L’échec des politiques de lutte contre la pandémie de COVID-19: un entretien avec Arijit Chakravarty de Thérapeutique fractale

Le 6 mai 2022, le Washington Postpubliait un rapport glaçant selon lequel le gouvernement Biden avertissait que les États-Unis pourraient connaître cent millions d’infections au coronavirus avec une «vague potentiellement importante de décès cet automne et cet hiver». Le haut fonctionnaire du gouvernement, dont le nom n’a pas été cité, a expliqué que les prévisions étaient basées sur «une série de modèles extérieurs de la pandémie».

D’autres experts en santé publique ont convenu qu’avec la prédominance d’Omicron et la diminution de l’immunité par les vaccins et les infections, en conjonction avec le relâchement complet de toutes les mesures d’atténuation de la pandémie, une telle prédiction était conforme aux anticipations. Justin Lessler, épidémiologiste à l’école de santé publique mondiale Gillings de l’université de Caroline du Nord, a déclaré au Post que, «Ce qu’ils disent semble raisonnable — c’est le versant pessimiste de ce que nous avions prévu dans la modélisation du scénario COVID-19.»

Début avril, le magazine Fortunea interviewé Arijit Chakravarty, PDG de Fractal Therapeutics, au sujet d’une étude de modélisation récente qui a été téléchargée dans le journal de préimpression medrxiv affilié au Lancet:«L’endémicité n’est pas une victoire — les risques non négligeables d’une transmission généralisée du SRAS-CoV-2» (Endemicity is not a victory-the unmitigated downside risks of widespread SARS-CoV-2 transmission). Dans ce document, leur analyse de modélisation correspond aux prévisions de la Maison Blanche concernant les taux d’infection de l’automne et de l’hiver. Ils ont également averti que des centaines de milliers de décès pourraient résulter de ces infections chaque année. Chakravarty a déclaré à Fortune: «Il ne s’agit pas d’une prédiction spécifique sur l’avenir. Nous ne disons pas que la fin du monde aura lieu le mardi 7 avril 2024. Mais l’objectif est que les gens se disent: «Bon sang, certains scénarios sont vraiment très mauvais».

Fractal Therapeutics est une société de services scientifiques basée à Cambridge, dans le Massachusetts qui «offre des services de développement et de découverte de médicaments basés sur des modèles qui contribuent à rendre la R&D de médicaments plus efficace.» La pandémie de COVID-19 est apparue comme une menace mondiale au début de l’année 2020. La société a donc décidé d’employer son expertise en matière de modélisation pour «construire une compréhension plus claire des risques pour la santé publique» associés aux politiques mises en œuvre par le CDC (Centres de contrôle et de prévention des maladies) et la Maison Blanche ainsi que les agences sanitaires internationales en général.

Le World Socialist Web Sitea contacté le PDG Arijit Chakravarty pour une interview afin de discuter de la pandémie et de leurs nombreux rapports dont les résultats et la précision des prédictions ont des implications de grande portée.

Benjamin Mateus [BM]: Bonjour. Merci d’avoir pris l’appel pour discuter de votre travail sur le COVID-19. Où êtes-vous maintenant?

Arijit Chakravarty [AC]: Heureux de vous parler. Nous sommes basés à Cambridge, au Massachusetts, mais je partage mon temps entre Cambridge, Boston et Washington D.C.. Je suis à D.C. en ce moment.

BM:Ma première question pour vous commence par un étonnement. J’ai parcouru certaines des études que votre équipe de Fractal Therapeutics a menées. J’en ai été très surpris. Elles sont fort innovantes et réfléchies. Comment une entreprise qui travaille sur le développement de médicaments basés sur la modélisation est-elle passée à la modélisation de la pandémie de COVID?

Arijit Chakravarty [Photo: Arijit Chakravarty]

AC:Nous sommes toujours une entreprise de développement de médicaments basés sur la modélisation et nous vendons des services de modélisation mathématique aux entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques qui cherchent à faire progresser leurs molécules.

Mais lorsque la pandémie a commencé, bien que, personnellement, je sois biologiste dans l’industrie depuis de nombreuses années — j’ai une formation en modélisation mathématique — indépendamment de cela, la pandémie a eu un impact direct sur tout le monde.

J’avais un sérieux conflit d’intérêt! Personne n’a vraiment envie d’avoir le COVID encore et encore!

Ainsi, lorsque nous avons commencé à observer la situation depuis les coulisses, nous avons plongé dans ce domaine et nous nous sommes dit: «Bon sang, c’est intéressant», car il y avait déjà très tôt des lacunes dans la littérature et dans ce que les gens disaient. Certaines choses n’avaient pas de sens.

BM:Par exemple ?

AC:Par exemple… Les gens n’arrêtaient pas de parler de la «règle des six pieds» [distance de deux mètres]. Nous sommes des scientifiques. Donc, nous avons creusé la question, «Quelle est la science derrière la règle des six pieds?» Et nous avons réalisé qu’il n’y avait aucune science derrière la «règle des six pieds». [Les CDC recommandent que les personnes non vaccinées ou à haut risque, quand ils se trouvent dans des lieux publics intérieurs, doivent maintenir une distance de six pieds afin d’atténuer l’infection par le COVID-19. Cependant, la nature aérienne de la maladie rend cette recommandation discutable, car une telle distance de sécurité n’existe pas.]

Et puis plus tard, ils ont dit que vous n’aviez pas besoin de masques. Nous avons demandé à nouveau: «Quelle est la science derrière cette recommandation?» Et, encore une fois, il n’y a en a pas. Et petit à petit, l’aiguille de l’anxiété de mon équipe et de moi-même n’a cessé de grimper.

Quand c’est devenu clair dans quel sens nous allions… que nous allions donner le vaccin à tout le monde et revenir à la normale, c’est là que nous avons commencé à nous gratter la tête. Parce que nous savions à ce moment-là (c’était au printemps 2020) qu’il s’agissait d’un coronavirus, et nous savions que vous pouviez contracter des maladies à coronavirus à plusieurs reprises. Et là, vous aviez des gens qui parlaient d’immunité collective. Et nous savions que les coronavirus et les vaccins ne font pas bon ménage.

