Un tribunal espagnol convoque Mike Pompeo comme témoin sur le complot de la CIA pour enlever ou assassiner Assange

L’Audience nationale espagnole a convoqué l’ancien directeur de la CIA et secrétaire d’État américain Mike Pompeo pour qu’il témoigne sur une massive opération d’espionnage qu’il aurait orchestrée contre Julian Assange, et sur un complot connexe du gouvernement Trump visant à enlever ou assassiner à Londres l’éditeur de WikiLeaks.

Julian Assange alors qu’on le traîne hors de l’ambassade d’Équateur à Londres, en avril 2019. [Photo: Facebook]

La convocation, révélée par ABC Espagne vendredi dernier, a été délivrée par le juge de l’Audience nationale Santiago Pedraz. Elle contraindrait Pompeo, ainsi que l’ex-directeur du Centre national de contre-espionnage et de sécurité des États-Unis, William Evanina, à témoigner devant un tribunal espagnol, en personne ou par liaison vidéo, plus tard ce mois-ci.

Pompeo et Evanina ont été cités à comparaître dans le cadre d’une affaire pénale contre Davis Morales, un ancien marine espagnol qui dirigeait la société de sécurité privée UC Global. En 2015, la société de Morales a été engagée par le gouvernement équatorien pour assurer la sécurité de son ambassade à Londres, où Assange vivait en tant que réfugié politique.

Selon des lanceurs d’alerte d’UC Global, qui ont apporté des preuves à la procédure espagnole, Morales a conclu un accord avec les autorités américaines en 2016 pour surveiller de manière approfondie le fondateur de WikiLeaks. Ces anciens employés ont également déclaré qu’il y avait eu des discussions l’année suivante sur la possibilité d’enlever Assange ou de l’empoisonner.

Ces informations corroborent un article de «Yahoo News», paru en septembre dernier qui affirmait qu’en 2017, des discussions avaient eu lieu au plus haut niveau du gouvernement Trump sur la prise de mesures extraordinaires contre Assange, y compris un éventuel enlèvement ou assassinat.

Cet article, basé sur des discussions avec 30  anciens responsables américains, alléguait que Pompeo, en tant que directeur de la CIA à l’époque, était au cœur du complot. Il avait donné des instructions à ses subordonnés pour que, dans la campagne contre Assange, «il n’y ait aucun tabou».

Selon Business Insider, Pompeo n’a pas répondu à la convocation de l’Espagne, bien qu’il n’ait été convoqué que pour témoigner et que l’Audience nationale ait clairement indiqué qu’il n’entrait pas dans ses compétences de le poursuivre.

Pompeo a été étroitement associé à l’assaut du gouvernement Trump contre les droits démocratiques et à son bellicisme, qui comprenait des violations ouvertes du droit international. En tant que secrétaire d’État de Trump, Pompeo aurait été impliqué dans l’assassinat, en janvier 2020, du haut général iranien Qasem Soleimani en Irak.

Pompeo a déjà rendu compte en quelque sorte de son temps comme directeur de la CIA. En 2019, il a déclaré à un public texan, un an après avoir quitté le poste: «Quand j’étais cadet, quelle est la devise des cadets à West Point? Vous ne mentirez pas, ne tricherez pas, ne volerez pas et ne tolérerez pas ceux qui le font. J’étais directeur de la CIA. On mentait, on trichait, on volait. On avait des cours entiers de formation. Cela vous rappelle la gloire de l’expérience américaine».

Lorsque le reportage de Yahoo! News a été publié, Pompeo a exigé que ses sources soient poursuivies en vertu des lois sur la sécurité nationale. Ce qui confirmait pratiquement la véracité du reportage.

L’attitude du ministère américain de la Justice face à la procédure espagnole est également un aveu tacite de culpabilité. En novembre dernier, «Yahoo! News» a rapporté que le ministère de la Justice avait repoussé toutes les demandes d’assistance du juge espagnol Santiago Pedraz dans le cadre des poursuites engagées contre Morales.

Le gouvernement américain a refusé de fournir toute information sur les adresses IP des ordinateurs américains ayant accès à la surveillance illégale d’Assange réunie par UC Global. En même temps, des responsables du ministère de la Justice ont cherché à soutirer des informations à Pedraz, y compris une demande extraordinaire et inquiétante de livrer l’identité des lanceurs d’alerte d’UC Global.

Selon les avocats d’Assange, Evanina a donné une confirmation encore plus directe de la véracité des allégations de collusion entre le gouvernement américain et UC Global.

Des documents fournis par les avocats d’Assange au tribunal espagnol, cités dans L’Objectif, affirment qu’Evanina a «avoué» que «les services de renseignement des États-Unis avaient accès aux caméras de l’ambassade d’Équateur, aux enregistrements des conversations à l’intérieur de celle-ci, aux appareils des visiteurs et aux documents de voyage de tous, ayant même planifié le meurtre ou l’enlèvement du demandeur d’asile».

