Scholz et Macron se rencontrent à Berlin pour appeler à un renforcement militaire de l’UE contre la Russie

Le 9 mai, à l’occasion de l’anniversaire de la défaite de l’Allemagne nazie lors de la Seconde Guerre mondiale, le chancelier allemand Olaf Scholz et le président français nouvellement réélu Emmanuel Macron se sont rencontrés à Berlin. Ils ont discuté des plans qui visent à accélérer la remilitarisation de l’Allemagne et de l’UE et à intensifier la participation de l’UE à la guerre que l’OTAN mène contre la Russie en Ukraine.

Le chancelier allemand Olaf Scholz, à gauche, accueille le président français Emmanuel Macron, au centre, avec les honneurs militaires avant une réunion à la chancellerie à Berlin, en Allemagne, le lundi 9 mai 2022 (AP Photo/Michael Sohn)

Dans la soirée, les deux hommes ont visité la Porte de Brandebourg, illuminée aux couleurs bleu et jaune de l’Ukraine. On a autorisé quelques centaines de supporters et de journalistes à se rassembler près de Scholz et de Macron et à crier des slogans pro-ukrainiens. Interrogé par les journalistes sur le message que lui et Scholz entendaient faire passer avec leur visite nocturne à la porte de Brandebourg, Macron a répondu: «Soutien total à l’Ukraine».

Plus tôt dans la journée, Scholz avait prononcé un discours qui rejetait toute «paix dictée par la Russie» en Ukraine, après avoir accusé la Russie de mener une «guerre d’extermination» et de «rompre avec la civilisation». Le régime capitaliste réactionnaire du président russe, Vladimir Poutine, fait la guerre en Ukraine, mais le discours de guerre de Scholz, qui assimilait effectivement la Russie au nazisme en tant qu’entité génocidaire qui doit être combattue et détruite, était incendiaire et faux. C’était le coup d’envoi du programme militariste qui allait être défini par Scholz et Macron.

Lors de la conférence de presse commune, Scholz a qualifié la réélection de Macron de «bon signe pour l’Europe». Il a déclaré qu’il y a un accord qui existe depuis longtemps «sur le fait que nos pays ne peuvent maîtriser avec succès les grands défis de notre temps que si nous procédons ensemble et dans le cadre d’une Europe forte et souveraine. Nous voulons continuer sur cette voie ensemble».

Les remarques de Scholz et de Macron n’ont laissé aucun doute sur ce que cela signifiait. Berlin et Paris travaillent à réarmer massivement l’Europe et à l’organiser plus puissamment afin de pouvoir poursuivre leurs intérêts géostratégiques et économiques plus indépendamment de Washington. Toutes les expressions de «paix et liberté», «démocratie» et «justice sociale» – employées à plusieurs reprises par les deux dirigeants au cours de leurs discours – ne peuvent pas cacher ce fait.

Scholz et Macron se sont ralliés à la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie en Ukraine et ont annoncé de nouvelles livraisons d’armes à Kiev. «Nous sommes étroitement et indéfectiblement aux côtés de l’Ukraine», a déclaré Scholz. «Nous les soutenons financièrement, d’un point de vue humanitaire et aussi militairement avec nos livraisons d’armes afin de mettre fin à cette guerre»: c’est-à-dire de vaincre militairement la Russie.

Scholz a décrit le soutien militaire de l’Allemagne à l’Ukraine comme étant «de très grande portée». Ses livraisons d’armes, a-t-il déclaré, sont «une aide très complète qui provient de nos propres stocks en coopération avec notre industrie de la défense et les pays d’Europe de l’Est qui possèdent ce dont l’Ukraine a si urgemment besoin, des armes russes qui peuvent être utilisées immédiatement dans le conflit».

Actuellement, au-delà de la fourniture de ses propres armes lourdes, telles que l’obusier automoteur 2000, Berlin organise ce que l’on appelle des «échanges circulaires» avec les pays d’Europe orientale. Concrètement, cela signifie que les États membres de l’UE et de l’OTAN d’Europe orientale fournissent à l’Ukraine des chars et des missiles de défense aérienne de conception soviétique. En contrepartie, l’Allemagne s’engage à remplacer les systèmes d’armes respectifs par des armes correspondantes de production occidentale et allemande.

Dans le même temps, la Bundeswehr formera les soldats ukrainiens en Allemagne à ces systèmes d’armes. Les futures équipes ukrainiennes de l’obusier automoteur 2000 et les spécialistes techniques auraient débarqué mardi en Rhénanie-Palatinat. La formation doit commencer aujourd’hui à l’école d’artillerie de la Bundeswehr à Idar-Oberstein. Selon un rapport d’expert du service scientifique du Bundestag, l’entraînement de soldats ukrainiens sur le sol allemand constitue une participation à la guerre au sens du droit international.

Outre le soutien militaire à l’Ukraine, Scholz a souligné que l’Allemagne ferait «tout ce qui est nécessaire» pour «renforcer ses propres capacités de défense». Lors d’un sommet spécial du Conseil européen à la fin du mois de mai, il a déclaré: «Nous voulons discuter de la manière dont nous pouvons, dans l’Union européenne, mieux coordonner nos investissements dans la défense et les utiliser plus efficacement. Dans ce contexte, nous voulons naturellement aussi accélérer les projets d’armement franco-allemands».