Nous avons vraiment commencé à examiner tout cela et nous nous sommes dit: «Nous devrions nous impliquer dans cette affaire». Ce que nous avons fait au départ, c’est de trouver un tas d’idées différentes pour des propositions de subventions, et de les mettre sur la table. Nous avions essentiellement trois solutions en tête au début. La première était qu’on devrait distribuer largement un prophylactique intranasal que les gens pouvaient se vaporiser dans le nez aussi souvent que nécessaire. La deuxième était une thérapie pour les maladies aiguës. Et le troisième était une thérapie pour les maladies chroniques. Et nous nous sommes dit: «Lançons-nous sur cette voie parce que, très bientôt, le marché sera inondé de ces produits thérapeutiques parce que tout le monde le fera.» Nous pensions que nous serions inondés de fonds parce que c’est une crise et que tout le monde, toutes les sociétés pharmaceutiques vont travailler sur ce sujet. Alors, on s’est dit: «Prenons de l’avance!»

Ça ne s’est pas passé comme ça. On a rejeté nos demandes de subventions. Nous avons soumis de nombreux projets. Mais on les a rejetés. Les évaluateurs nous ont dit que c’était un problème déjà solutionné, parce que les vaccins allaient le résoudre.

Et c’est à ce moment-là que nous avons lentement commencé à réaliser qu’il ne s’agissait pas de faire notre travail de développement de médicaments et d’attendre que la santé publique règle le problème. Cela dépendait de nous en tant qu’individus. Si vous étiez personnellement investi dans l’idée de ne pas vous noyer dans votre propre jus. [C’est-à-dire de vous étouffer en laissant vos poumons déborder par l’attaque du SRAS-CoV-2], alors, vous deviez retrousser vos manches et faire quelque chose. Nous nous sommes donc retrouvés dans le domaine de la santé publique. Car il y a d’une part ce à quoi nous pensons ou comment nous voyons la science du virus et de la pandémie, mais il y a aussi ce qui se dit ou la politique de gestion de la pandémie, et ce sont des choses très différentes.

À l’été 2020, nous avions élaboré trois hypothèses. La première était que l’évolution serait un gros problème avec le virus SRAS-CoV-2. La deuxième était que les vaccins ne permettraient pas de le maîtriser. Et la troisième était que ce que les gens appelaient alors les COVIDiots ou les personnes qui refusaient de prendre des précautions allaient causer un énorme problème.

BM:Si vous permettez, j’aimerais lire un extrait de votre page Web. Dans votre dossier COVID, vous écrivez: «Dès le début de la pandémie, nous avons identifié trois défis majeurs. 1.Que le SRAS-CoV-2 était susceptible d’évoluer rapidement en réponse aux anticorps ciblant les [protéines] de spicule (spike). Le préprint posté sur medrxiv était daté de novembre 2020. 2.La diminution rapide de l’immunité naturelle et vaccinale signifiait que les vaccins seuls ne pouvaient pas contrôler la maladie. Le préprint était de janvier 2021. 3.Que les choix rationnels individuels, en d’autres termes, le refus d’atténuer la propagation du SRAS-CoV-2, conduiraient à une charge de morbidité élevée dans la société. Le préprint était de décembre 2020».

Ces observations étaient d’une grande portée. Et chacune d’entre elles s’est réalisée.

AC:Malheureusement, j’aurais aimé que nous nous trompions sur toutes les prédictions.

Nous avions travaillé sur tout cela pendant l’été 2020, mais ce n’est pas notre travail habituel. Nous étions toujours en retard pour finir avec ces manuscrits. Il a fallu de nombreux mois pour mettre les manuscrits en forme définitive. Ils ont été publiés sur medrxiv en décembre 2020, mais nous y avions d’abord travaillé pendant l’été 2020.

Notre moment de révélation est survenu pendant l’été 2020 quand nous avons regardé… il y a eu un très bon travail effectué par le laboratoire de Jesse Bloom et celui de Regeneron où ils ont examiné les mutations sur la protéine spike du SRAS-CoV-2 qui ont un impact sur la liaison [à la cellule hôte] et quelles sont les mutations sur la protéine spike qui ont un impact sur la liaison des anticorps.

En d’autres termes, quelles mutations empêchent la protéine spike de faire son travail et quelles mutations empêchent l’anticorps de bloquer la liaison. Et ce qu’on a fait était une chose toute simple. Nous avons simplement superposé les deux et lorsque nous avons regardé, nous avons réalisé que le virus pouvait facilement muter pour éviter les anticorps sans être affecté dans sa capacité à se lier [au récepteur ACE2]. C’est à ce moment-là que nous avons compris et que nous nous sommes dits: «Nous sommes dans une situation difficile».

Les gens que je connais socialement en dehors du travail me regardaient comme un animal à deux têtes parce que je disais qu’avec le vaccin les choses pourraient ne pas se dérouler comme ils le pensaient.

Encore une fois, j’aimerais vivre dans un monde où, en tant que prestataires de services vendant de la modélisation mathématique à des sociétés de biotechnologie, nous ne perdrions pas notre temps à faire cela. Mais c’est ce que nous faisions parce que nous regardions ce qui se disait publiquement et que nous nous disions «ça n’a pas de sens».

BM:Avez-vous été en mesure d’attirer l’attention du public sur ces résultats? Est-ce que quelqu’un vous a écouté?

AC : Je déteste le dire ainsi, mais c’est la malédiction de Cassandre, non? Lorsque vous dites quelque chose qui s’avère correct par la suite, ce n’est que plus tard que les gens vous écouteront. [Dans la mythologie grecque, Cassandre, la fille de Priam, a reçu d’Apollon le don de prophétie. Comme elle a refusé ses avances, il lui a jeté une malédiction pour que personne ne croie ses avertissements].

Lorsque nous avons eu ce moment de révélation à propos de la protéine spike qui mute rapidement pour échapper aux vaccins, nous avons rédigé un manuscrit et l’avons envoyé à Science. Un mois plus tard, nous avons reçu un refus formel de la part du rédacteur en chef, qui nous a dit: «Merci, mais nous ne choisissons que des articles qui présentent un intérêt général pour nos lecteurs».

Et je me suis dit: «Bon sang, il doit y avoir quelque chose de plus important que le fait que tout cela va mal tourner dans quelques mois».

