Un tribunal allemand clôt le procès du professeur d’extrême droite Jörg Baberowski, moyennant paiement de 4.000  euros

Deux jours avant le début du procès du professeur d’extrême droite Jörg Baberowski pour dommages corporels et matériels, prévu depuis des mois, le tribunal de district de Berlin a annoncé qu’il mettait fin à la procédure. La décision incluait l’accord de Baberowski pour un paiement de 4.000  euros à l’organisation à but non lucratif KINDerLEBEN. Même si le paiement effectué par Baberowski équivaut à un aveu de culpabilité, la conséquence immédiate est qu’on envoie ainsi un signal politique sinistre: la violence exercée par un professeur d’extrême droite à l’encontre d’étudiants qui expriment d’autres opinions est une banale infraction.

Baberowski, qui enseigne l’histoire de l’Europe de l’Est à l’université Humboldt (HU) de Berlin, a détruit de grandes quantités de matériel de campagne pour l’élection au parlement étudiant des Jeunes et Étudiants internationaux pour l’égalité sociale (IYSSE), le 30  janvier 2020; il a agressé physiquement l’étudiant Sven Wurm et l’a menacé, lui disant: «tu veux que je t’en mette une sur la gueule?» L’acte de vandalisme, la menace et l’acte violent sont documentés sur vidéo et ils n’ont jamais été remis en question.

Jörg Baberowski à la Foire du Livre de Francfort en 2014 (Photo : Ordercrazy/Wikipedia) [Photo by Ordercrazy/Wikipedia / CC BY 1.0]

Le ministère public avait déjà émis une ordonnance pénale pour dommages corporels et matériels en juin dernier sur la base de faits patents, mais Baberowski l’a contestée, ce qui a entraîné la fixation de l’audience au 27  avril. Le parquet a refusé à plusieurs reprises de classer l’affaire, la dernière fois en février de cette année, car il s’agissait d’un cas clair et d’une grave atteinte aux droits démocratiques du corps étudiant.

Baberowski est une figure centrale des milieux d’extrême droite. Il diffuse des discours de haine xénophobe, minimise la violence contre les réfugiés et relativise les crimes des nazis. En février 2014, il a affirmé dans le magazine DerSpiegelqu’Hitler n’était pas cruel et que l’Holocauste était comparable aux fusillades pendant la guerre civile russe.

Baberowski a tenté à deux reprises de faire taire ses détracteurs devant les tribunaux, mais il a échoué à chaque fois. Le tribunal régional supérieur de Cologne a estimé que ses déclarations offraient une base suffisante pour le qualifier d’«extrémiste de droite», de «raciste» et d’«apologiste de la violence». Le tribunal régional de Hambourg a jugé qu’il était permis de qualifier les déclarations de Baberowski sur Hitler de «falsification de l’histoire».

Après ses échecs juridiques, Baberowski est devenu de plus en plus agressif envers ceux qui le contestent. En 2020, deux membres du sénat étudiant ont porté plainte contre lui, car ils les avaient publiquement qualifiés de «radicaux de gauche fanatiques» et d’«incroyablement stupides» après qu’elles eurent formulé des critiques factuelles sur son projet de «Centre de recherche sur la dictature».

Lorsque des professeurs de l’université Humboldt ont critiqué le directeur de la maison d’édition Lit pour son soutien à la «Déclaration  2018» contre les réfugiés, Baberowski les a traités de «délateurs» et a comparé leur comportement au boycott des Juifs par les nazis, affirmant que cela lui rappelait une « sombre époque». Baberowski a écrit que ses détracteurs disaient: «N’achetez pas chez le paria»! Finalement, il les a menacés avec les mots: «Les humiliés et les exclus se souviendront de qui les a mis au pilori».

Baberowski s’est également heurté à plusieurs reprises aux étudiants du groupe universitaire de l’IYSSE. Il les a, entre autres choses, insultés, les qualifiant de «sales délateurs», de «fascistes» et de «malades mentaux». Ses attaques ont finalement abouti à l’acte violent en question. Il ne s’agissait pas là d’un acte d’affect, mais d’une attaque systématique menée contre ses détracteurs.

Baberowski a arraché de nombreuses affiches de l’IYSSE pour les élections au parlement étudiant de tableaux d’affichage pour étudiants. La vidéo montre que lorsqu’il est pris sur le fait, il fait tomber d’un coup sur la main le téléphone portable du député étudiant Sven Wurm, qui étudie au département d’Histoire de Baberowski, et il le menace. Cet acte de violence visait à intimider les étudiants et à les empêcher d’exercer leur droit démocratique de promouvoir leurs opinions politiques.

