Les préparatifs de l’Allemagne pour une troisième guerre mondiale battent leur plein

Les États-Unis et leurs alliés dans l’OTAN se préparent intensivement à une troisième guerre mondiale. Si l’on a dit rétrospectivement de la Première Guerre mondiale que les grandes puissances y étaient entrées en y «glissant», aujourd’hui elles foncent vers le désastre les yeux grand ouverts.

L’affirmation que la guerre en Ukraine vise à défendre la démocratie et l’indépendance nationale s’avère de plus en plus cousue de fil blanc. En réalité, il s’agit de contrôler la vaste masse terrestre et les riches ressources minérales de la Russie et d’un nouveau partage du monde entre grandes puissances impérialistes. La guerre en Ukraine est en tout point dans la lignée des guerres que les États-Unis et leurs alliés ont mené dans les Balkans, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, pour tenter d’assurer leur domination mondiale.

Le chancelier Olaf Scholz en visite chez le chef du gouvernement japonais Fumio Kishida (Photo: Bundesregierung/Bergmann)

La décision réactionnaire et à courte vue du président russe Vladimir Poutine d’attaquer militairement l’Ukraine en réponse à l’encerclement de son pays par l’OTAN a fourni à ce dernier le prétexte bienvenu – et souhaité – d’une escalade militaire massive.

Les États-Unis inondent l’Ukraine d’armes et promettent qu’il n’y aura aucun répit jusqu’à ce que la Russie soit «vaincue» et sa «colonne vertébrale brisée». L’Allemagne utilise la guerre pour démanteler tous les obstacles qui entravaient jusque là un réarmement sans retenue.

Ce qui est considéré comme «ligne rouge» à ne pas franchir un jour est transgressé le lendemain. D’abord, le gouvernement allemand a augmenté le budget de l’armement de 100  milliards d’euros en une fois, sans consultation préalable, et a abandonné son principe de ne pas livrer d’armes aux zones de guerre. Il a d’abord approvisionné l’Ukraine en armes légères, et ensuite en armes lourdes. Entre-temps, on forme aussi les soldats ukrainiens sur le sol allemand bien que, selon une expertise du Service scientifique du Bundestag [parlement], cela constitue selon le droit international une participation à la guerre.

Les préparatifs du gouvernement allemand en vue d’une troisième guerre mondiale ne se limitent pas à l’armement de la Bundeswehr [forces armées] et au soutien militaire à l’Ukraine. La politique économique, la politique étrangère et même la politique climatique sont elles aussi mises au service de la politique de guerre.

L’ancien rédacteur en chef du quotidien financier Handelsblatt, Gabor Steingart, en parle sans détour dans son «Pioneer Briefing» de mardi. Sans le moindre scrupule, il aborde la question de savoir ce qu’il faut faire pour rendre une guerre mondiale «gérable»:

«La conduite d’une troisième guerre mondiale n’est pas seulement une question militaire», déclare-t-il. C’est «d’abord et avant tout une question économique. Car sans désemmêler l’économie suivant les blocs de puissance et les blocs militaires, une guerre efficace et soutenable sur une longue période est impossible, comme on le voit déjà avec la dépendance de l’Allemagne du gaz naturel russe».

«Qui veut rendre la guerre mondiale gérable doit d’abord désemmêler le commerce mondial», souligne Steingart. «L’indépendance économique est plus importante que des milliards supplémentaires pour la Bundeswehr. Il ne faut pas seulement regrouper en formation offensive les soldats et leur équipement militaire, mais encore les ressources économiques».

«Vu sous cet angle économique », déclare-t-il ensuite, « les préparatifs pour rendre gérable une troisième guerre mondiale battent leur plein».

Steingart a, malheureusement, raison sur ce point. Bien qu’une troisième guerre mondiale signifierait la fin de l’humanité, le gouvernement allemand s’active résolument à la préparer sur le plan économique et géopolitique, en plus des préparatifs militaires. Ces dernières semaines, il a mis le cap sur la réorganisation des relations commerciales et économiques en vue d’une guerre avec la Russie et la Chine.

Le premier voyage en extrême Orient du chancelier Olaf Scholz par exemple, fut une visite démonstrative au Japon. Contrairement à l’ex-chancelière Angela Merkel, qui a visité douze fois la Chine et seulement cinq fois le Japon en seize années au pouvoir, Scholz n’est pas allé à Pékin. Les échanges commerciaux de l’Allemagne avec la Chine sont, avec 246  milliards d’euros, six fois plus élevé qu’avec le Japon. Les investissements directs allemands en Chine, soit 96  milliards d’euros, sont eux aussi bien supérieurs aux 16  milliards d’euros investis au Japon.

