La politique américaine sur les taux d’intérêt entraîne des changements majeurs sur les marchés mondiaux des devises

La hausse rapide de l’inflation, qui pousse la Réserve fédérale américaine à relever ses taux d’intérêt, entraîne des changements au sein du système financier mondial, comme en témoigne clairement la forte hausse du dollar par rapport aux autres grandes devises.

Devant une inflation de plus de 8 pour cent aux États-Unis, on s’attend à ce que la Réserve fédérale relève son taux d’intérêt de base de 0,5 point de pourcentage lors de sa réunion du mois prochain, et procède à d’autres hausses plus tard dans l’année.

Jerome Powell, président en exercice de la Réserve fédérale américaine, annonce une hausse des taux d’intérêt le 16 mars 2022 (Source: CSPAN) [Photo: (Source: CSPAN)]

Lorsque la pandémie de COVID-19 a commencé en 2020, les principales banques centrales ont baissé à l’unisson les taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas pour soutenir les marchés financiers. Cela a fait grimper les cours des actions à des niveaux record. Mais aujourd’hui, des divergences sont apparues, car elles ne veulent pas toutes procéder aussi rapidement que la Réserve fédérale à des hausses de taux d’intérêt.

Cela a entraîné une hausse rapide du dollar américain qui, selon le Financial Times(FT), «déchire les marchés, car les investisseurs parient que la plupart des banques centrales seront en retard sur le rythme des hausses» de la Réserve fédérale.

En conséquence, l’indice du dollar, qui mesure sa force par rapport à un panier d’autres devises, dont l’euro, le yen et la livre, a atteint hier son plus haut niveau depuis 20 ans.

L’euro a atteint son plus bas niveau depuis cinq ans par rapport au dollar et pourrait encore baisser. Dans les échanges de cette semaine, il a même chuté davantage qu’en mars 2020, lorsque les marchés étaient en pleine tourmente au début de la pandémie.

Bien que la Banque centrale européenne (BCE) ait indiqué qu’elle s’apprête à resserrer sa politique monétaire, elle ne devrait pas le faire aussi rapidement que la Réserve fédérale. Cela s’explique par l’impact de la guerre en Ukraine sur l’économie de la zone euro. Mais aussi, par la crainte que les mesures qui visent à imposer un embargo complet sur les approvisionnements énergétiques russes n’aient un effet récessif.

La BCE doit également faire preuve d’une grande prudence. Un resserrement trop rapide de la politique monétaire pourrait entraîner des problèmes majeurs pour les économies très endettées du sud de l’Europe, en particulier l’Italie. Ainsi, cela pourrait provoquer un retour de la crise de la dette souveraine de 2012.

La semaine dernière, la livre sterling est tombée à son plus bas niveau face au dollar depuis fin 2020. Alors que la Banque d’Angleterre (BoE) a commencé à relever ses taux d’intérêt, la contraction de l’économie britannique laisse présager que les hausses ne seront pas aussi importantes que celles de la Réserve fédérale.

Les dépenses du détail se trouvent en baisse. Une chute des ventes de 7,9 pour cent a eu lieu en mars par rapport au mois précédent. La confiance des consommateurs est en chute libre. Elle a atteint presque son plus bas niveau historique, et il y a des indices d’un déclin de l’activité commerciale.

Selon Chris Williamson, économiste en chef chez S&P Global: «Les commandes reçues par les fabricants sont presque au point mort, en raison d’une perte croissante des exportations. La croissance des services s’est effondrée pour devenir l’une des plus faibles depuis les confinements du début de 2021».

Cela a donné lieu à l’attente que la BoE n’augmente pas son taux d’escompte de 0,5 point de pourcentage lorsqu’elle se réunira le mois prochain, entraînant une baisse de la valeur de la livre.

La plus grande divergence dans la valeur des devises se situe entre le dollar et le yen japonais. La monnaie japonaise est tombée à son plus bas niveau depuis 20 ans par rapport au dollar et de nouvelles baisses sont probables. Hier, la Banque du Japon a clairement indiqué qu’elle ne s’éloignait pas de son régime de taux d’intérêt bas et qu’elle continuerait à intervenir pour maintenir les rendements obligataires proches de zéro.

Le yen, normalement considéré comme une valeur refuge en période de turbulences économiques, a chuté de 12 pour cent depuis le début de l’année et est classé comme la pire des 41 devises suivies par le Wall Street Journal(WSJ) – pire que le rouble russe et la lire turque.