BM:Puisque bon nombre des prédictions et des implications déclarées de vos études de modélisation se sont réalisées, est-ce qu’ils vous écoutent maintenant?

AC:Fortunea repris une grande partie de notre travail. Nous avons beaucoup insisté sur les implications de nos résultats. Mais nous ne sommes pas un atelier de politique publique, n’est-ce pas? Nous sommes des individus qui ont un intérêt direct à ne pas se retrouver avec un long COVID ou à ne pas voir des amis et des familles mourir parce que le pays est dans une situation désastreuse.

En fin de compte, nous avons toujours notre travail habituel à assurer. Nous diffusons des informations, mais nous ne sommes pas un atelier de politique publique. J’espère que les personnes qui élaborent les politiques publiques lisent ce que nous disons et y réfléchissent. Si nous pouvons faire réfléchir les personnes qui travaillent dans le domaine de la politique publique pendant une minute et si nous pouvons trouver une ouverture dans la pensée de groupe, alors c’est génial, non?

Mutation, sélection et évolution des virus

Par exemple, lorsqu’on a soulevé la question de l’évolution, beaucoup d’experts ont dit que l’évolution ne devrait pas poser de problème parce que cette chose a un mécanisme de correction. Eh bien, les chiens, par exemple, ne sont pas très sujets aux mutations, mais si vous regardez les races de chiens, elles ne se ressemblent pas du tout. Et vous savez pourquoi? Ce n’est pas parce qu’ils sont sujets aux mutations, mais parce qu’ils s’en sortent très bien avec la sélection.

L’évolution fonctionne de cette façon: ce n’est pas toujours nécessaire d’avoir un taux de mutation élevé, tant que le génome peut tolérer la sélection.

BM:Et d'après ce que je comprends, le génome du SRAS-CoV-2 est tout à fait capable de tolérer la sélection.

AC:Précisément. Il a donc fallu réunir ces deux éléments.

Dès que des gens ont dit que le taux de mutation était faible et que l’évolution ne devrait pas poser de problème, c’était réglé. Des experts ont dit cela et tout le monde s’en est lavé les mains. Ils ont dit: «C’est la nouvelle que nous voulions entendre». C’était rassurant. C’était un baume sur notre inquiétude. Et tout le monde a dit, «OK, on en a fini avec cela».

[Étant donné l’environnement], lorsque nous avons publié des articles, nous savions que nous allions être ignorés. Mais nous l’avons accepté parce que nous voulions simplement dire les choses telles que nous voyions. Et nous continuons à publier des articles. Et nous continuons à prendre position en disant: «Les gars, si vous êtes dans la politique publique, si vous êtes responsable des résultats de santé publique, jetez un coup d’œil à nos articles et réfléchissez-y».

Mais nous ne faisons pas une promotion active. Nous n’avons aucun intérêt commercial dans cette affaire.

À ce stade, nous avons une équipe de collaboration — un groupe d’universitaires — qui écrit par intérêt et préoccupation. Pas parce que nous voulons faire une carrière du COVID. Ce n’est vraiment pas le cas et ce serait génial de ne pas avoir à continuer à faire cela. Mais parce que quelqu’un a besoin de dire ces choses.

BM:Je vous ai posé la question dans l’email, mais peut-être pouvez-vous l’expliquer à nouveau. La Maison-Blanche a récemment annoncé qu’elle s’attendait à une centaine de millions d’infections cet automne et cet hiver. Et lorsque j’ai consulté votre article affirmant que l’endémicité est une mauvaise idée, la modélisation de votre étude a abouti à une fourchette similaire d’infections — 50 à 100 millions — et dans le scénario le plus probable, peut-être même 300 millions d’infections par le COVID par an, soit presque l’équivalent de la population américaine. Êtes-vous à l’origine de l’article du Washington Post?

AC:Ce n’est pas nous. Nous avons été interviewés par Fortune. Je ne sais pas s’il y a eu des allers-retours entre le Washington Postet Fortune, c’est-à-dire que le Posta lu l’article de Fortuneet a ensuite regardé les chiffres de la Maison-Blanche, mais personne ne nous a contactés. [Dans son courriel, AC pensait également que les chiffres cités par le Postprovenaient en interne du CDC].

L’un des autres points, si vous regardez nos articles et lisez l’introduction et la discussion, ce que nous faisions à chaque fois était de choisir une question critique pour faire la modélisation mathématique, puis de rédiger un essai sur le sujet. Si vous lisez tous nos articles depuis le début, y compris celui sur les choix rationnels individuels, vous verrez que nous avons abordé la théorie politique. Nous le faisions délibérément parce que [nous voulions montrer] ce que les mathématiques disaient [sur ces politiques] et ce que cela signifiait en termes pratiques.

Et autant que possible, nous essayions de laisser une trace écrite de «voici pourquoi nous pensons que ceci ou cela va se produire», dans l’espoir que nous ne nous contentions pas de crier dans le vide, qu’il y avait quelqu’un à l’autre bout qui lisait ce que nous écrivions. Cela n’a pas toujours été le cas, mais de temps en temps…

BM:Ayant étudié la recherche [sur le Covid] de manière approfondie depuis un certain temps, je n’ai trouvé vos articles que récemment et par hasard. Et je suis heureux d’avoir pris le temps de les lire car leurs implications sont assez stupéfiantes et dans le contexte de la troisième année de la pandémie, ce sont des prédictions assez précises.

La COVID longue durée et l’«endémicité»

L’autre aspect important de l’article de Fortuneest la discussion sur le COVID longue durée. Pouvez-vous nous parler du nombre de personnes qui devraient développer le COVID longue durée? Pouvez-vous le replacer dans son contexte?

AC:Absolument. Fortunem’a demandé de justifier les chiffres. Nous avons creusé dans un tas de références pour comprendre l’incidence du COVID longue durée à partir de ces études. Nous avons ensuite justifié les chiffres en donnant toutes les références utiles; je peux étayer chacun de ces chiffres.

Mais voici l’essentiel. Je pense que lorsque les gens parlent du COVID longue durée, ils oublient un point important, à savoir que dans le cadre d’une stratégie d’endémicité, tout le monde va attraper le COVID tous les ans ou tous les deux ans de manière répétée. Cela signifie que dans le cadre d’une stratégie d’endémicité, même si le COVID longue durée présente un faible risque à un moment donné, nous allons le faire encore et encore. Cela signifie qu’avec des infections répétées au COVID, le COVID longue durée finira par vous rattraper.

