Les réalités auxquelles sont confrontés les six millions de réfugiés ukrainiens

Six millions de personnes ont désormais fui l’Ukraine, selon des données récentes de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, et sept autres millions sont déplacés à l’intérieur du pays. Collectivement, cela représente environ 31% de la population du pays.

Alors que les médias occidentaux cherchent à dépeindre la situation comme si les femmes, les enfants et les hommes âgés qui quittent l’Ukraine se dirigent vers les bras affectueux des gouvernements américains et européens, tous les problèmes sociaux et politiques d’un capitalisme mondial en plein déclin – la pauvreté, les inégalités, l’effondrement du système de santé, les bas salaires, le trafic d’êtres humains, le chauvinisme et le racisme anti-immigrants, et les frontières qui ne peuvent être franchies sans visa – se manifestent dans la crise des réfugiés.

Les États-Unis, qui viennent d’approuver une enveloppe de 40 milliards de dollars pour l’Ukraine, essentiellement consacrée à la transformation du pays en champs de bataille, n’admettront que 100.000 réfugiés. Le programme «Unis pour l’Ukraine», bien qu’ayant reçu 19.000 demandes jusqu’à présent, n’a accordé de visa qu’à 6.000 personnes. Les candidats doivent se soumettre à une vérification de leurs antécédents, à des scans biométriques et, surtout, démontrer qu’ils ont des parrains privés aux États-Unis qui ont les moyens financiers de les soutenir.

Avant le lancement de «Unis pour l’Ukraine», 20.000 réfugiés du pays s’entassaient le long de la frontière sud des États-Unis. S’ils ont pour la plupart été dispersés, allant à Mexico ou retournant en Europe, certains sont encore hébergés dans des abris temporaires tenus par des bénévoles. Washington insiste sur le fait qu’aucun Ukrainien ne sera admis dans le pays ou ne bénéficiera d’un statut légal s’il ne complète pas la procédure d’obtention de visa hors du territoire américain.

Au Royaume-Uni, un représentant du département de l’intérieur a déclaré mercredi à la presse que les Ukrainiens qui se rendent dans le pays sans papiers seront déportés, possiblement vers le Rwanda, déchiré par la guerre, où sont actuellement envoyés les migrants africains. Tout Ukrainien entrant en Grande-Bretagne en transitant de l’Irlande vers l’Irlande du Nord, puis vers la Grande-Bretagne continentale, sera traité comme un immigrant illégal. Le responsable gouvernemental n’a pas voulu dire si les personnes traversant la Manche depuis la France seraient également incluses dans cette catégorie.

Des informations continuent de circuler sur les problèmes liés au programme britannique «Homes for Ukraine». Des migrants, principalement des femmes et des enfants, ont été placés dans des foyers pour lesquels aucune vérification des antécédents criminels n’a été effectuée, alors que cette étape est censée être requise. Actuellement, des efforts sont déployés pour sortir 600 familles ukrainiennes d’endroits qui ont depuis été jugés non sécuritaires. Certains activistes craignent que cette population vulnérable ne devienne la proie des trafiquants d’êtres humains.

De plus, le service national de santé britannique (NHS), qui souffre d’un sous-financement extrême, bien qu’il soit en principe accessible aux Ukrainiens autorisés à entrer sur le territoire, ne peut pas répondre aux besoins de la population. Les activistes en matière de réfugiés notent que les migrants, en particulier les enfants, ont un besoin extrême de services de santé mentale. Ils doivent attendre deux ans pour en bénéficier.

Le Canada, où vivent près de 1,4 million de personnes d’origine ukrainienne et un terreau fertile pour le nationalisme ukrainien d’extrême droite, a fait l’objet de critiques pour n’avoir fourni aucun moyen de se rendre dans le pays nord-américain aux personnes recevant des visas temporaires de trois ans dans le cadre du programme d’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine.

En réponse, Ottawa a annoncé qu’il noliserait trois avions à la fin mai et au début juin pour transporter à peine 900 réfugiés. Ils pourront obtenir des places dans ces avions sur la base du «premier arrivé, premier servi». Une fois au Canada, «un logement gratuit sera offert aux Ukrainiens qui n’ont pas d’endroit convenable pour rester jusqu’à 14 jours», a déclaré un responsable à la Société Radio-Canada. Ce que les personnes originaires de l’un des pays les plus pauvres d’Europe sont censées faire d’elles-mêmes après ces deux semaines n’est toujours pas clair.

