Les travailleurs de Ford en Inde poursuivent la grève contre la fermeture prévue de l’usine

Travailleurs de l’automobile occupant l’usine d’assemblage de Ford de Chennai à Maraimalai Nagar en Inde (Photo prise par un travailleur de l’automobile en Inde)

Plus de 1500 travailleurs de l’automobile de l’usine d’assemblage de Ford Motors près de Chennai, la capitale de l’État du Tamil Nadu, dans le sud de l’Inde, poursuivent une grève contre la fermeture de l’usine depuis plus d’une semaine. Les travailleurs occupent l’usine, arrêtant complètement la production de voitures.

La grève a été lancée par de jeunes travailleurs de la base qui constituent la majorité de la main-d’œuvre. Bien qu’environ 500 travailleurs, pour la plupart plus âgés, n’aient pas rejoint l’occupation craignant la perte de l’indemnité de départ en raison des représailles de la direction, ils ont soutenu la grève en refusant de franchir les piquets de grève. La grève a perturbé les plans de l’entreprise de terminer plus de 1400 voitures avant la fermeture de l’usine prévue pour la fin de ce mois. «Si nous terminons la fabrication de ces voitures, il n’y a plus de lien entre la direction et nous, et nous ne pourrons rien exiger», a déclaré un travailleur anonyme à ThePrint.

Avant la grève, les travailleurs ont organisé des manifestations à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine pour exiger qu’une indemnité de départ soit versée avant la fermeture de l’usine. Un énorme contingent de policiers a été dépêché à l’usine pour intimider les travailleurs qui protestaient. Cependant, les travailleurs ont poursuivi leur protestation et ont ensuite lancé une grève illimitée, défiant l’intimidation de la police.

La grève de Chennai Ford fait partie de la montée mondiale de la lutte des classes pour la défense des emplois, des salaires décents et de meilleures conditions de travail et de vie contre les tentatives des gouvernements et des entreprises d’imposer des mesures d’austérité sévères. Les travailleurs et les jeunes du Sri Lanka se sont engagés dans des manifestations et des grèves de masse au cours des deux derniers mois pour exiger la démission du président Gotabhaya Rajapakse et de son gouvernement face à la flambée des prix et à la pénurie de biens essentiels.

En mai dernier, alors que le variant Delta de la COVID-19 sévissait en Inde, les travailleurs de l’usine Ford de Chennai ont mené des grèves avec occupation et des manifestations avec leurs frères et sœurs dans d’autres usines automobiles du Tamil Nadu appartenant à la société coréenne Hyundai Motors et à la franco-japonaise Renault-Nissan. Ils ont exigé des protections sanitaires contre la COVID-19, suite au décès de plus de 25 travailleurs et à des centaines d’infections dans les usines. Cette rébellion a contraint les constructeurs automobiles à fermer leurs usines pendant cinq jours. Cependant, ils ont rapidement relancé la production, avec l’aide des syndicats.

En septembre suivant, Ford a annoncé qu’il mettrait fin à ses opérations en Inde, fermant l’usine de Chennai et une autre au Gujarat. La fermeture menace directement 4000 emplois. Cependant, la fermeture de l’usine de Chennai à elle seule touchera indirectement environ 40.000 emplois au total car les emplois de l’usine sont liés à de nombreux sous-traitants qui emploient des travailleurs non syndiqués. Ford produit en Inde depuis le milieu des années 1990, mais a accumulé plus de 2 milliards de dollars de pertes au cours des 10 dernières années.

La sortie de l’entreprise de l’Inde s’inscrit dans le cadre d’une restructuration mondiale vigoureuse de l’industrie automobile, en cours avant la pandémie mais fortement accélérée depuis. Les constructeurs automobiles annoncent des investissements de plusieurs milliards de dollars dans la fabrication de véhicules électriques (VE). Pour payer cela, Wall Street exerce une énorme pression pour que les coûts du travail soient réduits. Un article de Bloomberg a rapporté que Ford prévoyait de dépenser 10 à 20 milliards de dollars supplémentaires pour accélérer le passage aux véhicules électriques au cours des 5 à 10 prochaines années. Le coût de cette transition sera payé avec un plan de «réorganisation» encore défini de manière ambiguë.