(AC m'a envoyé le courriel suivant expliquant les chiffres, incorporés ici dans la discussion).

Si tout le monde reprend sa vie d’avant la pandémie et ne prend pas de précautions pour limiter son risque de contracter le COVID, notre modélisation suggère que vous pouvez vous attendre à contracter le COVID environ 1 à 2 fois par an.

Le risque de contracter chaque fois une COVID longue durée (séquelles post-aiguës de la COVID, ou PASC) se situerait entre 10 et 80 pour cent (1, 2, 3, 4). Disons que votre risque de contracter un COVID long à chaque fois que vous attrapez le COVID est de 10 pour cent, pour être prudent.

Si vous êtes entièrement vacciné, cela réduit votre risque de contracter le COVID long d’environ 50 pour cent (6,7). (Les estimations de la réduction du risque par les vaccins vont de 13 à 78 pour cent, avec une étude aberrante, donc nous pourrions dire que 50 pour cent est une estimation médiane).

Cela signifie donc que vous avez un risque de 5 pour cent de contracter le COVID long chaque année, pour être prudent. L’Américain moyen est âgé de 38 ans. Disons que vous pouvez espérer vivre jusqu’à 78 ans. Ainsi, après 40 ans d’«apprendre à vivre avec le COVID», vous avez 87 pour cent de chances d’«apprendre à vivre avec le COVID longue durée».

Autrement dit, si le monde entier était vacciné demain et que nous passions seulement trois ans à «apprendre à vivre avec le COVID» dans le cadre de la stratégie actuelle, plus d’un milliard de personnes pourraient vivre avec le COVID longue durée.

Bien sûr, il est possible que cela ne se produise pas. Il y a des choses que nous ne savons pas encore sur le virus. Mais ne pas se préparer à un scénario parce qu’on pourrait avoir de la chance, cela ne me semble pas une très bonne stratégie.

Par analogie, les recherches sur la conduite en état d’ivresse montrent que la plupart des conducteurs ivres conduisent environ 200 fois avant d’être impliqués dans une collision mortelle. Vous pouvez toujours utiliser l’argument selon lequel mes chances de mourir dans un accident de conduite en état d’ivresse sont d’une sur 200. Vous pourriez dire: «Je vais boire quatre verres de tequila et prendre le volant».

C’est un argument valable. Car, quel que soit le jour, vos chances de mourir dans un accident ce jour-là sont faibles. Ce que nous avons réalisé, c’est que le risque de COVID longue durée est faible sur n’importe quelle vague de COVID. Mais si vous vous êtes engagés dans une stratégie où tout le monde attrape le COVID tous les deux ans ou tous les ans, alors cela va vous arriver.

Nous travaillons actuellement à un document sur le COVID longue durée, qui examine la question de manière plus globale, y compris les chiffres de l’immunité naturelle.

BM:Avez-vous examiné le fardeau financier potentiel de ce type de maladie dans votre modèle?

AC:Nous ne l’avons pas examiné. Encore une fois, pour expliquer, les chiffres que j’ai passés en revue avec vous ne sont pas les résultats d’une quelconque modélisation. Ils sont les résultats de calculs de base qui utilise les données fournies dans ces études et je les justifie. Nous sommes en train de construire un modèle qui examine le risque de COVID longue durée dans le temps avec différentes stratégies. On va publier un document préliminaire à ce sujet dans peu de temps.

Ce que je veux dire ici, c’est que le fait de laisser sur la table le COVID longue durée comme un risque non atténué et de choisir ensuite de «laisser faire» pourrait être de plusieurs ordres de grandeur plus grave que ce que les gens pensent. Et maintenant, juste pour justifier ces données, je rappelle que le «Bureau de la redevabilité gouvernementale» [Government Accountability Office – GAO] a déjà des chiffres pour le COVID longue durée. Si je me souviens bien, environ 23 millions de personnes [7 pour cent] vivent avec cette maladie aux États-Unis.

Une partie de la grande résignation n’est pas nécessairement due à la paresse des gens, mais simplement au fait qu’ils ont un COVID long. Le «Bureau des statistiques nationales» (Office for National Statistics – ONS) du Royaume-Uni a publié une étude et je pense que 3 pour cent de la population a déjà un long COVID. [En avril 2022, environ 1,8 million de personnes au Royaume-Uni souffraient d’une COVID longue durée, soit 2,7 pour cent de la population. Source, ONS].

Et voici la partie importante. Ce qui s’est passé avec le COVID longue durée jusqu’à présent ne vous dit pas ce qui va se passer avec le COVID longue durée à l’avenir. Pourquoi? Premièrement, parce que le virus est beaucoup plus contagieux qu’il ne l’était il y a deux ans. Deuxièmement, parce que les vaccins ne sont pas aussi efficaces pour prévenir l’infection qu’il y a un an. Troisièmement, parce que nous prenons consciemment la décision de ne pas atténuer le risque d’infection.

Donc, si tout le monde court partout comme si le COVID était terminé, que les vaccins ne fonctionnent pas pour prévenir l’infection et que le virus est super contagieux, tout le monde va attraper le COVID. En d’autres termes, la COVID longue durée que nous avons vue jusqu’à présent, le taux de production de COVID longue durée que nous avons vu jusqu’à ce stade de la pandémie, pourrait être beaucoup plus faible que le taux de COVID longue durée que nous verrons sur la base de la stratégie actuelle [dans le futur].

BM:Ce sont d’excellents arguments. Pour ne pas préjuger d’une étude que vous avez dit que vous alliez bientôt publier sur la politique du «laisser faire», si j’ai bien compris? Pouvez-vous en parler?

AC:Nous l’avons déjà fait, en quelque sorte, avec le préprint sur l’endémicité, qui est en fait un «laisser faire». Nous avons envisagé le «laisser faire» de plusieurs façons.