Le fait que cette attaque n’entraînera pas d’autre sanction n’est pas seulement un camouflet à la victime, mais une attaque de tous les étudiants qui critiquent objectivement les positions d’extrême droite de leurs professeurs. La violence exercée par des professeurs d’extrême-droite à l’encontre d’étudiants ayant d’autres opinions est en fait considérée comme un délit mineur qui ne mérite pas de poursuites pénales.

Le fait qu’il s’agisse d’une décision politique et non juridique est déjà visible dans la décision du ministère public en février de refuser de clore la procédure. Ce virage à 180  degrés n’est intervenu que quelques jours avant la date prévue pour le procès et après que Wurm eut engagé un avocat et demandé à se constituer partie civile le 28  mars de cette année.

Il est clair que l’accusation voulait éviter une procédure où seraient abordées des questions politiques. En réponse à une question du WSWS, le parquet de Berlin n’a pas encore été en mesure de fournir d’autres raisons pour justifier sa décision.

Cette volte-face est sans aucun doute due à une prise d’influence politique. Le gouvernement du Land de Berlin, une coalition de SPD, Parti de gauche et Verts, tout comme l'administration de l'université, ont soutenu plusieurs fois le professeur d'extrême droite.

Sabine Kunst (SPD), la présidente de longue date de l’université Humboldt, a même qualifié l’action violente de Baberowski contre Wurm de «compréhensible sur le plan humain». Une plainte administrative contre Baberowski, que Wurm avait déjà déposée le 5  février 2020, a tout simplement été ignorée par Kunst.

Wurm a alors déposé une plainte administrative contre Kunst auprès du maire de Berlin d’alors, Michael Müller, et du secrétaire d’État à l’Éducation. Dans son exposé des motifs, il a fait référence non seulement au soutien apporté à l’acte violent de Baberowski, mais encore à une longue liste d’incidents antérieurs au cours desquels Baberowski avait menacé des étudiants et des collègues, et où Kunst avait soutenu le professeur d’extrême droite.

Wurm a également mentionné qu’il avait attiré l’attention de la présidente de l’HU sur le fait qu’un proche collaborateur de Baberowski était dans sa jeunesse un néonazi connu à Hanovre qui avait entre autre participé avec des terroristes d’extrême droite à une manifestation contre l’exposition sur la Wehrmacht. «Kunst n’a rien fait pour nous protéger, nous les étudiants, de tels professeurs», écrit Wurm, qui résume ainsi:

«Il n’y a pas d’explication anodine à cette chronologie claire. Kunst a systématiquement couvert les violences verbales et physiques répétées de Baberowski à l’encontre des étudiants et a supprimé les critiques nécessaires à l’encontre du professeur d’extrême droite. Elle est donc responsable d’un climat d’intimidation dans lequel on empêche les étudiants de critiquer les opinions d’extrême droite des professeurs. Cette situation est incompatible avec une université démocratique».

Le gouvernement du Land a également refusé de commenter cette plainte administrative et l’a transmise à Edelgard Bulmahn (Parti social-démocrate, SPD), qui préside le conseil d’administration de l’HU. Bulmahn a balayé toutes les accusations et elle a déclaré sans détour que «la présidente de l’HU n’avait commis aucune faute professionnelle». Pour ce qui est de la plainte administrative restée sans réponse, elle a renvoyé au fait que la procédure pénale à l’encontre de Baberowski était toujours en cours. Il était donc selon elle inapproprié pour l’université de traiter une plainte administrative contre Baberowski.

Malgré le délit parfaitement documenté de Baberowski, le gouvernement du Land – SPD, Parti de gauche et Verts – ainsi que la direction de l’université, ont soutenu le professeur d’extrême droite. Cette banalisation scandaleuse de la violence d’extrême droite se reflète maintenant aussi dans la clôture du procès au tribunal de district. Le revirement du parquet doit être considéré dans ce contexte.

«Nous appelons donc tous les étudiants à protester contre cette décision et à soutenir le travail de l’IYSSE», explique Wurm. «La question est de savoir si les universités resteront des lieux d’études et d’échanges démocratiques ou si elles seront transformées en centres d’extrême droite et en forges à cadres militaristes. Si la violence de droite est dissimulée et soutenue, on ne peut plus parler d’une université démocratique».

(Article paru d’abord en anglais le 2 mai 2022)

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