Au Sri Lanka l’opposition du JVP cherche à détourner la lutte de masse vers l’impasse de la politique parlementaire

Les partis d’opposition, les syndicats et les grandes entreprises sri-lankais font tout leur possible pour faire dérailler, dissiper et étouffer le soulèvement de masse des travailleurs contre le président Gotabhaya Rajapakse. Ils craignent que ce soulèvement ne menace le régime capitaliste.

L’opposition de masse a éclaté au début du mois d’avril, exigeant la démission du président Rajapakse et de son gouvernement, et a défié les tentatives d’utiliser la police et l’armée pour écraser les manifestations.

La classe ouvrière a maintenant commencé à entrer en lutte en tant que classe. Des millions de travailleurs ont participé à une grève générale d’une journée le 28 avril, malgré les obstacles placés par les syndicats. Face à une vague de colère parmi les travailleurs, les syndicats ont été contraints d’appeler à une autre journée de grève le 6 mai.

Les protestations massives sont alimentées par la spirale des prix et les pénuries de denrées alimentaires de base, de médicaments et de carburant, ainsi que par les longues coupures quotidiennes d’électricité. Comme dans tous les pays, le Sri Lanka fait face à des turbulences économiques déclenchées par la pandémie mondiale de COVID-19 et la guerre par procuration des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie en Ukraine.

Anura Kumara Dissanayake [Source : Anura Kumara Dissanayake Facebook].

S’adressant aux médias mardi dernier, le leader de l’opposition Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), Anura Kumara Dissanayake, a présenté les prétendues propositions de son parti pour «résoudre» la crise du pays. Il a insisté sur le fait que «la crise économique ne peut être résolue sans atténuer l’instabilité politique»; en d’autres termes, on doit trouver un moyen de réprimer les manifestations et les grèves de masse.

Le JVP a soutenu les propositions faites par le principal parti d’opposition parlementaire, Samagi Jana Balawegaya (SJB), et d’autres groupes, demandant que le président et le gouvernement se retire afin de laisser la place à un gouvernement intérimaire à court terme, à des élections générales et à la possibilité de «construire un gouvernement stable».

Dissanayake a déclaré que ces propositions semblaient être des «solutions équitables», mais il n’a pas voulu engager le JVP dans un gouvernement intérimaire, notant que ceux qui rejoignent un tel régime «peuvent rompre cet accord à tout moment».

Dissanayake a fait une proposition à peine différente. Après la démission du président et du gouvernement, «nous devrons alors mettre en place une administration interparlementaire pour une très courte période et aller aux urnes très rapidement.» Il n’a fourni aucune explication sur la manière dont une «administration interparlementaire» serait formée, sur les personnes qui y participeraient ou sur ce qui la différencierait d’un «gouvernement provisoire».

Cependant, l’objectif politique des propositions du JVP est absolument clair: étouffer le mouvement de protestation. Comme le SJB, il s’agit de détourner la colère des travailleurs, des jeunes et des pauvres vers l’impasse des élections parlementaires, en avançant l'espoir fallacieux qu’une nouvelle combinaison de partis capitalistes atténuerait l’aggravation de la crise sociale.

L’intervention du JVP revêt une signification particulière. Contrairement au SJB ―une dissidence de droite du Parti national uni (UNP), lui aussi de droite ―le JVP est issu du mouvement radical petit-bourgeois de la jeunesse cinghalaise des années 1960 et 1970 qui prônait la «lutte armée» fondée sur un mélange toxique de maoïsme, de castrisme et de patriotisme cinghalais.

Il a abandonné depuis longtemps sa désastreuse «lutte armée» et ses prétentions socialistes et marxistes. Le JVP se présente maintenant comme le sauveur de la classe capitaliste et de sa domination.

Lors du rassemblement du 1er mai du JVP, dimanche, Dissanayake s’est vanté sans vergogne que son parti avait maintenu la présidente Chandrika Kumaratunga et son Parti de la liberté du Sri Lanka (SLFP) au pouvoir en 2001. En 2004, il avait soutenu la décision de la présidente de limoger le gouvernement de l’UNP. Le chef du JVP s’est vanté: «Nous avons proposé de la soutenir à l’époque pour assurer la stabilité politique du pays».

En 2001, un certain nombre de députés ont déserté le gouvernement Kumaratunga pour rejoindre l’UNP. À l’époque c’était un parti d’opposition. Leur but était de soutenir son appel à des pourparlers de paix avec les séparatistes des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Le JVP, un parti chauvin cinghalais virulent, s’est opposé à tout pourparler de paix avec les LTTE. Le JVP a exigé la poursuite de la guerre communautaire et a soutenu l’administration Kumaratunga de «l’extérieur».

Le JVP a également soutenu la décision de Kumaratunga de limoger le gouvernement UNP en 2004 afin de faire échouer les pourparlers de paix avec les LTTE. Il a ensuite conclu une alliance électorale avec Kumaratunga pour participer aux nouvelles élections générales et a rejoint son gouvernement, acceptant quatre postes ministériels. Ses ministres ont joué un rôle clé pour imposer les diktats pro-marché du FMI.

Dissanayake fait référence au passé traître du JVP, non pas pour offrir une issue à la crise sociale actuelle à laquelle les travailleurs font face, mais pour convaincre la classe dirigeante que son parti est toujours prêt à assurer la «stabilité politique» et à sauver la domination capitaliste.

Le leader du JVP a déclaré que «la situation a changée». Les gens n’acceptent pas le président ou le gouvernement, a-t-il dit. L’instabilité ne sera pas résolue en formant un gouvernement intérimaire ou un gouvernement multipartite. La seule solution est d’organiser des élections générales.