Comparé au véhicule à moteur traditionnel, un véhicule électrique nécessite beaucoup moins de pièces mobiles et une main-d’œuvre réduite pour sa fabrication. La destruction généralisée d’emplois est à l’ordre du jour, tandis que l’entreprise prévoit d’embaucher des travailleurs de production à un niveau de salaire ultra-bas dans ses nouvelles usines de batteries pour véhicules électriques.

Pour le moment, l’usine Ford du Gujarat a été reprise par Tata Motors sans aucune suppression d’emplois. Les travailleurs de Chennai se mobilisent depuis des mois pour exiger la même sécurité d’emploi. L’usine employait 2700 travailleurs permanents et 600 travailleurs intérimaires. De nombreux travailleurs ont même contracté des prêts immobiliers pour s’installer à Chennai, c’est pourquoi la nouvelle de la fermeture de l’usine a été un grand choc pour eux.

La direction tente de calmer l’opposition à la fermeture en offrant des indemnités. Un travailleur a déclaré à l’Indo-Asian News Service: «La direction de Ford a offert 85 jours de salaire pour chaque année de service complète. Aussi, une somme fixe de 42.500 roupies (511 euros) pour chaque année de service accomplie. Auparavant, ils avaient offert 75 jours de salaire et une somme fixe de 20.000 roupies (242 euros) pour chaque année de service accomplie.»

Prakash, un travailleur permanent de 32 ans, a déclaré au World Socialist Web Site: «En raison de la fermeture de cette usine, toute notre famille est dans une situation de crise. Nous avions contracté de nombreux emprunts, dont des crédits immobiliers, et maintenant nous ne savons pas comment nous allons les rembourser. Toute ma famille, y compris mes enfants qui étudient à l’école, doit maintenant déménager dans notre village en raison du manque de soutien financier. Les gouvernements en Inde, au niveau de l’État et fédéral, agissent comme des pions de la grande entreprise.»

La grève d’occupation de l’usine Ford est maintenant dans sa deuxième semaine (Photo fournie au WSWS par un ouvrier de Ford)

La grève et l’occupation de l’usine ont été lancées le 31 mai, mais la chaîne de production de l’usine automobile Ford de Chennai s’est en fait arrêtée la veille, lorsque les travailleurs ont affirmé qu’on leur avait demandé de signer un accord leur interdisant d’organiser toute manifestation. «Je ne m’engagerai dans aucune activité qui perturbe la production (y compris une grève d’occupation, une grève de zèle, etc.) ou ne participerai à aucun rassemblement non autorisé dans les locaux de l’usine», lit-on dans «la lettre d’engagement des employés».

Les syndicats de Ford à Chennai s’opposent à une mobilisation plus large des travailleurs de l’automobile en Inde ou à l’étranger contre les fermetures d’usines. Ils ne veulent rien faire qui puisse dissuader les multinationales de s’installer en Inde. Les syndicats prétendent désormais soutenir l’initiative de grève prise par les travailleurs. Cependant, ils n’ont pas repris les revendications des travailleurs liées à la sécurité de l’emploi. Au lieu de cela, ils se concentrent entièrement sur l’amélioration des indemnités de départ pour les travailleurs. La presse capitaliste, se faisant l’écho des syndicats, rapporte que la grève porte uniquement sur les indemnités de départ.

