«C’est bien que cette affaire ait pris une tournure politique… On n’aurait pas dû en arriver là».

Le témoignage des victimes met à nu le récit officiel de l'assassinat de policiers à Paris

Samedi 4 juin, vers 10h30, la police parisienne a tiré neuf balles dans une voiture avec quatre passagers dans le centre de Paris, après une tentative de contrôle routier. La passagère du siège avant, une femme de 21 ans nommée Rayana, a reçu une balle dans la tête et est décédée à l’hôpital dimanche. Le conducteur, âgé de 38 ans, a été touché à la poitrine, mais a depuis quitté l’hôpital.

Il s’agit de la deuxième fusillade policière de ce type dans le centre de Paris au cours des derniers mois. Le 24 avril, le soir du second tour de l’élection présidentielle française, la police a tiré sur une voiture qui ne s’était pas arrêtée pour un contrôle sur le Pont-Neuf, dans le centre de Paris. Le conducteur et le passager du siège avant ont été tués.

Samedi dernier, la police a tiré après que le conducteur a refusé d’obtempérer à un contrôle routier. Les autorités ont accusé le conducteur de tentative de meurtre. Elles allèguent que les agents ont été contraints de tirer pour protéger la vie des piétons qui se trouvaient à proximité. Cependant, les témoignages des passagers survivants, corroborés par d’autres témoins oculaires, ont démasqué le récit des autorités et la tentative de la police de dissimuler sa responsabilité en poursuivant le conducteur pour des crimes qu’il n’a pas commis.

Selon le récit de la police sur la fusillade de samedi dernier, les agents n’ont tiré qu’après que le conducteur a commencé à s’enfuir. Selon le procureur de Paris, le conducteur «a redémarré malgré un nouvel ordre d’arrêter le véhicule», et la police a alors tiré sur le véhicule pour protéger les piétons dans la zone. Les trois agents qui ont tiré sur le véhicule ont été remis en liberté mardi et font maintenant l’objet d’une enquête. Le même jour, le conducteur a été placé en garde à vue après avoir été mis en examen pour «tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité publique» et «refus d’obtempérer aggravé par la mise en danger d’autrui».

Mercredi 8 juin, la passagère du siège arrière du véhicule, une amie du défunt, s’est exprimée sur la fusillade auprès de FranceInfo. Elle a déclaré: «À Clignancourt, trois policiers à vélo ont frappé à la vitre du conducteur, car il [le conducteur] ne portait pas de ceinture de sécurité. Il n’a pas voulu baisser sa vitre. Il a accéléré et s’est arrêté 30, 40 mètres plus loin à cause de la circulation. Un bus se trouvait en face de nous».

«Nous lui avons dit de s’arrêter, mais il nous a répondu qu’il n’avait pas de permis. Il se trouvait un peu paniqué, un peu stressé. Puis, j’ai vu deux policiers qui se tenaient aux fenêtres de devant. Tout s’est passé très vite. Je n’ai même pas entendu “Sortez de la voiture” ou “Mains en l’air”… La scène était très violente. Le conducteur n’a même pas eu le temps de retirer ses mains du volant».

Contredisant le récit de la police, elle poursuit: «Ce n’est pas le cas que la voiture soit partie en premier et qu’ils aient ensuite tiré, c’était en même temps. Ils ont dû tirer une dizaine de coups de feu, ça a duré longtemps». FranceInfo rapporte que d’autres témoignages, y compris de passants, «contredisent le récit des forces de l’ordre, et soulignent que le conducteur n’a pas “démarré en trombe”».

Après avoir vu leurs amis se faire tirer dessus, Inès et l’autre passagère n’ont pas fini de subir le supplice de la police. Elle a déclaré: «La police est arrivée derrière nous. Ils ont pointé leurs armes sur nous et ont dit: “Mains en l’air, les mains sur la tête”… Ils nous ont laissées à un coin de rue, pendant plus de trois heures en plein soleil, devant une foule. Ils ne nous ont pas laissés voir un médecin».

Au micro de RTL, l’autre passager, un ami du conducteur, a corroboré ce récit. Il a affirmé que l’un des policiers «a pointé [un pistolet] directement sur eux», et a ajouté: «Le conducteur a fait comme s’il ne regardait pas.... J’ai crié “baisse-toi”, puis nous avons entendu les coups de feu et les vitres se briser. Ensuite, mon ami a mis la voiture en première vitesse et a recommencé à rouler après les coups de feu».

Après les coups de feu, le véhicule est entré en collision avec une camionnette blanche quelques mètres plus loin sur la route, à faible vitesse.

De multiples récits de témoins oculaires montrent que le véhicule était coincé dans la circulation et à l’arrêt lorsque plusieurs policiers ont commencé à tirer sans discernement sur ses quatre occupants. Contrairement au récit de la police, il n’y a pas l’ombre d’une preuve que le véhicule constituait une menace pour le public ou les policiers concernés. En se nommant juge, jury et bourreau, ces agents ont transformé une banale infraction au Code de la route en un nouvel acte meurtrier de violence policière.

Dans son entretien avec FranceInfo, Ines s’est engagée à poursuivre les policiers responsables et a souligné l’importance de cette affaire: «C’est bien que cette affaire ait pris un tour politique. Il faut parler de cette histoire. Le plus important, c’est qu’il y a des gens de notre côté qui comprennent que l’on ne devrait pas en arriver là».

Si la responsabilité juridique immédiate du meurtre incombe aux policiers, la responsabilité politique plus large incombe au gouvernement Macron et à ses alliés politiques. Ces derniers ont cultivé une culture fasciste de violence et d’impunité au sein de la police. Ils l'utilisent comme dernière ligne de défense contre une colère sociale explosive et des protestations et grèves de masse dans la classe ouvrière.

Depuis la déclaration de l’état d’urgence en 2015, la police a eu carte blanche pour réprimer violemment toute opposition aux politiques largement détestées de l’État français. Des «Gilets jaunes» aux lycéens, les manifestants se sont retrouvés encerclés par des flics qui les agressent à coups de matraques, de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc.

Le gouvernement Macron a décerné des médailles aux unités de police coupables de crimes particulièrement odieux contre la population – comme le meurtre à Marseille de Zineb Redouane, 80 ans, dont la tête a explosé sous une grenade lacrymogène tirée par la police dans son appartement lors d’une manifestation de «Gilets jaunes». L’objectif du gouvernement était manifestement de faire comprendre à la police qu’elle serait récompensée pour des actes de violence flagrants dans la mesure où ils servaient à terroriser la population.

Encouragés par ce traitement, les policiers, dont de larges couches sympathisent avec l’extrême droite, ont donné libre cours à l’emploi d’une violence mortelle contre les travailleurs.

Le mouvement contre la violence policière doit être développé en tant que mouvement de la classe ouvrière, en opposition au militarisme et à l’austérité sociale, et aux gouvernements capitalistes que les forces de police servent à défendre.

(Article paru d’abord en anglais le 10 juin 2022)

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