous les pays qui ont encore une quantité élevée d’importations de pétrole et de gaz en provenance de Russie dans leur mix de trouver des moyens de se diversifier et de se diversifier rapidement.»
Fin mars, Erdoğan a annoncé qu’un gazoduc qui relie Israël à l’Europe en passant par la Turquie était à l’ordre du jour. Le président israélien Isaac Herzog a effectué une visite d’État à Ankara, la première pour un président israélien, début mars. Erdoğan a déclaré qu’une éventuelle coopération gazière turco-israélienne était «l’une des étapes les plus importantes que nous pouvons franchir ensemble pour les liens bilatéraux».
Le champ Léviathan en Méditerranée orientale, rapporte Reuters, «approvisionne déjà Israël, la Jordanie et l’Égypte. Ses propriétaires — Chevron et les entreprises israéliennes NewMed Energy et Ratio Oil — prévoient d’augmenter la production de 12 à 21 milliards de mètres cubes (BCM) par an. À titre de comparaison, l’Union européenne a importé 155 milliards de mètres cubes de gaz russe l’année dernière, couvrant près de 40 pour cent de sa consommation».
Reuters cite des responsables israéliens qui affirment qu’un éventuel gazoduc sous-marin entre la Turquie et Israël s’étendrait sur 500 à 550 km. Il coûterait jusqu’à 1,5 milliard d’euros à construire (le gazoduc EastMed a coûté 6 milliards d’euros). Toutefois, un tel gazoduc soulèverait des problèmes vieux de plusieurs décennies et de nouveaux conflits potentiels concernant Chypre et la guerre de changement de régime menée par l’OTAN en Syrie. Car, il «devrait traverser les eaux, soit de Chypre, qu’Ankara ne reconnaît pas, soit de la Syrie, avec laquelle Ankara n’a pas de relations diplomatiques et où la Turquie a soutenu les rebelles qui combattent le gouvernement de Damas».
(Article paru d’abord en anglais le 26 avril 2022)