Les grèves se multiplient en Espagne contre la hausse du coût de la vie

La lutte des classes éclate en Espagne. Des grèves de dizaines de milliers de travailleurs ont éclaté dans de nombreux secteurs d’activité. Tous réclament une augmentation des salaires dans un contexte d’inflation galopante, de meilleures conditions de travail et le remplacement du travail temporaire par des emplois à temps plein.

Ces grèves font suite à l’échec des négociations sur le cinquième accord pour l’emploi et la négociation collective (AENC) entre la Confédération des organisations patronales espagnoles (CEOE) et les syndicats. Les deux principaux syndicats sont les Commissions des travailleurs (CCOO) liées à Podemos et l’Union générale des travailleurs (UGT).

L’AENC est une sorte d’«accord sur les conventions collectives» qui définit un cadre national pour les contrats et les augmentations de salaires. À l’heure actuelle, les syndicats et la CEOE conviennent que les salaires doivent augmenter moins que le taux d’inflation actuel de 8,3 pour cent. Les syndicats demandent des augmentations de 3,5 pour cent en 2022, de 2,5 pour cent en 2023 et de 2 pour cent en 2024. La CEOE exige de son côté que les travailleurs laissent l’inflation ronger leur pouvoir d’achat encore plus rapidement. Cela signifie que les syndicats négocient en réalité l’ampleur de la réduction des salaires réels qu’ils peuvent imposer à leurs membres sans provoquer une explosion sociale.

Les syndicats ont depuis menacé de faire des grèves et des manifestations «entreprise par entreprise» pour «lutter» contre ces réductions du pouvoir d’achat. Actuellement, 9 millions de travailleurs en Espagne travaillent sans ou sous une convention collective ayant expirée, sur les heures de travail, le calendrier et le salaire.

La stratégie «entreprise par entreprise», cependant, sabote efficacement toute tentative d’unir les luttes des travailleurs à travers les différentes industries, régions et échelles salariales. Cela apparaît clairement dans les grèves qui ont déjà éclaté.

Dans la province de La Corogne, 16.000 métallurgistes se sont mis en grève les 5, 12 et 18-19 mai, autorisés par les syndicats CCOO et UGT. Ils réclament la récupération du pouvoir d’achat, des clauses de révision salariale pour protéger le pouvoir d’achat, l’extension de ces droits aux travailleurs des entreprises sous-traitantes, la limitation du travail intérimaire et la réglementation des travaux toxiques, pénibles et dangereux.

L’UGT et les CCOO ont appelé 20.000 métallurgistes à une grève illimitée dans la Cantabrie voisine à partir du 2 juin. Ils ne tentent à aucun moment d’unir les métallurgistes de La Corogne et de Cantabrie. En Cantabrie, affirment les syndicats, l’objectif est de «faire pression» sur Pymetal, la grande association d’entreprises du secteur métallurgique de la région. Pymetal veut une augmentation de salaire de 2 pour cent en 2021, de 2 pour cent en 2022 et de 2,25 pour cent en 2023, bien en deçà du taux d’inflation actuel de 8,3 pour cent.

Les syndicats exigent des augmentations salariales égales à l’inflation, mais qualifient leur propre politique d’«extrême» et se préparent à la trahir dès que possible. Ils affirment que le long report de la grève en Cantabrie, destiné à éviter qu’elle ne se croise avec celle de La Corogne, donne à Pymetal «plus de 15 jours de marge» pour remédier aux «injustices» du secteur.

Le 13 mai, les syndicats ont appelé à une grève nationale des travailleurs des centres d’appels pour obtenir des augmentations de salaire, dans un secteur où le salaire mensuel moyen est de 800 euros pour une semaine de 30 heures. Selon les syndicats, près de 85 pour cent des 120.000 travailleurs se sont mis en grève. Au cours des trois dernières années, les travailleurs du secteur ont perdu environ 16 pour cent de leur pouvoir d’achat. Après cela, les syndicats ont déclaré qu’ils appelleraient à une grève d’un jour par mois jusqu’à ce qu’une nouvelle convention collective soit signée, mais ils ne demandent qu’une augmentation de salaire symbolique.

Le même jour, environ 11.000 travailleurs des secteurs textile, général et du cuir et de la chaussure du Pays basque se sont mis en grève à l’appel des syndicats nationalistes basques. Des centaines de manifestants ont défilé à Bilbao, la capitale de la région. On n’a pas renégocié les conventions collectives depuis 2015 pour le secteur du textile, 2018 pour le cuir et 2007 pour la chaussure.