Nous avons écrit un article qui est sorti en preprint en janvier 2021, intitulé «Au-delà de la nouvelle normalité» (Beyond the new normal). Dans cet article, nous avons examiné ce qui se passerait si nous «laissons faire» en utilisant les anciens chiffres pour le virus, qui était alors beaucoup moins contagieux. Nous avons demandé ce qui se passerait si on laissait faire et nous avons estimé que nous aurions environ 400.000 morts. Et en 2021, c’est là où nous nous sommes retrouvés.

Encore une fois, nous n’avons jamais fait ces prédictions (et nous ne les faisons pas plus maintenant) comme des indications spécifiques de ce que sont les chiffres. Toutes nos études de modélisation ne sont que des exercices de réflexion visant à déterminer si [une politique particulière] est une bonne ou une mauvaise idée. Quels sont les risques? Nous ne sommes pas là pour donner des chiffres précis, mais nous sommes là pour dire, réfléchissez-y une minute, quels sont les risques.

L’une des choses que nous avons vues à plusieurs reprises et qui nous a beaucoup inquiétés en tant que simples citoyens, c’est que, pour une raison ou une autre, on ne prend pas en compte les risques potentiels et que les gens craignent beaucoup de susciter la peur ou la panique. J’aimerais voir un peu plus d’inquiétude étant donné que nous en sommes déjà à un million de morts. C’est l’événement le plus meurtrier de l’histoire de la République. Je pense qu’une certaine inquiétude peut être justifiée.

Quelle stratégie pour combattre le COVID?

BM:Je suis d’accord à 100 pour cent avec vous. Le président Joe Biden a reconnu aujourd’hui qu’un million d’Américains sont morts du COVID. Il a préenregistré une très brève déclaration à ce sujet. Pendant son mandat, plus de 560.000 personnes sont mortes. Le parti démocrate a tenté de blâmer l’ancien président Trump, les anti-vaxx, le parti républicain pour le manque de financement, voire pour le virus. Mais ils n’assument aucune responsabilité pour leurs politiques, qui ont reflété celles des Républicains et ont conduit au démantèlement en bloc de toutes les mesures de santé publique contre la pandémie. Depuis deux semaines, le District de Columbia n’a pas rapporté une seule statistique de COVID. La région atteint essentiellement un COVID zéro parce que personne ne le suit. Pouvez-vous commenter?

AC:Malheureusement, je ne souhaite pas faire de commentaire à ce sujet. Voici la situation. Nous sommes des scientifiques et ce que nous faisons, c’est mettre sur la table les choses que les gens peuvent faire s’ils choisissent d’être rationnels.

Je suis d’accord avec vous au sujet des démocrates. Je suis d’accord avec vous au sujet des Républicains, mais pourquoi s’arrêter là? C’est l’Organisation mondiale de la santé, c’est tous les autres pays du monde. Personne ne l’a compris. Et la principale raison pour laquelle personne n’a compris, à mon avis, c’est parce que nous continuons à le présenter comme un faux choix: devrions-nous confiner? Ou devrions-nous gérer le COVID?

Ce n’est pas le cas.

Les outils qui ont fonctionné au début — confinement, masques, distanciation sociale — étaient là pour nous faire gagner du temps. Nous avons gagné ce temps. Nous avons trouvé un vaccin. Le vaccin aussi nous a fait gagner du temps. Le vaccin nous a permis de contrôler la maladie pendant six à neuf mois. Mais ensuite, nous aurions dû passer du vaccin à d’autres interventions biomédicales et nous avons raté le coche. Alors que nous aurions dû mettre en place des interventions biomédicales efficaces qui vont au-delà du vaccin, le monde entier s’est laissé aller à la pensée magique. Et c’est la faute de tout le monde. C’est au-delà d’une question partisane.

C’est un échec total de l’imagination dans le processus politique, dans les classes scientifiques. L’impensable et l’impossible, ce n’est pas la même chose.

BM:Vous avez noté en septembre 2020 que si les écoles devaient rouvrir, cela entraînerait une propagation généralisée de la maladie, ce qui a été le cas. Vous avez également écrit que les métriques du CDC pour évaluer la propagation de la maladie dans les écoles sont profondément défectueuses. Vous aviez même écrit que lorsque le CDC a annoncé que la pandémie était terminée pour les vaccinés, l’assouplissement prématuré des restrictions conduirait à un rebond des cas basé sur des variants. Puis Delta est apparu. Maintenant, nous constatons même que davantage de personnes vaccinées meurent. Les observations que vous avez faites étaient d’une grande portée à l’époque.

Mais à la même époque, de nombreux scientifiques de principe affirmaient que la réouverture des écoles alimenterait la pandémie. Des données qui proviennent de nombreux pays ont prouvé que les écoles étaient des accélérateurs des vagues d’infection. L’une des études les plus importantes, réalisée en Inde, a montré que la transmission entre enfants était un facteur déterminant de la propagation communautaire.

Pourtant, des personnes comme Emily Oster de l’Université Brown, Rochelle Walensky du CDC, et même Biden lorsqu’il a été élu, ont affirmé que les enfants ne seraient pas infectés, et que les enfants ne transmettraient pas le COVID. Pouvez-vous commenter cette question?

AC:Oui. Au cours de l’été 2020, nous avons commencé à modéliser à partir de règles élémentaires le comportement du COVID dans les écoles. Tout cela se trouve motivé par notre conflit d’intérêts au quotidien. J’ai deux enfants et je ne voulais vraiment pas qu’ils se lancent dans l’apprentissage en personne à moins que ce ne soit sûr pour eux. À l’époque, je ne pensais pas que le fait de contracter le COVID était un simple rhume. Nous nous sommes donc demandé: «Est-ce une bonne idée?»

La première question était étroitement égoïste: «Cela, est-il sans danger pour mes enfants?» Mais comme nous avons commencé à le modéliser, nous avons réalisé deux choses inquiétantes. La première est que les écoles… Disons-le ainsi. Les enfants sont pour la plupart asymptomatiques. Si vous ne faites pas de recherche de contacts, vous ne pourrez pas repérer la propagation dans les écoles. Ensuite, nous avons réalisé qu’environ la moitié du pays, je ne connais pas le chiffre exact. Mais, environ la moitié du pays se trouve à l’école soit en tant qu’étudiant, soit en tant qu’enseignant, ou membre du personnel, ou est un proche d’une personne qui est à l’école pour l’une de ces raisons.