Le Syndicat des employés de Chennai Ford (CFEU) a limité toutes les actions revendicatives à des manifestations limitées, confinant principalement les travailleurs à des appels inefficaces au gouvernement du Tamil Nadu et à l’entreprise. Le gouvernement de l’État du Tamil Nadu dirigé par le parti DMK, tout comme son prédécesseur l’AIDDMK et le parti suprématiste hindou de droite Bharatiya Janata Party (BJP), qui est également au pouvoir au niveau fédéral, sont pleinement déterminés à défendre les intérêts des investisseurs locaux et étrangers, y compris des géants mondiaux de l’automobile comme Ford, contre les travailleurs de l’Inde.

Pour lutter contre les fermetures et aussi la pandémie mortelle, les travailleurs de Ford au Tamil Nadu et au Gujarat doivent se tourner vers leurs frères et sœurs de classe dans l’ensemble de l’industrie automobile en Inde, aux États-Unis et à l’étranger. Pour mener une telle lutte, ils ont besoin de nouvelles organisations de lutte, des comités d’action de la base, dirigés par les travailleurs eux-mêmes et indépendants des syndicats pro-capitalistes et nationalistes et des partis capitalistes sur lesquels les syndicats sont alignés.

Prakash (WSWS Media)

«Nos syndicats n’ont pas mis en place de discussion démocratique jusqu’à présent avec l’ensemble de la main-d’œuvre», a déclaré un gréviste de Ford, Prakash, au WSWS. «Au contraire, dès le début, ils se sont activement impliqués pour convaincre les jeunes travailleurs militants de retirer leur principale revendication, à savoir la sécurité de l’emploi. Je vois bien que les syndicats nous isolent pour nous faire accepter les exigences patronales.

«Je suis d’accord avec votre proposition selon laquelle cette lutte doit être élargie, en mobilisant les travailleurs dans les zones industrielles voisines et ailleurs en Inde et en rompant avec les syndicats. Je suis prêt à discuter davantage avec vous de la formation de comités de la base.»

Ramapandian, 31 ans, du district de Theni au Tamil Nadu, a déclaré: «La société Ford a gagné des milliards de dollars dans le monde entier et a construit de nouvelles usines partout en nous exploitant. Maintenant, ils se débarrassent tout simplement de nous sous le prétexte qu’ils ont subi des pertes ces dernières années.

Ramapandian (WSWS Media)

«Pour être franc, cette lutte n’a pas vraiment été appelée par notre syndicat. Mais elle a plutôt été organisée par de jeunes salariés militants qui forment la majorité de la main-d’oeuvre. Les jeunes travailleurs réclament la sécurité de l’emploi comme revendication principale. Mais les syndicats, qui agissent dans l’intérêt de quelques privilégiés, ainsi que certains travailleurs âgés ont étouffé nos voix depuis le début, nous poussant vers un accord de règlement au rabais. Je suis tout à fait d’accord sur le fait que notre syndicat n’a pas de programme clair et sur la nécessité de rompre avec ces syndicats.»

Ramesh, un travailleur permanent, a déclaré: «Lorsque nous avons commencé notre grève, plus de 100 policiers ont été mobilisés immédiatement à la demande de la direction. Alors que la grève dure depuis plus d’une semaine, de plus en plus de forces étatiques sont mobilisées pour nous intimider. Nous sommes conscients que ces actions sont effectuées avec les conseils et les connaissances complètes du gouvernement de l’État DMK qui agit en tant qu’agent des grandes sociétés.

«Notre syndicat aurait dû demander voir la comptabilité appropriée car la direction de Ford revendique des pertes. Les procès-verbaux des discussions de conciliation entre les dirigeants syndicaux et la direction des bureaux du ministère du Travail n’ont pas été rendus publics. Les dirigeants syndicaux tentent de dissimuler et de déformer les véritables informations, et les travailleurs de la base deviennent de jour en jour plus en colère contre l’attitude du syndicat. Je comprends la nécessité d’une discussion démocratique entre les travailleurs comme une étape importante pour faire avancer la lutte et la nécessité de former des comités de la base pour s’unir aux travailleurs d’autres industries.»

(Article paru en anglais le 9 juin 2022)

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