Le personnel infirmier de Madrid en grève illimitée contre le travail temporaire et les mauvaises conditions de travail

Depuis une semaine, 11.000  médecins et travailleurs de la santé sont en grève à Madrid, la capitale espagnole et région la plus densément peuplée du pays, pour défendre les effectifs et les services et pour de meilleurs salaires et conditions de travail dans ce secteur.

Dans le monde entier, des grèves éclatent contre les conditions créées par plus de deux ans de pandémie de COVID-19 et des décennies de privatisations et de subordination des soins de santé au profit. À Los Angeles, des milliers de travailleurs de la santé ont fait grève au Cedars-Sinai Medical Center pour des conditions de travail sûres, plus de personnel et de meilleurs salaires. Dans tous les États-Unis, des dizaines de milliers d’infirmières se sont mobilisées pour défendre leur collègue RaDonda Vaught qu’on voulait mettre en prison pour une erreur médicale en 2017.

En Allemagne, la grève du personnel infirmier des hôpitaux universitaires de Rhénanie-du-Nord–Westphalie touche désormais ceux d’Aix-la-Chapelle, Bonn, Düsseldorf, Essen, Cologne et Münster. En Turquie, 20.000  médecins se sont mis en grève dans tout le pays la semaine dernière, pour réclamer de meilleurs salaires et prestations sociales.

Durant la pandémie de COVID-19, le personnel des hôpitaux, infirmier et autre, a travaillé partout sans équipement de protection individuelle approprié et dans des conditions horrifiantes. La politique du «profit avant la vie» de la classe dirigeante, mise en œuvre conjointement par les gouvernements et les syndicats, a conduit à une surcharge de travail constante où il doit s’occuper d’un flot ininterrompu de malades luttant contre la mort, sans fin de la pandémie en vue.

Cette politique criminelle face à la pandémie a entraîné près de 20  millions de morts dans le monde. De nombreux agents de santé ont contracté la COVID-19 et en sont morts. Beaucoup ont subi le traumatisme psychologique et émotionnel d’être témoins de la mort à grande échelle.

La grève de Madrid a été déclenchée par la décision du gouvernement droitier du PP (Parti populaire), dirigé par Isabel Díaz Ayuso, d’imposer soudain de nouveaux examens de la fonction publique, lui permettant de licencier plusieurs milliers de travailleurs de la santé. Beaucoup ont travaillé des années ou des décennies dans le secteur de la santé, démontrant ainsi amplement leur qualification pour les emplois de travailleurs contractuels temporaires qu’ils occupent actuellement. La mesure sans précédent d’Ayuso mettrait au chômage des milliers de personnels médicaux expérimentés.

Le mois dernier, Ayuso a refusé de renouveler les contrats de plus de 6.000  travailleurs de la santé, engagés comme personnel de santé de renfort durant la pandémie.

Depuis des décennies, le gouvernement régional PP de Madrid abuse des contrats de travail temporaires pour ses hôpitaux publics, utilisant les réformes du Travail des gouvernements successifs du PSOE (Parti socialiste), du PP et maintenant de PSOE-Podemos, soutenues par les principaux syndicats espagnols, l’UGT (Union générale du travail) social-démocrate et les CCOO (Commissions ouvrières) staliniennes.

Plus de la moitié des 12.000  médecins des hôpitaux publics sous le contrôle du gouvernement régional ont des contrats temporaires depuis des années, dont 82  pour cent des médecins de soins intensifs. Dans certaines spécialités, cela fait vingt ans qu’on n’a pas fait passer les examens de la fonction publique nécessaires pour obtenir une plus grande sécurité d’emploi.

L’année dernière, après des années de protestations et de grèves, le gouvernement PSOE-Podemos a adopté la Loi nationale 20/2021 sur la réduction de l’emploi temporaire dans la fonction publique. L’objectif était de réduire les contrats temporaires de 800.000  fonctionnaires qui risquaient de perdre leur emploi après 10, 20 ou 30  ans de contrats temporaires. La nouvelle loi laissait toutefois à chaque région le soin de choisir comment procéder. Les emplois, les conditions de travail et les effectifs minimums, ainsi que le développement professionnel n’ont jamais été garantis.

Quelques jours avant l’adoption de la loi, le gouvernement régional du PP a imposé des examens de service civil pour 4.726  postes. Une mesure réactionnaire. Les candidats devront répondre à des questions à choix multiples, basées sur la mémorisation de connaissances médicales générales. Les médecins exigent que le gouvernement régional du PP suspende les examens traditionnels de la fonction publique et les remplace par un concours fondé sur le mérite.