Nous nous sommes rendu compte que ce n’est pas seulement d’une question de «sécurité pour mes enfants», mais aussi d’une question de «sécurité pour la communauté». Ainsi, le tout premier article que nous avons écrit à l’automne 2020 disait: «Si vous gardez les écoles ouvertes, vous allez semer des chaînes de transmission.» Et ces chaînes de transmission se propageront sans se faire détecter dans la communauté, car les enfants sont pour la plupart asymptomatiques. C’était donc notre premier article.

Nous avons ensuite fait une observation encore plus troublante, dans une préprint que nous avons rédigé avec Lauren Ancel Meyers [directrice du consortium de modélisation COVID-19 de l’université du Texas] de l’université du Texas, qui est une épidémiologiste réputée. Nous avons réalisé que même si les écoles propageaient la COVID de manière très agressive, les mesures utilisées par le CDC n'allaient pas le détecter.

Ils examinaient le rapport entre le taux de COVID dans les écoles et le taux de COVID dans les communautés. Et ils disaient qu’une corrélation entre les deux existait, donc les écoles ne pouvaient pas être à l’origine de la propagation dans les communautés. Ils utilisaient la corrélation pour impliquer un manque de causalité, ce qui est un sophisme logique simple et direct. J’ai écrit au CDC de l’époque au MMWR [Rapport hebdomadaire sur la morbidité et la mortalité — Morbidity and Mortality Weekly Report] et j’ai dit: «Les gars, erreur logique». Et ils ont répondu en disant, «Nous n’impliquons pas la causalité ou l’absence de causalité». Et j’ai poursuivi en disant que c’était comme ça que les gens allaient le lire.

[La corrélation et la causalité peuvent sembler faussement similaires. Si la causalité et la corrélation peuvent exister en même temps, la corrélation n’implique pas la causalité. La causalité s’applique explicitement aux cas où une action A entraîne un résultat B. En revanche, la corrélation est simplement une relation. Nous ne pouvons pas simplement supposer qu’un lien de causalité existe, même si nous voyons deux événements se produire, apparemment ensemble, sous nos yeux. D’une part, nos observations sont purement anecdotiques. Deux, beaucoup d’autres possibilités existent pour une association. Dans le cas du CDC, ils ont laissé entendre que des taux de COVID équivalents à l’école et dans la communauté signifiaient que les écoles ne pouvaient pas ensemencer la communauté. En d’autres termes, ils ne l’ont pas prouvé].

BM:Pour clarifier ces termes statistiques, lorsque vous dites que la corrélation n’est pas la causalité, ce que vous essayez de dire, c’est que comme les enfants sont principalement asymptomatiques, lorsque vous mesurez les cas de COVID parmi eux dans les écoles et que vous les comparez à la communauté, vous passez à côté d’un nombre massif d’infections qui ne se trouvent pas détectées?

AC:Non. En fait, c’est même pire. Donc, ce qui se passe, c’est que si un enfant attrape le COVID, quelqu’un à la maison va aussi l’attraper. L’enfant sera enregistré comme «transmission scolaire». La personne à la maison sera enregistrée comme «transmission communautaire». En fait, le fait qu’une corrélation existe peut signifier deux choses. À savoir: soit les écoles ne sont pas à l’origine de la transmission communautaire, soit les écoles sont à l’origine de la transmission communautaire au point que les deux taux sont corrélés.

BM:Ce qui signifie que le CDC ne suit pas la transmission communautaire comme un sous-produit de la transmission scolaire qui a conduit à la transmission communautaire?

AC:Oui, mais c’est encore pire. Si vous lisez le document que nous avons rédigé, vous verrez que la situation s’aggrave parce que la façon dont le CDC procédait à la recherche des contacts rendait très difficile la détection des chaînes de transmission.

Pour le dire simplement, la façon dont ils faisaient la course aux contacts était essentiellement semi-volontaire. D’abord, vous deviez présenter des symptômes. Ensuite, si vous aviez des symptômes, vous deviez les contacter. Ensuite, ils contactaient toutes les personnes avec lesquelles vous étiez en contact, et ils avaient une définition très étroite de cela. Et enfin, vous deviez vous porter volontaire pour vous faire tester. Ce que cela signifie, c’est que la manière dont nous procédons à la recherche des contacts était assurée de manquer la plupart des transmissions au départ.

Si, vous regardez quelque chose tel que le rallye de moto de Sturgis. Un nombre massif de motards se sont présentés dans le Dakota du Sud. Sturgis n’a pas créé de chaînes de transmission par recherche de contact. Et tout le monde a dit que ce n’était pas un risque qu’un million de motards traînent ensemble dans les bars. Cela ne se propagerait pas comme ça. Mais l’autre déduction, l’autre façon dont vous auriez pu interpréter les données, c’était de dire: «Est-ce que votre recherche de contact fonctionne?».

Un autre cas: deux coiffeurs dans le Missouri coupaient les cheveux alors qu’ils avaient le COVID actif pendant une semaine. Mais personne n’a eu le COVID. Soit, il est extrêmement sûr de se faire couper les cheveux par quelqu’un qui a le COVID, soit, la recherche des contacts ne fonctionne pas, surtout dans le cas de la recherche volontaire des contacts. Car, si vous y réfléchissez, qui est le plus susceptible de se faire infecter? Qui est le plus susceptible de faire partie de la chaîne de transmission? Ce sont les personnes qui ne prennent pas de précautions, mais les personnes qui ne prennent pas de précautions peuvent aussi manquer d’enthousiasme à l’idée de parler aux personnes qui recherchent les contacts.

BM:Avant de passer à ma dernière question concernant votre modélisation des médicaments, avez-vous une modélisation pour un vaccin par pulvérisation et pour des antiviraux secondaires?

AC:Oui, nous y travaillons, et nous nous y intéressons beaucoup. Et encore une fois, la raison pour laquelle nous mettons ces choses sur la page web est dans l’espoir que quelqu’un d’autre reprenne ces idées et y travaille également. Ce n’est pas typique que vous fassiez cela pour encourager la concurrence, mais franchement, nous avons tous un intérêt personnel dans ce domaine.