Mais Scholz, qui est allé à Tokyo avec une importante délégation patronale, a voulu montrer que l’Allemagne misait à nouveau sur une coopération étroite avec le Japon. Il a convenu d’une coopération plus étroite dans le secteur stratégiquement important des hautes technologies et dans la production et la fourniture d’hydrogène liquide comme source d’énergie d’alternative. Des consultations gouvernementales régulières avec le Japon, qui avant n’avaient lieu qu’avec la Chine, ont également été convenues.

L’escalade des conflits avec la Russie et la Chine a joué un rôle central dans les entretiens de Scholz et du chef du gouvernement japonais Fumio Kishida. L’Allemagne et le Japon souhaitent également coopérer plus étroitement sur le plan militaire. Après que la frégate allemande Bayern a effectué des exercices avec les forces japonaises l’année dernière, six Eurofighters allemands doivent participer cet automne à des manœuvres en Australie, pour se rendre ensuite au Japon.

Avec son orientation vers le Japon, Scholz renoue avec d’infâmes traditions historiques. Le Japon fut l’allié de l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale et fit partie, avec l’Italie, des puissances dites de l’Axe. Alors que l’Allemagne a mené une guerre d’extermination meurtrière en Union soviétique, le Japon a commis de terribles crimes de guerre en Chine et dans d’autres pays d’Asie, crimes dont il nie aujourd’hui encore en partie la responsabilité.

Alors que le chancelier Olaf Scholz (Parti social-démocrate, SPD) et la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock (Verts) s’occupent de renforcer le front international de la guerre contre la Russie, le ministre de l’Économie Robert Habeck (Verts) s’emploie lui, à couper l’Europe des approvisionnements énergétiques russes, qui remontent à l’Ostpolitik de Willi Brandt au début des années  1970.

Après avoir interdit en avril les importations de charbon russe, l’Union européenne décidera vraisemblablement cette semaine, grâce aux efforts de Habeck, un embargo sur le pétrole. Comme la part du pétrole russe dans la consommation pétrolière de l’Allemagne est passée de 36 à 12  pour cent, le gouvernement allemand a donné le feu vert pour un embargo. Des pays comme la Hongrie et la Grèce, qui dépendent bien plus du pétrole russe, bénéficieront d’une période de transition.

En 2021, l’UE achètera encore 3,4  millions de barils de pétrole et de produits pétroliers par jour à la Russie, soit environ un quart de ses besoins. Comment ces achats seront remplacé n’est pas clair. Il y a également des sanctions contre le Venezuela et l’Iran, deux grands producteurs de pétrole. L’OPEP, dont la Russie est membre, a jusqu’à présent refusé d’augmenter sa production en conséquence.

Il est certain que l’embargo entraînera une nouvelle hausse des prix de l’énergie, qui atteignent déjà des niveaux records et figurent parmi les principaux moteurs de l’inflation. C’est donc la population qui paiera la facture. Même Habeck a dû admettre qu’une telle mesure ne laisserait pas l’Allemagne indemne. Mais selon lui l’embargo est important «parce que nous nous défaisons en partie de la culpabilité morale de maintenir le régime de Poutine en vie par nos paiements».

La politique démente consistant à préparer une troisième guerre mondiale et à la rendre «gérable» est soutenue par tous les partis représentés au Bundestag, y compris le Parti de gauche qui n’a de réserves que sur des questions secondaires.

Les chrétiens-démocrates (CDU/CSU), n’étant plus au gouvernement, ont perdu toute inhibition. Ils ont publié mardi une «Déclaration de Cologne» qui prône, sous le titre «La sécurité dans des temps nouveaux», un militarisme effréné.

L’Allemagne devait «définir de toute urgence ses intérêts nationaux dans le contexte de la nouvelle réalité» et «décider d’un puissant effort national pour les mettre en œuvre et les sauvegarder», y lit-on. «Pour relever ce défi », il fallait « des capacités militaires globales, ce qui entraînera maints sacrifices et maints fardeaux».

Outre une «nouvelle stratégie de sécurité», dirigée non seulement contre des menaces externes mais aussi internes «comme les campagnes de désinformation ciblées et toutes les formes d’extrémisme», le document préconise une «nouvelle stratégie de mondialisation» axée sur l’Europe, les États-Unis et l’Afrique, qui «réévalue la dépendance à l’égard d’autres États [c’est-à-dire la Russie et la Chine]».

«La stratégie de mondialisation et la stratégie de sécurité sont deux côtés d’une même médaille et font reconnaître que l’Allemagne devra assumer davantage de responsabilités dans le monde», lit-on ensuite. En clair: les intérêts mondiaux des grandes entreprises allemandes et l’usage de moyens militaires sont les deux côtés d’une même médaille que l’Allemagne doit imposer davantage dans le monde entier.

(Article paru d’abord en anglais le 5 mai 2022)

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