Dans un reportage sur la chute du yen en début de semaine, le WSJa noté que «si le yen était une monnaie plus petite, sa chute pourrait avoir moins d’importance pour les marchés financiers. Mais, le yen est un élément clé de la finance mondiale, puisqu’il est la troisième monnaie la plus échangée au monde».

Le glissement aura un effet significatif sur le marché des 22.000 milliards de dollars du Trésor américain, où les institutions financières japonaises sont les principaux acheteurs étrangers de la dette publique américaine.

Mais la capacité du capital financier japonais à acheter de la dette américaine – dans des conditions où les États-Unis s’apprêtent à vendre une partie des actifs financiers qu’ils ont achetés dans le cadre de leur politique de resserrement monétaire – est mise à rude épreuve.

Lorsqu’ils achètent de la dette, les acheteurs se couvrent contre les fluctuations des devises pour protéger la valeur de leurs transactions. Mais les mouvements de devises sont devenus si importants que le coût de la couverture signifie que le rendement supplémentaire qu’un investisseur obtiendrait en détenant des obligations américaines plutôt que japonaises a presque disparu.

Au début du mois, le ministre japonais des Finances, Shunichi Suzuki, a mis en garde contre les dommages causés à l’économie par la chute du yen. «La stabilité est importante et les mouvements brusques des devises ne sont pas souhaitables», a-t-il déclaré.

Si la faiblesse du yen a ses avantages, ses inconvénients sont «plus importants dans la situation actuelle où les coûts du pétrole brut et des matières premières augmentent dans le monde entier», rendant ces produits plus chers.

La Chine est également touchée, dans un contexte de bataille au sein du gouvernement, rapportée par le FT, sur la manière de gérer les effets de la crise du marché immobilier sur l’économie et le système financier.

Un groupe dirigé par le vice-premier ministre, Liu He, fait pression pour un assouplissement des restrictions de crédit qui ont frappé Evergrande et d’autres grands promoteurs immobiliers. Un conseiller du gouvernement, qui partage l’avis de Liu He, a averti que la persistance des problèmes «pourrait provoquer une flambée des créances douteuses et la faillite de l’ensemble du secteur financier».

Mais une autre faction du cabinet s’y oppose en affirmant que les craintes d’un effondrement financier sont exagérées et que le resserrement doit se poursuivre.

Ces problèmes sont exacerbés par les hausses des taux d’intérêt américains qui ont entraîné la dépréciation du renminbi. Si la Chine assouplit sa politique de crédit et sa politique monétaire cet automne, ce phénomène pourrait s’accélérer et entraîner un mouvement de capitaux hors du pays.

Les pays dits émergents et en développement sont également touchés. Le dernier rapport du Fonds monétaire international sur la stabilité financière dans le monde a noté qu’un quart des pays qui avaient émis des dettes en devises fortes avaient des passifs en difficulté.

Le régime de taux d’intérêt plus élevés mis en place par la Réserve fédérale entraîne des mouvements importants à Wall Street. En début de semaine, le Dow Jones a perdu 800 points et l’indice S&P 500 a chuté de 2,8 pour cent, ce qui porte sa chute à 12 pour cent pour l’année.

Le déclin de l’indice NASDAQ, très technologique, s’est trouvé encore plus marqué. Il a perdu 20 pour cent sur l’année et se trouve maintenant à son plus bas niveau depuis la fin de l’année 2020, effaçant tous les gains de 2021.

La hausse des taux d’intérêt et l’attente de nouvelles augmentations en sont le principal facteur. En effet, dans l’orgie de spéculation alimentée par le soutien financier de la Réserve fédérale, la «valorisation» des entreprises de haute technologie n’est pas basée sur leurs profits réels. Beaucoup d’entre elles sont déficitaires, mais leurs «valoriations» se trouvent basées sur «l’attente» de bénéfices futurs.

Le flux «attendu» des bénéfices futurs – en fait un pari que la société va décoller – est actualisé au taux d’intérêt en vigueur, un taux plus élevé entraînant une baisse de la valeur attendue de la société.

Et on a annoncé hier, ce qui est un avertissement sur l’évolution de l’économie réelle, que l’économie américaine s’était contractée de manière inattendue à un taux annualisé de 1,4 pour cent au premier trimestre de cette année. Cette tendance devrait se poursuivre si les hausses de taux d’intérêt commencent à toucher le marché du logement.

Jusqu’à présent, les hausses de la Réserve fédérale sont restées faibles et même les hausses prévues ne sont pas importantes par rapport aux normes historiques. Mais le fait que même ces petites hausses entraînent des problèmes majeurs est une indication supplémentaire de l’instabilité inhérente au système financier américain et mondial.

(Article paru d’abord en anglais le 29 avril 2022)

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