L’appel à de nouvelles élections est en contradiction avec de nombreux slogans de protestation lancés le mois dernier, notamment, «Non à la malédiction d’un règne de 74 ans», «Ceux qui ont dirigé le pays pendant 74 ans sont responsables de la crise d’aujourd’hui!» et «Les 225 membres du Parlement sont responsables de la crise».

Ces slogans indiquent une prise de conscience croissante du fait que tous les partis parlementaires sont responsables de la crise actuelle et que l’ensemble de l’establishment politique bourgeois défend les intérêts des riches aux dépens des travailleurs ―et cela, tout au long des 74 années écoulées depuis l’indépendance formelle en 1948.

Le JVP, comme les autres partis de l’establishment, cherche désespérément à bâillonner et à détourner ce mouvement. Dissanayake maintient un silence coupable sur ce que ferait tout nouveau gouvernement capitaliste formé après une élection, car il chercherait inévitablement à imposer des charges encore plus lourdes à la population, conformément aux exigences du FMI.

Le gouvernement Rajapakse a déjà envoyé une délégation à Washington pour discuter avec le FMI d’un plan de sauvetage d’urgence et fait maintenant pression pour une mise en œuvre complète de ses diktats. Cela implique une attaque massive contre les conditions de vie des travailleurs et des pauvres des zones rurales. Il s’agirait de la suppression d’emplois, de salaires, de pensions et de subventions sociales, et de la «restructuration» des entreprises publiques en sociétés à but lucratif.

Alors que, le SJB et l’UNP ont critiqué le gouvernement pour ne pas s’être adressés plus tôt au FMI, le JVP et ses dirigeants n’ont rien dit, sachant pertinemment que cela aurait des conséquences dévastatrices pour les travailleurs. Au lieu de cela, le JVP cherche à détourner la responsabilité de la crise économique du système capitaliste, basé sur la propriété privée des moyens de production et l’extraction de profits, vers la corruption et la mauvaise gestion du gouvernement Rajapakse.

«La cause de cette crise, ce sont les décisions prises par un groupe de gangsters, dont Gotabhaya Rajapakse, afin de faire gagner des centaines de milliers à leurs copains», a récemment déclaré Dissanayake au Parlement.

Il ne fait aucun doute que le gouvernement Rajapakse, comme tous ses prédécesseurs, est embourbé dans des formes de corruption, mais c’est absurde de mettre toute la crise économique sur le compte de la «corruption». Le JVP fait la promotion d’un fantasme, à savoir qu’un nouveau gouvernement va tout simplement faire disparaitre l’immense crise du capitalisme mondial et tous les maux sociaux auxquels les travailleurs font face.

Le JVP et les partis d’opposition, soutenus par des groupes de pseudo-gauche, dont le Frontline Socialist Party, désarment politiquement les travailleurs en limitant les manifestations à la demande de démission de Rajapakse et en colportant l’illusion qu’une solution existe au désastre social dans le cadre du système capitaliste.

Dissanayake a affirmé la semaine dernière que si Rajapakse ne démissionnait pas, le JVP, son NPP (National People's Power, un front électoral d’intellectuels et de professionnels), ses syndicats et son organisation d’agriculteurs organiseraient un grand nombre d’agitations pour le forcer à partir. Toutes ces manifestations ont cependant le même objectif de détourner les masses vers l’impasse de la politique électorale.

Les syndicats du JVP limitent déjà les luttes ouvrières à la demande d’un régime provisoire et d’élections. L’année dernière, les syndicats du JVP étaient également en première ligne pour brader une série de luttes menées par des sections de travailleurs pour de meilleurs salaires et conditions de travail, renforçant ainsi la main du régime Rajapakse.

En opposition à l’ensemble de l’establishment politique, y compris le JVP, le Parti de l’égalité socialiste (PES) a élaboré un programme d’action pour les travailleurs et les pauvres afin de défendre leurs droits démocratiques et sociaux. Il n’y a pas de solutions pour les travailleurs au sein du système capitaliste. La classe ouvrière ne peut défendre ses droits qu’en mobilisant sa force politique et industrielle indépendante.

Le PES appelle à la création de comités d’action par les travailleurs sur chaque lieu de travail, dans chaque grande propriété et dans chaque quartier ouvrier, indépendamment des syndicats et des partis capitalistes et de leurs relais.

Nous avons élaboré un programme pour faire avancer la lutte des comités d’action pour défendre les droits démocratiques et sociaux des travailleurs.

Nous exigeons l’abolition immédiate de la présidence exécutive et l’abrogation de toutes les lois répressives, notamment la loi d’urgence, la loi sur les services publics essentiels et la loi sur la prévention du terrorisme.

Pour mettre fin au désastre social actuel, on doit réorganiser complètement la production et la distribution des biens essentiels afin de répondre aux besoins pressants de la majorité, et non aux profits de quelques riches. Nationaliser les banques, les grandes entreprises et les grands domaines sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière. Répudier toutes les dettes étrangères.

La création de comités d’action pour lutter en faveur de ce programme établit la base de la lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan qui mettra en œuvre des politiques socialistes. Dans cette lutte, les travailleurs du Sri Lanka doivent s’unir à la classe ouvrière internationale dans un combat commun contre le capitalisme. Ce dernier est la source des inégalités sociales, du désastre de la pandémie de COVID et de la guerre impérialiste.

Nous exhortons les travailleurs et les jeunes à rejoindre le PES et à lutter pour ce programme.

(Article paru d’abord en anglais le 3 mai 2022)

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