L’Allemagne, qui a déclaré qu’elle ne fixerait aucune limite supérieure au nombre de réfugiés ukrainiens qu’elle accueillerait, est, selon la revue américaine Foreign Policy, en train de chasser les Afghans, qui cherchaient un refuge pour fuir les talibans, de leurs appartements afin de faire de la place aux nouveaux arrivants d’Ukraine.

Dans son rapport sur la situation d’un ménage afghan, Foreign Policyécrit: «Amiri et sa famille ont déjà été déplacés deux fois depuis leur expulsion en mars et vivent maintenant dans un ancien hôtel à Reinickendorf, dans la banlieue nord de Berlin, qui est annoncé comme un abri temporaire pour les personnes sans-abri; c’est le troisième logement de la famille en un mois.»

L’Allemagne refuse également l’admission sans visa aux Ukrainiens qui n’ont pas de passeport biométrique ukrainien. Ils sont bloqués en Pologne, qui est le premier pays d’accueil des personnes fuyant la guerre Russie-Ukraine/OTAN. 3.200.000 personnes sont entrées sur son territoire. On ne sait pas combien d’entre elles restent sur place ou se déplacent ailleurs – ou du moins essaient de le faire – car la responsabilité de la gestion de cette population a été largement dévolue aux autorités municipales et locales qui ont du mal à maîtriser la situation.

Les organismes caritatifs, les organisations non gouvernementales, les groupes religieux et les gens ordinaires sont ceux qui fournissent principalement des services, tels que l’aide pour trouver un abri temporaire, de la nourriture et des vêtements, des soins médicaux, la scolarisation, etc. Le maire de Varsovie a récemment décrit la réponse comme une «improvisation».

Il a déclaré que le gouvernement fédéral, tout en autorisant les Ukrainiens à traverser la frontière, n’a apporté qu’un soutien logistique limité. De nombreux efforts sont financés par les budgets municipaux, mais ce sont souvent des bénévoles qui interviennent pour faire le travail sur le terrain, et l’argent alloué ne suffit pas.

Un volontaire polonais a déclaré au New Republicà la mi-avril: «Au début, les buanderies nettoyaient gratuitement les draps dont nous avions besoin; les traiteurs ne faisaient pas payer la nourriture. Cela commence à prendre fin», mais, a-t-il ajouté, «les gens continuent à venir». La situation est particulièrement insoutenable, car la capacité des citoyens à fournir des choses comme le logement en ouvrant leurs maisons aux familles dans le besoin ne peut pas durer des mois, et encore moins des années.

La capitale polonaise a vu sa population augmenter de plus de 15% en deux mois et demi. 300.000 Ukrainiens vivent désormais dans la ville et représentent un habitant sur cinq. Les loyers rapporte le New Republic, «ont augmenté de 15% au cours des deux premières semaines de la guerre – de 26% à Cracovie et de 33% à Wrocław.»L’inflation, qui s’élevait à 12,3% en avril, n’a jamais été aussi élevée depuis 1998.

Varsovie, qui doit maintenant éduquer 120.000 enfants ukrainiens, engage des enseignants réfugiés pour les éduquer à raison de 40 dollars par jour pour six heures de travail, soit un peu plus de 6,50 dollars de l’heure. Ce montant ne suffit même pas à couvrir le loyer moyen pour un appartement d’une chambre. De plus, de nombreux ménages de réfugiés n’ont pas deux revenus, car les hommes en âge de travailler ne sont pas autorisés à quitter l’Ukraine.

Après que le système bancaire polonais ait commencé à entrer en crise en mars parce qu’il n’était pas en mesure de gérer le volume de devises ukrainiennes presque sans valeur que les réfugiés essayaient d’échanger contre des zlotys polonais, une politique a été instaurée selon laquelle les migrants sont assurés de pouvoir échanger 300 euros de hryvnia ukrainienne pendant trois mois. On ignore ce qui se passera après cette période.

D’autres pays plient également sous le poids de la crise des réfugiés. Le petit pays de la Moldavie, qui compte 3 millions d’habitants et est, avec l’Ukraine, l’un des pays les plus pauvres d’Europe, a vu 430.000 réfugiés transiter par son territoire, dont 95.000 sont restés. Avec une croissance économique anémique, une inflation à 22%, la flambée des prix du gaz naturel et les effets durables de la pandémie de la COVID-19, elle ne peut tout simplement pas subvenir aux besoins de cette population.