Les plans de grande envergure en jeu sont évidents dans les documents de politique étrangère tels que le «Plan d’orientation stratégique pour la sécurité et la défense», récemment adoptée par l’UE. À Berlin, Macron a décrit ce document, qui vise à équiper l’UE pour «cette ère de concurrence stratégique croissante» et de «changements géopolitiques majeurs», comme un moyen important d’établir une politique étrangère et de guerre européenne plus indépendante.

Pour atteindre les capacités nécessaires, le document engage les États de l’UE à «dépenser plus et mieux dans la défense» et à procéder à un réarmement massif. Il propose notamment de «développer conjointement des capacités militaires de pointe» dans tous les domaines opérationnels, «telles que des plateformes navales haut de gamme, des systèmes aériens de combat futurs, des capacités spatiales et des chars de combat».

Certains de ces mégaprojets, d’une valeur totale de plusieurs centaines de milliards, tels que le nouveau système aérien de combat futur européen (FCAS) et le système principal de combat terrestre franco-allemand (MGCS), sont actuellement mis en avant. Par exemple, le paquet de réarmement annoncé par Scholz fin février prévoit des dépenses de quelque 34 milliards d’euros pour ces seuls «projets multinationaux d’armement».

Lors de la conférence de presse avec Macron, Scholz s’est vanté de la plus grande campagne de réarmement de l’Allemagne depuis les nazis. Berlin, a-t-il déclaré, va «consacrer en permanence deux pour cent de sa production économique à la défense. Nous avons décidé de lancer un fonds spécial de 100 milliards d’euros afin de faire avancer ce processus et de restructurer les capacités de défense de l’Allemagne», a-t-il déclaré. L’Allemagne dispose déjà d’une «très grande armée conventionnelle», a-t-il ajouté. Il poursuit: «si nous renforçons massivement nos forces armées en conséquence, cela aura bien sûr des effets positifs sur la capacité de défense de l’Europe dans son ensemble».

Macron a soutenu le réarmement de l’Allemagne. «L’Allemagne vient de prendre des décisions de grande portée que je salue expressément», a-t-il déclaré. Macron a également présenté ses propres plans pour rendre l’Europe plus puissante qui ont été appuyés par Scholz. Pour donner à l’Europe «la bonne forme politique et géopolitique», il a préconisé de construire «une communauté politique européenne». Outre la Grande-Bretagne, qui a quitté l’UE le 31 janvier 2020, Macron a également mentionné les pays des Balkans occidentaux et l’Ukraine comme membres potentiels.

En ce qui concerne l’UE, Macron a préconisé de renoncer à l’exigence de l’unanimité dans le processus décisionnel de l’UE. Il a proposé de passer au «vote à la majorité qualifiée» pour «les politiques publiques que nous décidons encore actuellement à l’unanimité… par exemple, la politique fiscale ou la politique de défense». Cela permettrait à l’UE de prendre des décisions plus rapides sur les offensives militaires et sur les politiques d’austérité sociale dans des conditions de guerre à grande échelle et de crise économique sur le continent européen.

En réalité, de larges couches de travailleurs européens sont conscientes que la politique de guerre irréfléchie de l’UE et de l’ensemble de l’alliance de l’OTAN menace de dégénérer en une guerre nucléaire totale OTAN-Russie. Un sondage récent a révélé que 76 pour cent des Français sont préoccupés par le danger d’une guerre nucléaire avec la Russie. Néanmoins, les gouvernements de l’UE font fi de l’inquiétude et de l’opposition populaires massives pour se réarmer et s’emparer de leur part du butin d’un découpage impérialiste de l’ancienne Union soviétique.

De vives tensions s’accumulent en filigrane entre les classes dirigeantes allemande et française, notamment sur la manière dont le butin doit être partagé. Lors de l’élection présidentielle française du mois dernier, l’adversaire d’extrême droite de Macron, Marine Le Pen, a menacé de mettre fin à l’alliance franco-allemande, qualifiant l’Allemagne de «négation absolue de l’identité stratégique française». Si tous les efforts sont pour l’instant déployés pour masquer ces divisions, les conflits au sein de l’UE continuent également de s’intensifier.

Avant tout, la politique de l’UE dépend d’un assaut contre la classe ouvrière. Cela se traduit ouvertement par la promesse électorale de Macron de dépenser des milliards supplémentaires pour l’armée, alors même que la France envoie des centaines de millions d’euros d’armes à l’Ukraine, en réduisant les allocations de chômage et les retraites et en obligeant les bénéficiaires de l’aide sociale à travailler pour obtenir leurs allocations. Cela montre la base objective d’une lutte pour mobiliser et unir les travailleurs à travers l’Europe dans une lutte contre les politiques d’austérité et de guerre de l’UE, et pour les États socialistes unis d’Europe.

(Article paru en anglais le 11 mai 2022)

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