Nous avons publié des travaux sur la manière d’optimiser les sprays nasaux et d’identifier les médicaments qui pourraient être de bons candidats à la reconversion. Nous travaillons sur un vaccin et un antiviral en spray nasal. Mais nous n’en sommes qu’au tout début. [Plus tard, AC écrit que les choses semblent vraiment sombres. «Nous travaillons également sur des solutions aux problèmes, mais toutes ces solutions nécessitent une reconnaissance de l’existence d’un problème avant que le financement ne soit disponible. Actuellement, le puits est à sec lorsqu’il s’agit de recherche sur le COVID, en particulier sur la question des nouveaux médicaments et vaccins»].

COVID zéro ou COVID 'infini'.

BM:Changement de sujet: sur la question de la Chine. Nous avons suivi les cas et ils ont fait un travail remarquable pour réduire le nombre d’infections grâce à leurs mesures complètes de prévention de la pandémie. À votre avis, pourquoi on a écarté l’élimination?

AC:Je vais vous le dire de cette façon. Nous ne pourrons jamais nous débarrasser de la pollution. Cela ne signifie pas que nous devrions tous construire le plus grand feu de joie possible dans notre jardin et polluer autant que nous le voulons. Nous ne nous débarrasserons jamais des décès dus à l’alcool au volant, mais cela ne signifie pas que nous devrions abandonner la ceinture de sécurité.

Dire que nous ne nous débarrasserons jamais de la COVID n’est pas synonyme d’encourager la propagation rampante. Tout le monde dit que le «zéro COVID» est une mauvaise stratégie. Peut-être que c’est le cas et peut-être que ça ne l’est pas. Mais nous sommes loin d’en être là. La stratégie, le chemin que nous suivons, je l’appelle le COVID infini. Et le COVID infini sera une stratégie plus coûteuse que le COVID zéro. L’idée que nous allons tous recevoir le COVID une fois par an et que tout ira bien est d’un optimisme téméraire.

BM:Qu’espérez-vous retirer de votre travail sur COVID?

AC:Je pense qu’à plus grande échelle, nous espérons avoir de l’influence. Nous espérons que les responsables politiques et les décideurs les lisent et réfléchissent un instant aux conséquences de leurs actes. On a beaucoup parlé de la mauvaise stratégie du zéro COVID. Mais l’équilibre manquait dans cette discussion sur les raisons pour lesquelles le COVID infini pourrait ne pas être une bonne idée.

BM:La perspective que le Parti de l’égalité socialiste et le WSWS soutiennent est une politique de COVID zéro à l’échelle internationale. Pas dans un seul pays, mais à travers un effort coordonné pour mettre fin à la COVID dans toutes les régions du globe. C’est faisable…

AC:Une autre façon d’y penser existe, non? Au lieu d’envisager le COVID zéro, la première étape est de chercher à réduire le COVID. Moins de COVID sera meilleur que plus de COVID à n’importe quel moment du parcours. Ce sera un tremplin vers le zéro COVID (la question de savoir si cela est réalisable en fin de compte est une autre question). C’est presque une question philosophique, car c’est une maladie extrêmement contagieuse.

Cela se peut donc qu’on n’arrive jamais à atteindre le zéro-COVID, ce qui est mon opinion si vous voulez mon avis. Mais que le COVID Zéro soit possible ou non, nous devons traiter le COVID comme une maladie mortelle très dangereuse et très contagieuse, car c’est ce qu’elle est. D’abord, nous devrions accepter la réalité qu’elle est une maladie hautement contagieuse, hautement transmissible et mortelle. Et ensuite, on doit poser la question suivante: si nous faisons face à une telle maladie hautement transmissible et mortelle, est-ce que fermer les yeux fait disparaître le monstre?

BM:Une autre question que je voulais vous poser concernant les États-Unis qui démantèlent tous leurs tableaux de bord COVID, réduisent les centres de dépistage, ne recherchent pas les contacts, etc., alors que nous sommes revenus à un mouvement social pré-pandémique. A quoi ressembleront l’automne et l’hiver?

AC:Eh bien, il va être beaucoup plus difficile pour nous de voir quand la prochaine vague va arriver. Et je pense, encore une fois, que c’est le problème avec la stratégie infinie du COVID. Le virus évolue très vite, et le virus change les termes de l’accord avec nous de temps en temps.

Si nous n’avons pas un bon moyen de suivre les variants, nous n’aurons pas un bon moyen de suivre les taux d’infection et de mortalité. Nous n’aurons pas un bon moyen de suivre l’efficacité du vaccin. Si nous n’utilisons que les taux d’hospitalisation et de mortalité, ce sont des indicateurs tardifs. Le problème c’est que cela peut arriver à un moment où l’on se rend compte que les vaccins ne fonctionnent pas très bien. Mais le temps que vous y arriviez, vous avez perdu tous les leviers à votre disposition du point de vue de la santé publique pour y faire face.

En tant que particulier, si nous ne sommes pas en mesure de… on nous dit que nous devons gérer nos risques… Mais, l’un des outils dont j’ai besoin en tant que particulier pour gérer mon risque est un décompte quotidien précis des cas. Sans cela, je n’ai aucun moyen de faire quoi que ce soit de rationnel.

La stratégie de santé publique déclarée, qui consiste à ce que les individus gèrent leurs propres risques, suppose également que les vaccins continuent à bien fonctionner pour prévenir les maladies et les décès et que nous corrigerons le tir si nécessaire. Ces outils dont nous avons besoin, tant sur le plan individuel que sur le plan de la santé publique, pour mettre en œuvre cette stratégie, s’estompent peu à peu, quittant discrètement la scène. Donc, d’un point de vue rationnel, cela ne va pas nous mettre en bonne position pour faire face à la prochaine montée de courbe des cas que le virus nous enverra.

BM:Un épidémiologiste a dit un jour, et cela m’a marqué, qu’une pandémie/épidémie est une maladie communautaire. L’agent pathogène a besoin d’une communauté pour survivre et seule une communauté peut le combattre. Mais la façon dont le CDC la traite est comme si c’était un magasin. Vous pouvez choisir d’y aller ou non, je peux porter un masque ou non, je peux faire des tests ou non.

Mais pour les gens qui travaillent, ils doivent travailler en étroite collaboration. Ils doivent prendre les transports en commun.

