Le gouvernement de la pseudo-gauche chilienne envoie la police briser la grève et arrêter les travailleurs d’une raffinerie

Lundi dernier, au moins 180 travailleurs sous-traitants montant un piquet de grève à cinq entrées de la raffinerie de pétrole de Hualpén et du terminal maritime de San Vicente dans la région de Bíobío, à 500 km au sud de Santiago, ont été attaqués par des dizaines de policiers anti-émeute avec des boucliers, des canons à eau, du gaz poivré et des gaz lacrymogènes. Onze ouvriers ont été arrêtés. L'administration chilienne de pseudo-gauche récemment élue de l'ancien étudiant radical Gabriel Boric avait ordonné aux forces spéciales des carabiniers de briser le piquet devant l'une des principales raffineries de pétrole du Chili.

Des carabiniers attaquent des travailleurs sous-traitants de la raffinerie ENAP en grève, le 9 mai (source: Cristofer Espinoza, Cooperativa)

Les préparatifs de la répression ont été effectués par le gouvernement au cours du week-end du 7 et 8 mai, après que l'entreprise publique, l’Entreprise pétrolière nationale (ENAP), a faussement affirmée le 6 mai que le sud du Chili, de Biobio à Araucania, souffrirait de pénuries d'essence, de diesel et de kérosène en moins d'une semaine si la grève continuait.

Dans un communiqué, l'ENAP s'est dite obligée d'arrêter «100%» des opérations logistiques et de distribution de carburant dans le sud du pays et a affirmé avoir été poussée dans «cette situation extrême» par la «réticence [du syndicat] FENATRASUB à engager le dialogue…»

Quelques semaines auparavant, cependant, Julio Aranis, le nouveau directeur général, avait informé les médias d'un programme de maintenance à effectuer dans les plus de 20 usines de la raffinerie Hualpén à Biobio. En d'autres termes, les perturbations prévues ont obligé la raffinerie à stocker plusieurs mois de carburant.

«Il s'agit de la maintenance la plus importante et la plus nécessaire que l'ENAP ait réalisée au cours de ses plus de 70 ans d'existence», a expliqué Aranis, ajoutant que l'opération de 87 millions de dollars sur deux mois «générera, à son pic d’activité, une opportunité d'emploi pour presque 2.000 travailleurs externes».

Cet alarmisme a provoqué des achats de panique et des files d'attente de centaines de mètres dans des stations-service dans le sud du Chili au cours du week-end.

Sachant très bien qu'il n'y avait aucune possibilité de pénurie, le ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique Izkia Siches a repris néanmoins les arguments de la raffinerie. Elle a déclaré que le transport de carburant était un domaine «stratégique» pour le pays, s'engageant à prendre toutes les mesures nécessaires pour «maintenir l'approvisionnement et garder les routes dégagées pour l'ENAP qui est une industrie stratégique».

«Notre déléguée a eu des entretiens avec les différentes équipes de contractuels (et) nous espérons aboutir à une solution rapide», a-t-elle poursuivi, «mais sans aucun doute notre gouvernement a le devoir d'assurer le libre transit et évidemment l'approvisionnement de tout le pays».

Cela a été rapporté dans les médias comme signifiant que le gouvernement stalinien de pseudo-gauche appliquerait la loi sur la sécurité de l'État, un instrument d'État policier étroitement associé à la dictature militaire pour criminaliser toute forme d'opposition sociale à son régime.

Boric a répondu que c'était précisément la menace qu’il agitait: «Nous travaillons d'abord sur la voie, qui est l'esprit de notre gouvernement, qui est précisément le dialogue», a-t-il déclaré.

«Mais, bien sûr, en tant qu'État, nous avons le devoir de garantir l'approvisionnement, en l'occurrence en carburant, de toutes les régions du pays. J'espère que par le dialogue, nous parviendrons à un accord, sinon le gouvernement devra bien sûr procéder en conséquence.»

Au cours de ses deux mois au pouvoir, il est devenu clair pour des masses de gens que les appels sans fin de Boric au «dialogue» sont un euphémisme pour étouffer la lutte des classes. La classe ouvrière, les jeunes, les communautés paysannes indigènes et les secteurs populaires, croyaient à tort que l'élection d'un front de partis soi-disant de gauche - Frente Amplio, le Parti communiste et d'autres qui composent l'Apruebo Dignidad — accueillerait et même encouragerait une lutte active pour améliorer leur position sociale.