Mercredi dernier, à Barcelone, des centaines de chauffeurs de taxi sont descendus dans la rue pour l’une des plus importantes manifestations de l’histoire du secteur du covoiturage en Catalogne. La manifestation a rassemblé près de 4.000 véhicules. Les syndicats et associations de taxis souhaitent que le rapport entre les taxis et les services de covoiturage soit fixé à 30 pour 1. Des dizaines de taxis ont rempli les trois voies centrales au cœur de la Gran Via de Barcelone, puis se sont dirigés vers le Parlement de Catalogne à faible allure.

Toujours en Catalogne, les enseignants ont mené des arrêts de travail hebdomadaires contre des décennies d’austérité dans le système d’éducation publique voté par les gouvernements régionaux nationalistes catalans successifs, ainsi que contre la dernière décision réactionnaire de la Cour suprême d’exiger que 25 pour cent des cours se déroulent en espagnol et non en catalan.

Dans la région de Madrid, 11.000 médecins ont mis fin à leur grève de 10 jours contre les contrats d’intérim, qui représentent plus de 50 pour cent de l’emploi total. Les CCOO et l’UGT avaient déjà trahi la grève, mais d’autres syndicats et associations médicales ont poursuivi la grève pour réclamer 3.000 contrats fixes. Finalement, la grève a été trahie après que la région en ait accepté 2.500, dans un contexte de colère massive des médecins grévistes qui voulaient poursuivre la grève jusqu’à ce que leurs revendications soient obtenues.

Ces dernières semaines, des grèves de moindre ampleur ont éclaté dans tout le pays, impliquant des centaines de travailleurs. Il s’agit notamment des travailleurs des hôpitaux et des cliniques de santé mentale d’Osakidetza au Pays basque, des maisons de retraite de Navarre, des travailleurs du nettoyage de Bizkaia, des travailleurs des transports publics de Terrassa et d’Ourense et des travailleurs de l’usine LGC de Cordoue. À Barcelone, 200 travailleurs du détaillant de vêtements H&M ont déclenché plusieurs grèves pour réclamer une prime salariale pour les langues.

Les appels à de nouvelles grèves se multiplient. Les pilotes et le personnel de cabine de Ryanair pourraient faire grève cet été, en Espagne et dans d'autres pays européens.

Chez Correos, l'entreprise publique espagnole de services postaux, CCOO et UGT ont appelé à une grève les 1er, 2 et 3 juin contre le démantèlement du service postal public.

La recrudescence de la lutte de classe en Espagne fait partie d’un mouvement international émergeant de la classe ouvrière contre l’inflation et l’augmentation des inégalités qui est accéléré par la guerre de l’OTAN et de l’UE contre la Russie et la poursuite de la pandémie de COVID-19. Aux États-Unis, une série de grèves et de protestations sociales puissantes ont éclaté dans différentes industries contre les conditions sociales intolérables et les niveaux vertigineux d’inégalité sociale. Au Sri Lanka, des grèves et des manifestations antigouvernementales de masse appellent au renversement de la présidence exécutive répressive du pays.

Comme l’a noté le WSWS: «Les travailleurs du monde entier affrontent non seulement des patrons ou des entreprises individuelles, mais aussi de puissantes institutions financières mondiales soutenues par les gouvernements, la police et les armées du monde entier».

En Espagne, les travailleurs font face au gouvernement du Parti socialiste (PSOE) — Podemos, qui réprime violemment les grèves. Lors de la grève de 22.000 métallurgistes à Cadix l’année dernière, le gouvernement a envoyé la police antiémeute et des véhicules blindés. Contre la grève des chauffeurs routiers du mois dernier, le gouvernement a lancé une répression brutale, arrêtant et condamnant à des amendes des centaines de grévistes et déployant plus de 23.000 policiers — le plus grand déploiement jamais effectué contre une grève en Espagne.

Mais outre la police et l’armée, la principale arme du PSOE-Podemos contre la lutte des classes, ce sont les syndicats, qui isolent les grèves, acceptent des réductions du niveau du salaire réel et maintiennent la production.

Pour sortir de l’isolement imposé par les syndicats, les travailleurs doivent être mobilisés indépendamment des bureaucraties syndicales et de Podemos. Dans le même temps, la faillite des syndicats et le caractère impitoyable de la classe dirigeante démontre la nécessité pour les travailleurs de s’unir au niveau international. L’alternative, comme l’a expliqué le Comité international de la Quatrième Internationale, est de construire l’Alliance internationale des travailleurs des comités de base. De tels comités doivent se mobiliser dans une lutte pour des politiques socialistes contre l’exploitation et la guerre impérialiste.

(Article paru d’abord en anglais le 23 mai 2022)

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