Vous vivez avec. Ils vivent dans des foyers multigénérationnels. Ils ont des enfants, des grands-parents, la famille élargie qui partage le même espace. Ils n’ont pas le luxe de prendre des congés pour aller faire un test PCR, et encore moins pour s’isoler ou se mettre en quarantaine dans les conditions actuelles. Une déconnexion massive existe entre ce que le CDC dit à la population et ce que la population peut faire.

Que devrait faire le CDC? Que voulez-vous dire aux lecteurs que le CDC doit faire pour assurer leur sécurité?

AC:La première chose que le CDC, et au-delà même du CDC, la première chose que la santé publique mondiale doit faire est de se baser sur les faits. Nous avons souvent constaté qu’un décalage existe entre les faits et ce que dit la santé publique. Je peux en citer une demi-douzaine, mais le meilleur exemple est celui de l’OMS qui, pendant longtemps, n’a pas voulu admettre que le COVID se propageait par aérosol.

À ce propos, c’est crucial d’accepter que cette maladie se propage par aérosol, car dès que vous l’acceptez, vous devez vous concentrer sur l’atténuation de la propagation. Quand vous avez une maladie qui se propage par aérosol, vous ne pouvez pas opter pour ou contre à la carte. Comme vous l’avez dit, n’est-ce pas? Nous ne disons pas aux gens que fumer provoque le cancer du poumon et que la fumée secondaire est mauvaise. Mais, si vous entrez dans un bâtiment où quelqu’un d’autre fume, retenez votre souffle parce que c’est une maladie qui se propage par aérosol. Votre choix a un impact sur moi. Donc, la première chose que le CDC et la santé publique mondiale doivent faire, après avoir reconnu que c’est une propagation par aérosol, est de passer en revue leurs recommandations étape par étape. On doit se demander si elles sont rationnelles compte tenu de la nature aérienne de la maladie. Et encore une fois, la position selon laquelle nous ne serons peut-être jamais en mesure de l’éliminer complètement nous absout de toute responsabilité de contrôler la propagation, ne tient tout simplement pas la route.

BM:Vous avez dit dans l’article sur l’endémicité que le SRAS-CoV-2 ne va pas devenir moins virulent. Il n’y a aucune pression évolutive qui le rende moins virulent, pas de pression pour qu’il devienne moins violent. Cependant, il a deux mécanismes par lesquels il peut s’aggraver. Il peut devenir plus contagieux, et il peut mieux échapper à l’immunité. Pouvez-vous commenter?

AC:Notre travail suggère que la virulence est libre de flotter vers le haut ou vers le bas, de dériver vers le haut ou vers le bas. Cela signifie que toute variante virale donnée sera soit meilleure, soit pire que la précédente, ou que celle à laquelle nous avons à faire actuellement.

Et cela signifie que si vous continuez à lancer les dés assez longtemps, vous allez vous retrouver avec un très mauvais tirage. C’est essentiellement jouer avec la roulette russe avec l’évolution. Et de la même manière qu’avec la roulette russe, je ne peux pas prédire avec une grande certitude si la prochaine lancée de dés sera le dernier pour vous. Mais je peux prédire que si vous continuez à y jouer assez longtemps, ce ne sera pas une histoire qui se termine bien.

BM:Pouvons-nous revenir à la question du développement des médicaments? Des données très précoces indiquent qu’une fois le Paxlovid utilisé en grande quantité, le SRAS-CoV-2 pourrait sélectionner une résistance contre lui. Comment la modélisation du développement des médicaments aide-t-elle à résoudre ces problèmes?

AC:Nous n’en sommes encore qu’au tout début. Mais ce que nous faisons, c’est que nous examinons de multiples cibles différentes sur le virus pour les antiviraux, et nous encourageons les personnes qui pensent aux antiviraux à y réfléchir.

Deux principes clés sont à respecter pour concevoir des antiviraux contre cette maladie. Le premier est que vous avez besoin d’antiviraux prophylactiques parce que les antiviraux prophylactiques peuvent aider les vaccins, tous les vaccins, car ils exercent une pression évolutive différente sur le virus. Ce serait bon que nous envisagions d’utiliser des prophylaxies antivirales en même temps que les vaccins. Ce n’est pas l’un ou l’autre.

Deuxièmement, lorsque vous envisagez des traitements antiviraux, pensez à des traitements antiviraux qui touchent plusieurs cibles du virus, car je pense que nous sous-estimons encore la capacité du virus à échapper à n’importe quelle forme de pression évolutive.

Et c’est aussi le problème de la stratégie du vaccin spécifique à un variant. La chasse aux variants n’est pas une bonne idée. Ce que nous recommandons, c’est de rechercher des vaccins qui ciblent des parties de la protéine virale qui imposent un coût au virus pour échapper à la mutation.

Je vais vous expliquer ce que j’essaie de dire.

C’est ce qu’ils ont fait pour le VIH, ils ont examiné la barrière évolutive, c’est-à-dire le désavantage pour le virus de créer des mutations qui échappent aux thérapies. Nous devrions penser à la barrière évolutive chaque fois que nous concevons des vaccins, des anticorps monoclonaux ou même des thérapies pour ce virus. En même temps, nous devons nous préparer au fait que tous les outils biomédicaux (vaccins, thérapies) que nous utilisons actuellement pour lutter contre le virus seront très rapidement vaincus. Nous devons donc avoir d’autres outils en cours de développement — c’est une course aux armements en ce moment, et nous perdons jusqu’à présent. (En passant, le ralentissement de la transmission ralentira l’évolution du virus — une raison de plus pour laquelle moins de COVID est toujours préférable à plus de COVID).

Tout ce qu’on fait contre ce virus doit être conçu en tenant compte de l’évolution. La stratégie de santé publique doit être conçue en tenant compte de l’évolution. Les interventions biomédicales doivent être conçues en tenant compte de l’évolution, car l’évolution ne cesse de changer la donne avec ce virus. Il est devenu cinq fois plus contagieux, avec des profils différents d’effets secondaires et d’effets à long terme. Ainsi, tout ce que nous faisons, tant du point de vue de la santé publique que de la découverte et du développement de médicaments, doit être conçu dans cette optique.

BM:Merci beaucoup pour vos commentaires et votre temps. Ce fut un plaisir pour moi.

AC:Merci.

(Article paru d’abord en anglais le 23 mai 2022)

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