Les envois de fonds des Moldaves travaillant à l’étranger, qui représentaient 1,5 milliard de dollars en 2020, soit 10% du PIB du pays, se sont également effondrés. Le Fonds monétaire international a même lancé un appel aux puissances étrangères pour qu’elles donnent simplement de l’argent à la Moldavie, afin que le pays, d’une importance géostratégique dans le conflit avec la Russie, n’implose pas.

En mars, l’UE a décidé d’accorder aux réfugiés ukrainiens le «statut de protection temporaire» (TPS), qui leur permet de vivre dans les États membres, ainsi que de bénéficier de certaines prestations sociales et éventuellement de travailler sur une base légale. Cette décision a été présentée par Bruxelles comme un grand acte humanitaire. En effet, c’est plus que ce que les migrants désespérés du Moyen-Orient et d’Afrique – laissés à la noyade en Méditerranée, enfermés dans des centres de détention, soumis à des canons à eau à la frontière, maltraités par la police et déportés – ont reçu.

Cependant, la durée de séjour autorisée par le TPS varie d’un pays à l’autre, de 90 jours à un an. Parfois, mais pas toujours, il est accompagné d’une possibilité de renouvellement. Pendant ce temps, les réfugiés doivent demander un permis de travail à plus long terme ou l’asile permanent en passant par des canaux officiels complètement surchargés, avec des attentes interminables et des obstacles bureaucratiques. Beaucoup seront refusés et renvoyés en Ukraine, que cela soit sécuritaire ou non.

De plus, il est clair que certains au sein de l’UE considèrent largement les réfugiés ukrainiens comme une main-d’œuvre rentable et à rabais. «Nous pouvons déjà voir combien de personnes originaires d’Ukraine travaillent légalement en Pologne, occupant souvent des emplois dont les Polonais ne veulent pas, il est donc évident que l’aide est mutuelle», a récemment déclaré le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki. Les emplois que les Polonais «ne veulent pas» sont ceux dont les salaires et les conditions de travail sont inférieurs aux normes.

Également, le statut TPS est refusé à ceux qui ne peuvent pas prouver leur citoyenneté ukrainienne, comme les Africains qui étudiaient en Ukraine lorsque la guerre a éclaté et les réfugiés du Moyen-Orient qui utilisaient l’Europe de l’Est comme point de transit. Les Roms ayant une double nationalité se voient également refuser l’entrée dans l’UE. La République tchèque, par exemple, vient d’instaurer de nouvelles règles obligeant les réfugiés à présenter une preuve d’identité dans le but exprès de les empêcher d’entrer.

Lorsqu’ils sont relevés dans la presse, ces faits sont fréquemment attribués au racisme. Cela joue un rôle, les États de l’UE ayant longtemps encouragé les formes les plus répugnantes de préjugés et de discrimination anti-arabes, anti-africains et anti-roms.

Mais la question centrale n’est pas la couleur de peau ou les origines des réfugiés. C’est le fait que les Ukrainiens fuient une guerre prétendument créée dans son intégralité par le dictateur Vladimir Poutine et sa haine de la «liberté» et de la «démocratie». Les réfugiés ukrainiens, pions dans la quête de domination de l’Amérique et de l’Europe, sont donc facilement utilisés dans la propagande anti-russe qui prépare le terrain pour que les États-Unis et l’OTAN lancent une guerre directe contre Moscou. Ainsi, ils bénéficient pour l’instant d’un traitement relativement sympathique dans les médias et d’une certaine aide gouvernementale.

En revanche, les réfugiés d’Irak, d’Afghanistan, de Libye, de Syrie et d’ailleurs tentent de quitter des régions où la force motrice est la destruction totale de ces régions par les États-Unis et leurs alliés. Et ceux qui fuient l’Afrique tentent d’échapper à la violence et à la pauvreté désespérée qui sont les produits du viol colonial et néocolonial du continent. En dehors de leur utilité pour attiser le chauvinisme anti-immigrant dans le but de détourner la colère sociale vers la droite, pour Washington et Bruxelles, ces réfugiés sont largement traités comme des déchets humains.

Au fur et à mesure que la crise déclenchée par la guerre s’aggrave, les réfugiés ukrainiens, comme leur pays, seront également brutalisés.

(Article paru en anglais le 14 mai 2022)

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