C'est l'illusion qui leur a été vendue en l’occurrence par la FENATRASUB (la Fédération nationale des travailleurs des sous-traitants), qui a invité en septembre dernier le candidat présidentiel de l'époque, Boric, à s'adresser aux travailleurs et lui a demandé de s'engager à intervenir en leur faveur en échange de leur vote.

«C'est ainsi que le gouvernement nous renvoie l’ascenseur», a déclaré Victor Sepulveda, le président du syndicat. « Le même gouvernement pour lequel vous avez voté aujourd'hui nous paie avec cela, avec la répression. Tous ceux qui ont voté pour Boric aujourd'hui reçoivent ceci en retour et ils le conserveront dans la mémoire des travailleurs du Chili. C'est le paiement de ce gouvernement. Un gouvernement de travailleurs avec un faux discours, qui au lieu de nous soutenir, nous réprime.

Pourtant, dans le même souffle, le syndicat continue d'appeler le gouvernement à participer aux négociations tripartites.

Malgré la répression, les travailleurs ont refusé de reculer et restent en grève.

Le piquet de grève des travailleurs avant la répression policière (source : FENATRASUB)

L'idée maîtresse de leur demande est d'éliminer l'écart entre les travailleurs des sous-traitants et ceux de l'usine grâce à la renégociation d'un accord-cadre, qui stipule les avantages que les entreprises contractantes doivent inclure au début du processus d'appel d'offres. En 2021, la raffinerie a imposé un accord qui a gelé indéfiniment les conditions existantes.

Comme tant d'autres politiques de libre marché qui ont dépouillé la classe ouvrière de ses droits et de ses conditions, la dictature militaire a ouvert la porte à la sous-traitance en 1975. Mais c'est sous les gouvernements de centre-gauche de la Concertación que cette forme d'emploi est devenue omniprésente dans tous les secteurs de l'économie, y compris l'exploitation minière, l'agriculture, la pêche, la construction et la grande distribution.

Certains employés des sous-traitants sont dans l'entreprise depuis les années 1980 et les revenus, les avantages et les conditions ne se sont pas améliorés en 15 ans. Ils manquent même d’une couverture d'assurance maladie complète, de subventions pour la scolarité, de primes de Noël adéquates et de congés annuels.

Cela a été aggravé pendant la pandémie lorsque l'ENAP, invoquant des difficultés financières, a licencié des sous-traitants pendant trois mois, obligeant ces travailleurs à vivre de leurs propres économies. De plus, l'ensemble de la main-d'œuvre s'est vu refuser les primes de Noël, un paiement indispensable qui leur permet de traverser la période des vacances.

Les syndicats ont cependant fait tout ce qui était en leur pouvoir pour maintenir la grève isolée.

La Fédération nationale des travailleurs des sous-traitants regroupe plusieurs syndicats représentant des centaines de travailleurs sous-traités de l'ENAP, qui, outre Hualpén, possède des raffineries dans les régions de Magallanes et de Valparaíso. Pourtant, ces travailleurs n'ont pas été sollicités pour rejoindre la grève.

Les syndicats représentant les employés permanents de l'ENAP n'ont pas non plus soutenus la grève. Après être resté silencieux pendant les premiers jours de la grève, déclenchée le 2 mai, Nolberto Díaz, président de la Fédération nationale des syndicats des travailleurs du pétrole (FENATRAPECH), a pratiquement condamné le piquet au motif qu'il «mettait en danger la livraison des carburants dont la population a besoin…». Un argument plus à droite ne saurait être avancé.

Depuis la répression policière, dans un acte de cynisme, la propre coalition gouvernementale, Apruebo Dignidad, composé du Frente Amplio de la pseudo-gauche et du Parti communiste stalinien, a publié diverses déclarations condamnant l'action. Les bureaucraties syndicales se sont également manifestées pour faire des déclarations alambiquées soutenant les travailleurs, sachant très bien que garder le silence constituerait un consentement à la répression policière par un gouvernement qu'elles ont promu.

Pourtant, ni la Central Unitaria officielle Trabajadora, CUT (Confédération syndicale) ni la bureaucratie syndicale d'opposition anarcho-syndicaliste, la Central Clasista de los Trabajadores y Trabajadoras (CCTT), n’ont lancés un appel à leurs membres à défendre leurs frères et sœurs de classe. Le faire reviendrait à nier leur raison d’être.

Il a fallu deux mois au gouvernement Boric pour pratiquement réduire en lambeaux non seulement un accord, mais aussi sa crédibilité politique auprès de sections croissantes de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 14 mai 2022)

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