Evanina fut le seul ex-responsable du gouvernement Trump à s’exprimer sur l’article de «Yahoo! News» détaillant le complot allégué pour kidnapper ou assassiner Assange. Tout en dénonçant à plusieurs reprises le fondateur de WikiLeaks, Evanina a déclaré que les États-Unis «avaient une superbe collection de ses projets et intentions». Il parla de l’escalade de la surveillance électronique et humaine visant Assange.

Faisant allusion à un plan avorté qu’Assange s’échappe de l’ambassade et demande l’asile à l’étranger, à un certain moment en 2017, Evanina a déclaré: «Nous étions très confiants au Groupe des Cinq (Five Eyes) que nous pourrions l’empêcher» d’échapper aux griffes des autorités britanniques et américaines. Le Five Eyes est l’alliance de surveillance électronique des États-Unis avec la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada.

Cette remarque montre l’ampleur de la campagne impérialiste menée contre Assange et implique considérablement les autorités australiennes et les principaux participants à l’attaque contre les droits du fondateur de WikiLeaks, malgré qu’il soit citoyen et journaliste australien.

Autrement dit, que Pompeo se présente ou non à l’Audience nationale, la campagne de coups fourrés menée par les États-Unis contre Assange est de notoriété publique. La convocation montre la tentative actuelle des États-Unis d’extrader Assange pour ce qu’elle est: la couverture pseudo-légale d’une criminelle opération de ‘rendition’ menée en violation du droit international et du droit national dans de nombreuses juridictions.

Le reportage de «Yahoo! News» indiquait clairement que la campagne des États-Unis contre Assange s’intensifiait et que c’était là une réaction à la révélation par WikiLeaks, début  2017, des opérations illégales d’espionnage de la CIA. Un acte d’accusation fut établi contre Assange à propos de publications distinctes en 2010 et 2011 révélant des crimes de guerre en Irak et en Afghanistan, afin de créer un simulacre de base juridique pour la détention d’Assange aux États-Unis, s’il était enlevé à Londres par la CIA.

Cette question a été soulevée par les avocats d’Assange aux audiences de la Haute Cour britannique relatives à l’extradition d’Assange en octobre dernier. Mark Summers QC avait déclaré: «C’est la première fois à notre connaissance que les États-Unis demandent l’aide d’un tribunal britannique pour obtenir un pouvoir de juridiction sur une personne dont ils ont, comme le suggèrent les preuves, envisagé voire comploté, l’assassinat, l’enlèvement, la rendition, l’empoisonnement».

Malgré cela, la Haute Cour a accepté des assurances diplomatiques des États-Unis, sans valeur et se contredisant, qu’Assange ne serait pas traité aussi mal que le prétendaient ses avocats s’il était expédié dans une prison américaine. En mars, la Cour suprême du Royaume-Uni a refusé d’entendre un appel d’Assange contre cette décision.

WikiLeaks a déclaré dimanche sur Twitter que la ministre britannique de l’Intérieur Priti Patel annoncerait de manière imminente si elle accordait un ordre d’extradition. Compte tenu de l’hostilité intense du gouvernement britannique à l’égard d’Assange, cette décision n’est qu’une formalité. Théoriquement, il dispose dans le système juridique britannique d’une autre voie de recours, mais plus d’une décennie d’attaques arbitraires de ses droits signifie que même cela n’est pas garanti.

En d’autres termes, Assange risque d’être transféré rapidement aux États-Unis ou de passer une nouvelle période prolongée dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, où il est détenu depuis plus de trois ans, au cas où on autoriserait son appel.

Le caractère ouvertement criminel de l’attaque contre le fondateur de WikiLeaks montre que la lutte pour sa liberté ne peut se limiter à des appels plaintifs aux gouvernements, aux tribunaux et aux institutions officielles. La campagne contre Assange est soutenue par l’ensemble de l’establishment politique. Pour lui c’est le moyen d’intimider un sentiment anti-guerre largement répandu dans le contexte de la confrontation des États-Unis avec la Russie et la Chine, et d’établir un précédent pour des attaques contre une opposition sociale et politique plus large dans la classe ouvrière.

La persécution de la part des États-Unis a commencé sous le gouvernement démocrate de Barack Obama, elle s’est intensifiée sous le gouvernement républicain de Trump et se poursuit avec Joseph Biden. En Grande-Bretagne, conservateurs et travaillistes ne font qu’un contre Assange. En Australie, le gouvernement travailliste nouvellement élu a déjà signalé qu’il ne ferait rien pour défendre l’éditeur de WikiLeaks, tout en faisant leurs les demandes américaines d’agression anti-chinoise.

La lutte pour la liberté d’Assange est donc indissolublement liée à une lutte politique de la classe ouvrière, la grande masse de la population, contre tous ces gouvernements. La défense d’Assange doit être intégrée aux luttes sociales et politiques montantes des travailleurs, comme un fer de lance de la lutte contre le militarisme, la guerre et le passage à des formes de gouvernement autoritaire qui les accompagne.

(Article paru d’abord en anglais le 6 juin 2022)

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