La grève illimitée a été lancée par la Plate-forme des Médecins, Docteurs non fixes et Médecins de Madrid, Somos Urgencias, et le syndicat de médecins Amyts. Les syndicats CCOO, UGT, CSIT et Satse ont mis fin à la grève après que le ministère de la Santé de la région a conclu avec eux un accord prévoyant la titularisation de 1.600  professionnels de la santé par le biais d’un examen fondé sur le mérite. Amyts juge cette mesure «insuffisante», car «elle ne couvre pas les milliers de médecins temporaires».

Le gouvernement régional du PP a réagi en tentant d’écraser la grève par des exigences draconiennes de service minimum. Pour les consultations externes, 50  pour cent du personnel sont tenus de se rendre au travail; dans les soins urgents, ce chiffre passe à 100  pour cent. Ceux-ci comprennent les dialyses, les urgences, la réanimation, les soins intensifs, l’hospitalisation, les salles d’opération, l’anatomie pathologique, l’hôpital de jour d’oncologie et le SIDA, la pharmacie, l’imagerie diagnostique, les laboratoires, le prélèvement et la transplantation d’organes, la radiothérapie, l’hémodynamique, l’admission et le classement.

Dans les faits, le droit de grève des médecins est interdit. Les syndicats, y compris le petit Amyts qui a maintenu l’appel à la grève, ont refusé d’organiser une lutte contre les ‘services minimums’ et d’étendre la lutte à d’autres fonctionnaires confrontés à des luttes similaires, comme dans l’éducation.

Les grévistes ont quand même organisé de grandes manifestations et rassemblements devant plusieurs hôpitaux de la ville de Madrid. Mardi dernier, des centaines de médecins se sont rassemblés devant l’Assemblée régionale en scandant «Nous prenons soin de vous, nous sommes maltraités» et «Dignité professionnelle, contrats permanents maintenant».

À l’hôpital Doce de Octubre de Madrid, un grand groupe d’environ 200  médecins, en costumes verts et en blouses blanches, a occupé tout le large escalier d’entrée et les portes de l’hôpital. Là, ils ont crié contre la précarité de l’emploi, mégaphone en main, derrière une grande banderole où l’on pouvait lire «Dignité professionnelle». Ces protestations se sont répétées devant chaque grand hôpital de la région ces dernières semaines.

À Ciudad Real, une autre grève illimitée des travailleurs de l’«aide à domicile» qui assistent les personnes handicapées ou ayant des besoins de santé complexes et vivant à domicile, a repris la semaine dernière, après avoir été suspendue par les CCOO et l’UGT la semaine dernière «en signe de bonne foi.» Ces travailleurs luttent contre les bas salaires et les abus généralisés des employeurs en matière de contrats à temps partiel et précaire. Comme à Madrid, on a imposé des exigences de service minimum de 50 à 100  pour cent de personnel pendant les grèves.

Une telle tentative de sabotage syndical doit être vue comme un avertissement par les travailleurs de la santé et d’autres secteurs, en Espagne et dans le monde. Un puissant mouvement international des travailleurs de la santé est en train de se développer. La lutte pour ses revendications exige toutefois de rompre avec les bureaucraties syndicales. Il lui faut aussi s’opposer aux partis réactionnaires pseudo-de gauche comme Podemos qui a fait au gouvernement une politique d’acceptation de la contamination de masse à la COVID-19.

Les syndicats espagnols ont isolé la grève massive des métallurgistes à Cadix et celle des camionneurs de toute l’Espagne, permettant aux forces de police de les attaquer violemment. Politiquement affiliés aux deux partis au pouvoir, ils sont impliqués dans toutes les politiques qui ont rendu la vie des travailleurs de la santé intolérable durant la pandémie de COVID-19.

La tâche essentielle consiste pour les travailleurs de la santé à créer des comités de la base, indépendants des syndicats, dans les hôpitaux d’Espagne et du monde, afin de retirer la lutte des mains des bureaucrates syndicaux. C’est la seule façon de lutter pour des effectifs suffisants, des hausses de salaire, des services de santé mentale, une injection massive de fonds dans les soins de santé et la fin de la subordination de la santé au profit privé.

(Article paru d’abord en anglais le 16 mai 2022)

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